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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


L'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem et

Les premiers Teutoniques

Par Marc de Montifaud

Personne n'ignore que la constitution de l'ordre Teutonique en Terre sainte date de l'initiative prise par le duc Frédéric de Souabe, en 1190, de grouper en une association militaire, inspirée de celles de l'Hôpital et du Temple, les éléments germaniques attirés en Palestine par le mouvement des croisades, et que le Saint-Siège, en prenant l'année suivante (6 février 1191) l'institution nouvelle sous sa protection spéciale, lui donna une consécration officielle.

On sait aussi qu'antérieurement à la fondation du duc de Souabe, Jérusalem possédait, dès 1128, un hospice allemand placé sous le vocable de la Vierge, et dû à la piété d'un pèlerin allemand et de sa femme ; mais cette ancienne organisation des premiers Teutoniques reste enveloppée d'incertitudes et de ténèbres. À peine soupçonnait-on que cet hospice relevât de l'hôpital de Saint-Jean ; on ne connaissait ni les conditions ni le mode de cette subordination (1). Un heureux hasard nous a permis de retrouver les documents qui établissent ce fait et qui semblaient perdus. Les témoignages relatifs à ces premiers temps de l'ordre sont trop rares et trop vagues pour que leur apparition ne mérite pas d'être signalée, surtout lorsqu'elle met hors de doute un point capital et obscur de l'histoire des anciens Teutoniques. Jacques de Vitri (2) et la chronique de Saint-Bertin (3) nous ont conservé le souvenir de l'hospice fondé en 1127, à Jérusalem, par un particulier et sa femme, afin de recueillir et de secourir les pèlerins allemands, leurs compatriotes, et d'adoucir pour eux les souffrances de la misère et de la maladie. Cette fondation, approuvée et encouragée par le patriarche de Jérusalem et placée sous la protection de la Vierge, fut le berceau de l'ordre Teutonique ; bientôt d'autres pèlerins allemands, renonçant au monde, entrèrent dans l'hospice nouveau et, sous le nom de frères de l'hôpital de Sainte-Marie-de-Jérusalem, adoptèrent comme costume le manteau blanc, comme règle la discipline de saint Augustin. Bientôt encore le caractère de l'institution se modifia ; en accueillant dans son sein des chevaliers et des nobles, venus pour défendre la Palestine contre les mécréants, elle devint militaire et guerrière, à l'instar des Templiers et des Hospitaliers, qu'elle prit comme modèle et comme exemple (4).

Frédéric Ier de Hohenstaufen

Frédéric Ier de Hohenstaufen (1122-1190)
dit frédéric barberousse, miniature de 1188

Ces détails, les seuls qui nous soient parvenus sur les débuts de l'ordre, sont insuffisants pour nous faire connaître l'organisation et le fonctionnement de ces anciens Teutoniques. L'hospice de Jérusalem se développa-t-il rapidement ? Eut-il la même fortune que le Temple ou l'Hôpital ? Dans quelles conditions s'exerça la tutelle des Hospitaliers, protecteurs de la fondation nouvelle ? Autant de questions dont la solution était jusqu'à présent impossible, mais sur lesquelles les documents que nous avons découverts donnent des indications précises.

Nous savions indirectement, par un acte de Grégoire IX, du 12 janvier 1240, que Célestin II avait, vers 1143, placé les Teutoniques sous l'autorité supérieure du grand maître de l'Hôpital (5). Les bulles de Célestin II relatives à ce fait capital qui avaient échappé à toutes les recherches, sont archivées à Marseille, conservées, l'une en original, l'autre dans une transcription du XIVe siècle, aux Archives des Bouches-du-Rhône. Une seconde bulle de Grégoire IX, du 17 août 1229, appartenant au même dépôt d'archives, fait, comme la bulle de 1240, allusion à la juridiction des Hospitaliers sur l'ordre Teutonique, mais en des termes plus précis et complète ainsi l'ensemble des témoignages relatifs à cette question.

La première des bulles de Célestin II, datée du 9 décembre 1143 et donnée dans la forme solennelle, est adressée à Raymond du Puy, grand maître des Hospitaliers ; la seconde, de la même date, aux Hospitaliers d'Allemagne. Toutes deux ont le même objet ; le pontife, préoccupé de mettre fin aux dissensions et aux scandales que les aspirations d'indépendance d'une association qui se sentait chaque jour plus forte et plus sûre d'elle suscitaient à toute occasion, se résolut par ces deux actes à rétablir la paix et le calme dans l'hospice des Teutoniques. Il plaça celui-ci sous la dépendance directe de Raymond du Puy et de ses successeurs ; mais, afin d'assurer le service des pèlerins et des malades d'origine germanique, il exigea que le prieur et les servants fussent choisis parmi les frères parlant allemand.

Raymond du Puy

Raymond du Puy, deuxième chef de l'ordre des Hospitaliers
de Saint-Jean de Jérusalem

Il est difficile d'établir plus nettement la subordination des Teutoniques ; malheureusement, les causes de cette mesure nous échappent. Les dissentiments et les scandales qui la nécessitèrent étaient-ils nés de la tyrannie des Hospitaliers, prétendant soumettre à leur maison la nouvelle institution, ou de la nécessité de donner un chef aux Teutoniques et de les rattacher à un ordre déjà existant ?

L'intervention pontificale, dans le sens où elle se produisit, avait-elle été sollicitée par l'Hôpital, ou même par les Teutoniques, ou émanait-elle d'une décision spontanée du pape ? Toutes les suppositions sont possibles, mais la plus plausible est que la décision fut poursuivie et fut obtenue en cour de Rome par les Hospitaliers ; l'exposé des services rendus par eux et de l'ancienneté de leur ordre (6), que Célestin II se plut à consigner dans le préambule de la bulle adressée à Raymond du Puy, témoigne assez du désir du pontife de les favoriser et d'étendre leur puissance.

L'étude des bulles de Célestin II éclaire un autre point de l'histoire des premiers Teutoniques. Elle nous permet d'apprécier la force de développement dont l'institution naissante a joui ; quinze ans, en effet, après la fondation de l'hospice de Jérusalem, l'œuvre s'était répandue non seulement en Palestine (in regno Jherosolimitano), mais par tout le monde (in a/us mundi partibus). Assurément, ces termes, que la chancellerie apostolique ne craignit pas d'employer, sont trop hyperboliques pour être l'expression rigoureuse de la vérité ; en un si court espace de temps la diffusion de l'ordre n'avait pu s'étendre à tout l'univers, mais elle avait sans nul doute gagné l'Allemagne, puisque le pontife prend soin de s'adresser spécialement aux Hospitaliers de ce pays pour leur notifier la décision relative aux Teutoniques. Cette force d'expansion mérite d'être signalée ; elle va à rencontre de l'opinion que l'absence de documents relatifs à cette période avait accréditée. Pouvait-on supposer qu'une institution, qui traverse les soixante premières années de son existence sans forcer l'attention de la postérité, ne méritât pas, par l'humilité de ses origines et la petitesse de son action, l'oubli dont elle était restée enveloppée ?

la compagnie médiévale de l'ordre Noir

la compagnie médiévale de l'ordre Noir réprésentant
les chevaliers Teutoniques à la médiévale
des Pennes Mirabeau (Bouches-du-Rhône) du 21 mai 2006

Combien de temps dura la dépendance sous laquelle Célestin II avait placé les Teutoniques ? Il serait difficile de le dire. Nous savons que postérieurement à l'année 1163, Sophie, veuve de Thierry VI, comte de Hollande, à son troisième pèlerinage à Jérusalem, sollicitait de l'Hôpital la faveur d'être ensevelie dans l'église de l'hôpital Teutonique (7), mais en dehors de cette mention aucun témoignage ne fait allusion à cet état de subordination. Il n'en faudrait pas conclure, cependant, qu'il eût cessé ; il est probable qu'avec le temps les liens qui rattachaient l'Hôpital aux Teutoniques se relâchèrent insensiblement, et que la fondation officielle de l'ordre en 1190 (8) répondit à un sentiment irrésistible d'indépendance et à la nécessité de réorganiser l'hospice primitif allemand de Jérusalem. C'est à un besoin analogue qu'avait obéi, au lendemain de la croisade, l'hospice de Sainte-Marie-Latine, qui s'était transformé en association religieuse et militaire et était devenu l'ordre des Hospitaliers ; à leur tour les Teutoniques, suivant l'exemple de leurs protecteurs, s'affranchirent de toute subordination, et l'hospice de Jérusalem devint l'ordre Teutonique.

  1. Dudik, Des hohen Deutschen Ritterordens Mûnz-Sammlung in Wien (Vienne, 1858, in.fol.), p. 31 et suivantes.
  2. Historia Hierosolymitana, dans Bongars, Gesta Dei per Francos, I, p. 1085 ; et Sanudo, Secreta ftdelium crucis, dans Gesta Deiper Froncos, II, 178.
  3. Marlène, Thezaurus novus anecdotorum, III, 626.
  4. B. Dudik, loc. cit., passim; Geschichte Preussen's (Königsberg, 1827-1839), II, 637; D. Toppen, Notes de la chronique de Pierre de Duisbourg (Scriptores rerum Prussicarum, I, p. 26); Riant, Haymari de expugnata Accone liber tetrastichus (Lyon, 1866), p. XLIII.
  5. Bulle de Grégoire IX : « Dilecti filii magister » (Pauli, Codice diplomatico de S.M.O. Gerosolimitano, Lucques, 1733-1737,1,272).
  6. Remarquons que Célestin II parle de l'existence de l'Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem « tam Christianorum quam etiam Sarracenorum tempore».
    Ce texte confirme la thèse que nous avons exposée jadis (De prima origine Hospitalariorum Jerosolymitanorum, Paris, 1885, passim), et d'après laquelle l'Hôpital existait antérieurement à la première croisade.
  7. Cronica de Hollant et ejus comitatu, dans A. Mathaaei, Veteris œvi analecta, V (la Haye, 1738), p. 533.
  8. Voigt (Geschichte Preussen's, II, p. 640) a voulu voir dans le texte suivant de Guillaume de Neuburg la preuve que les Teutoniques se séparèrent des Hospitaliers au siège d'Acre : « Guido olim rei Jerosolymorum et marchio de Monte Ferrato, causa superius memorata dissidentes, adexerdtum vanerunt, atque in ipsa obsidione ita lotis distrincti ut an/mis, multam post se turbam trahebant, dum potentum plurimi partes oppositas divisis prosequerentur favoribus, in tantum ut religiosa Hospitalis Jerosolymitani militia in duo collegia pro studio partium scissa videretur. » II nous parait impossible d'y voir autre chose qu'une scission parmi les Hospitaliers, dont les uns se prononcèrent pour Guy de Lusignan et les autres pour le marquis de Montferrat


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