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L’encensoir au Moyen-âge

Dictionnaire du Moyen-âge

Par
Eugène Viollet-le-Duc

Eugène Viollet-le-Duc

s. m. L'usage de l'encensoir remonte aux premiers siècles du christianisme et a été emprunté aux cultes orientaux. Cet ustensile se compose d'une capsule inférieure de métal, dans laquelle on dépose de la braise incandescente, d'une capsule formant couvercle, ajourée, glissant sur trois ou quatre chaînes fixées aux bords de la capsule inférieure ; de plus, une chaîne centrale, tenant à la partie supérieure du couvercle, sert à enlever celui-ci. Les trois ou quatre chaînes sont retenues à une platine que le thuriféraire tient dans sa main, et la chaîne centrale, munie d'un anneau, passe à travers cette platine. Le moyen âge a fabriqué des encensoirs de formes variées ; les plus anciens figurent, lorsque les deux capsules sont jointes, une sphère complète, presque toujours munie d'un pied qui permet de poser l'objet à terre ou sur un meuble.

Les représentations très-grossières des encensoirs, avant le XIIe siècle, ne permettent guère de se rendre un compte exact de leur usage, des moyens employés pour les ouvrir et jeter l'encens sur la braise allumée. Les capsules sont parfois attachées à trois chaînons qui se réunissent à une seule chaîne centrale. On ne comprend pas alors comment on pouvait soulever la capsule formant couvercle, sans se brûler les doigts.

L'exemple (fig. 1) que nous donnons ici (1) présente un de ces encensoirs sphériques. La capsule inférieure est pleine, pour recevoir la braise. Cette capsule est munie de trois pieds ; trois tiges ou chaînons partant des bords de cette capsule, se réunissent à une chaîne centrale. La capsule-couvercle est percée de trous pour laisser passer la fumée de l'encens.

encensoir sphérique

Figure 1

Les plus anciens encensoirs que possèdent les trésors d'églises, ou les collections particulières, ne remontent pas au-delà du XIIe siècle, et, parmi ces objets, un des plus remarquables par son style et sa composition, est l'encensoir de Trêves (pl. XXX) (2).

Encensoir de Trèves

Planche XXX

Il est de bronze coulé, ciselé et doré, est muni de quatre chaînes coulantes et d'une chaîne centrale, et paraît dater de la seconde moitié du XIIe siècle. Le plan de cet encensoir est tracé en A dans la figure 2.

Plan d'un encensoir

Figure 2 C

Les coulants des quatre chaînes ont été refaits après coup et masquent une partie de l'inscription qui remplit l'orle de la capsule supérieure. Au sommet, est représenté Salomon assis sur un trône entouré de quatorze lions. Sur les quatre gables s'élèvent les quatre patriarches emblématiques du sacrifice du Nouveau Testament, savoir : Abel, avec l'agneau ; Melchisédech, avec le pain et le calice ; Abraham prêt à immoler Isaac ; Isaac bénissant Jacob. La capsule inférieure montre, en bustes, Moïse, Aaron, Isaïe et Jérémie. Les quatre chaînes sont attachées au sommet de la tête de ces personnages. La platine de main (voyez en B, fig. 2) qui reçoit les chaînes porte les bustes de quatre apôtres. Une petite figure, qui probablement représente le Christ, surmonte cette platine et sert à retenir l'anneau terminal (3).

Platine de main

Figure 2 B

L'évêque de Munster, monseigneur Muller, auquel on doit la conservation de ce précieux ustensile, dans une notice fort détaillée, a donné les diverses inscriptions qui accompagnent ces figures symboliques (4). « On conviendra, ajoutait le prélat, que l'artiste du moyen âge auquel est dû cet encensoir a su résumer dans cet objet les dogmes qui constituent l'essence de la liturgie, à laquelle il devait être employé. » L'observation est parfaitement juste, et c'est qu'en effet, dans les ustensiles qui tiennent à la liturgie, les artistes, au XIIe siècle particulièrement, savaient choisir les sujets ou symboles exactement convenables à l'objet.

D'ailleurs, si la composition de l'encensoir de Trêves est remarquable et le style assez bon, l'exécution en est barbare. Il n'en est pas de même de l'encensoir également de bronze coulé, ciselé et doré, qui provient d'une collection de Lille, et qui est, pensons-nous, aujourd'hui en Angleterre. Cet encensoir date du commencement du XIIIe siècle et est en forme de sphère avec pied (voyez pl. XXXI). Il est de fabrication française et d'une exécution excellente (5).

Encensoir du début du XIIIe siècle

Planche XXXI

Sa composition est éminemment symbolique. La partie supérieure de l'encensoir représente les trois jeunes gens : Ananias, Misaël, Azarias, sauvés de la fournaise par l'ange envoyé du Seigneur. Suivant l'Écriture, ces jeunes gens entonnent le cantique dans lequel ils invitent la nature entière à louer Jéhovah. Trois cercles divisent la sphère, et à leur rencontre se trouvent les attaches et coulants des trois chaînes. Sur l'orle double qui sépare les deux capsules, on lit les trois vers hexamètres suivants :

HOC . EGO. REINERUS . DO . SIGNUM . QUID . MIHI . VESTRIS . EXEQUIAS . SIMILES . DEBETIS . MORTE . POTI-TO . ET . REOR . ESSE . PRECES . VRANS . TIMIAMATA . CHRISTO.

que Didron a traduit ainsi :

« Moi, Reinerus, je donne ce gage. A moi en possession de la mort, vous me devez quelques preuves semblables d'amitié. Les parfums qu'on brûle en l'honneur du Christ sont, à mon avis, des prières. »

La hauteur totale de cet encensoir est de Om,17. Les chaînes et la platine de main manquent.

Le moine Théophile, dans son Essai sur divers arts (6), indique la manière de faire les encensoirs de métal repoussé ou fondu à cire perdue (7). Ses descriptions, très-minutieuses, signalent l'importance qu'au XIIe siècle on attachait à ces ustensiles destinés au service religieux. Bien que les encensoirs de métal repoussé dussent être d'une moindre valeur que ceux de métal fondu sur cire perdue, Théophile orne son encensoir battu d'une quantité de détails gravés très-précieux, d'ajours délicats. Il n'est pas jusqu'à la platine de main, à laquelle il donne le nom de lis, qu'il ne décore de fleurs et d'oiseaux. Cet encensoir battu est muni de trois chaînes, tandis que l'encensoir fondu, qui représente la cité sainte, possède quatre chaînes.

Les encensoirs de métal repoussé étaient les plus communs et affectaient souvent une grande simplicité. Tels sont ceux qui sont représentés sur un grand-nombre de bas-reliefs, ou qui accompagnent des statues d'anges thuriféraires des XIIe et XIIIe siècles. Voici un de ces objets (fig. 3) qui tient à l'une des statues de la cathédrale de Chartres. Les deux capsules sont ajourées, ainsi que dans les deux exemples précédents ; mais une doublure pleine (voy. en A) était fixée à l'intérieur de la capsule inférieure, pour recevoir la braise et l'encens. Cet encensoir a trois chaînes avec coulants, et la chaîne centrale fixée à l'anneau B qui surmonte le lis.

Objet de la cathédrale de Chartres

Figure 3 A et B

Comme cela se pratique aujourd'hui, quand on voulait soulever le couvercle C pour mettre du charbon ou de l'encens dans la capsule inférieure, on tirait sur l'anneau B. Ici les chaînes paraissent être fabriquées comme des gourmettes à section carrée, plus souples et moins sujettes à s'embrouiller que les chaînes ordinaires. Les encensoirs de cuivre repoussé et émaillé étaient en usage pendant le XIIIe siècle, et nos collections publiques et privées possèdent un certain nombre de ces objets. Plus tard les encensoirs furent composés en façon de réunions de tourelles, avec toits, petites fenêtres découpées, gables, le tout très-chargé de gravures et de détails. Ces ustensiles ayant été reproduits bien des fois, il ne paraît pas nécessaire de les donner ici (8).

Encensoir

Figure 3 C

  1. Manuscrits du Xe siècle (Prophéties), Biblioth. imper., 6/3.
  2. Cet encensoir est aujourd'hui conservé dans le musée de la cathédrale de Trêves. (Voyez, dans les Annales archéologiques de Didron, t. IX. p. 357, la description de cet encensoir.)
  3. Les dessins de ce curieux objet ont été relevés avec le plus grand soin par M. Bœswilwald, qui a bien voulu nous les communiquer.
  4. Voyez les Annales archéol., t. IX, p. 358
  5. Voyez, sur cet encensoir, la notice de Didron (Annales archéol, t IV, p. 293).
  6. Cap. lix et lx.
  7. Diversarum artium Schedula. Paris, 1843, trad. du comte de l'Escalopier
  8. Voyez Edute sur les encensoirs, par l'abbé Fernand Pottier (Moniteur de l'archéologue. Toulouse, 1766


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