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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


La fourchette au Moyen-âge

Dictionnaire du Moyen-âge

Par
Eugène Viollet-le-Duc

Eugène Viollet-le-Duc

Les Orientaux, les Grecs et les Romains de l'antiquité ne se servaient pas de fourchettes pour manger. La cuiller seule, pour les mets liquides, était admise pendant les repas ; les viandes rôties, les gâteaux, les fruits servis sur des tranches de pain, sur des plats ou sur la table, devant chaque convive, étaient séparés en morceaux avec le couteau et portés à la bouche avec les doigts. Nous avons quelque peine à nous figurer des personnages aux habitudes élégantes mangeant avec les doigts ; il faut cependant nous rendre à l'évidence. D'ailleurs, il y avait manière de s'y prendre, et l'on reconnaissait, du temps de Périclès, sous Auguste, comme sous saint Louis, une personne bien élevée à la façon dont elle portait les mets à sa bouche.

Dans le Roman de la Rose(1) I7S, le poète décrit avec délicatesse la contenance d'une femme bien élevée à table.
Elle doit s'asseoir la dernière, « Et se face ung petit atendre »,
afin de s'assurer de la place occupée par chacun des convives ; à tous elle doit se rendre utile, découpant les viandes et distribuant le pain autour d'elle ; elle doit, avec grâce, servir celui qui doit manger en son plat (on avait alors une assiette pour deux personnes) :

« Et bien se gart qu'ele ne moille
« Ses dois es brocz jusqu'as jointes,
« Ne qu'el n'ait pas ses lèvres ointes
« De sopes, d'aulx, ne de char grasse,
« Ne que trop de morsiaus n'entasse,
« Ne trop gros nés mete en sa bouche,
« Du bout des dois le morsel touche
« Qu'el devra moiller en la sauce,
« Soit vert, ou cameline, ou jauce,
« Et sagement port sa bouchée,
« Que sus son piz (sa poitrine) goûte n'en chée
« De sope, de savor, de poivre. »

Aujourd'hui on peut, dans tout l'Orient, voir avec quelle adresse et quelle élégance même les gens de distinction savent se servir de leurs doigts en guise de fourchette.

On ne voit apparaître les fourchettes, pour la première fois, pendant le moyen âge, que dans les inventaires des dernières années du XIIIe siècle (2), encore sont-elles rares. Pendant le XIVe siècle, les inventaires en mentionnent quelques-unes ; mais ces ustensiles semblent destinés seulement à manger certains fruits :

« Trois furchestes d'argent pur mangier poires (3). »

Ces fourchettes sont souvent pour « manger mures », probablement parce que ce fruit laisse sur les doigts des taches difficiles à enlever : « Une bien petite fourchette d'or, à manche tortillé, pour mangier meures(4). »

Ces fourchettes, grandes ou petites, n'ont que deux fourcherons. Elles sont habituellement emmanchées de cristal, de pierre dure ou d'ivoire, ce qui indique un ustensile de luxe. Si l'on trouve une grande quantité de cuillers de l'époque du moyen âge, les collections ne conservent qu'un très-petit nombre de fourchettes. Nous en donnons ici deux exemples : une grande (fig. 1), emmanchée d'ivoire, avec virole et clous d'argent. Quant à la fourchette, elle est de métal d'alliage (argent et cuivre)(5). Cette fourchette paraît appartenir au XIVe siècle. Le manche est fendu à la scie (voyez le profil A), pour loger la soie de métal, qui prend ainsi toute la largeur de ce manche. La figure 2 donne une petite fourchette de cuivre doré, grandeur d'exécution, « à manger meures » probablement (6). En A, est un fragment d'une autre fourchette dont les fourcherons sont très-délicatement reliés à la tige (7).

Fourchette du Moyen-âge, figure 1     Fourchette du Moyen-âge, figure 2

Les fourchettes deviennent assez communes à dater du XVIe siècle. Cependant il faut croire qu'alors il n'était d'usage encore de se servir de fourchettes que chez les grands, car l'auteur de Isle des Hermaphrodites (8), en décrivant un repas à la cour de Henri III ; s'exprime ainsi : « Les viandes de ce premier service estoient si fort hachées, descoupées, et desguisées, qu'elles en estoient incognues..... aussi apportoient-ils bien autant de façon pour manger, comme en tout le reste : car premièrement ils ne touchoient jamais la viande avec les mains ; mais avec des fourchettes ils la portoient jusques dans leur bouche en allongeant le col et le corps sur leur assiette, laquelle on leur changeoit fort souvent, leur pain mesme estoit tout destranché sans qu'ils eussent le peine de le couper... » Et plus loin : «... Ils la prenoient (la salade) avec des fourchettes, car il est deffendu en ce pays-là de toucher la viande avec les mains, quelque difficile à prendre qu'elle soit, et ayment mieux que ce petit instrument fourchu touche à leur bouche que leurs doigts... On apporta quelques artichaux, asperges, poix et febves escossées, et lors ce fut un plaisir de les voir manger cecy avec leurs fourchettes : car ceux qui n'estoient pas du tout si adroits que les autres en laissoient bien autant tomber dans le plat, sur leurs assiettes, et par le chemin qu'ils en mettoient en leurs bouches. »

  1. Partie de Jehan de Meung, fin du XIII siècle, vers 13596 et suiv.
  2. Invent. D'Edouard Ier d'Angleterre, 1297.
  3. Invent, de P. Gaveston. 1313.
  4. Invent, des ducs de Bourgogne, 1420.
  5. Collection des dessins de l'auteur, provenant de la collect. Garneray.
  6. Idem
  7. Idem
  8. Descript. de l'isle des Hermaphrodites, pour servir de supplément au Journal de Henri III. p. 104.


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