Accueil --> Liste des articles d'histoire --> Vie de Charlemagne par Eginhard - 2eme partie


Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Vie de Charlemagne par Eginhard

par Eginhard

2° partie

Défaite des Pyrénées, mort de Roland

Pendant qu'il faisait aux Saxons une guerre vive et presque continue, il répartit des garnisons sur tous les points favorables des frontières du côté de l'Espagne, attaqua ce royaume à la tête de l'armée la plus considérable qu'il put réunir [en 778], franchit les gorges des Pyrénées, força de se rendre à discrétion toutes les places et les châteaux forts devant lesquels il se présenta, et ramena les troupes saines et sauves.

À son retour cependant, il eut, dans les Pyrénées mêmes, à souffrir un peu de la perfidie des Gascons. Dans sa marche, l'armée défilait sur une ligne étroite et longue, comme l'y obligeait la nature d'un terrain resserré. Les Gascons s'embusquèrent sur la crête de la montagne, qui, par le nombre et l'épaisseur de ses bois, favorisait leurs artifices; de là, se précipitant sur la queue des bagages, et sur l'arrière-garde destinée à protéger ce qui la précédait, ils les rejetèrent dans le fond de la vallée, tuèrent, après un combat opiniâtre, tous les hommes jusqu'au dernier, pillèrent les bagages, et, protégés par les ombres de la nuit qui déjà s'épaississaient, s'éparpillèrent en divers lieux avec une extrême célérité.

Les Gascons avaient pour eux dans cet engagement la légèreté de leurs armes et l'avantage de la position. La pesanteur des armes et 1a difficulté du terrain rendaient au contraire les Francs inférieurs en tout à leurs ennemis. Eggiard, maître-d'hôtel du roi Anselme, comte du palais, Roland, commandant des frontières de Bretagne et plusieurs autres périrent dans cette affaire. Tirer vengeance sur le champ de cet échec ne se pouvait pas. Le coup fait, ses auteurs s'étaient tellement dispersés qu'on ne put recueillir aucun renseignement sur les lieux où on devait les aller chercher.

Les Bretons

Les Bretons qui habitent, sur les rives de l'Océan, la partie la plus reculée de la Gaule occidentale, refusaient de reconnaître les ordres de Charles; il envoya contre eux une armée [en 786] qui les fit rentrer dans le devoir, et les contraignit de donner des otages et de s'obliger à faire ce qui leur serait commandé. Lui-même ensuite passa en Italie à la tête de ses troupes, traversa Rome, s'approcha de Capoue, ville de Campanie, établit là son camp, et menaça les Bénéventins de la guerre, s'ils ne se soumettaient.

Leur duc Arégise s'empressa de prévenir ce malheur, envoya ses fils Romuald et Grimoald avec une grande somme d'argent au devant du roi, le fit prier de les accepter pour otages, promit pour sa nation et pour lui-même une entière obéissance, et ne demanda d'autre grâce que d'être dispensé de se présenter en personne.

Charles, plus touché du salut des Bénéventins que de l'obstination de leur duc, accepta les otages qu'offrait celui-ci, et lui accorda comme une immense faveur la permission de ne pas venir le trouver; se contentant même de retenir comme otage le cadet des fils du duc, il renvoya l'aîné à son père, chargea des commissaires d'aller, avec Arégise, exiger et recevoir le serment de fidélité des Bénéventins, revint à Rome, et, après y avoir consacré quelques jours à visiter les lieux saints, repassa dans les Gaules.

Guerre de Bavière

Ce prince entreprit ensuite tout à coup et termina promptement la guerre de Bavière [en 787]. Elle eut pour cause l'insolence et la lâche perfidie de Tassilon, duc de ce pays, poussé par sa femme, fille du roi Didier, qui espérait venger la chute de son père à l'aide de son mari. Celui-ci s'unit aux Huns, voisins des Bavarois du côté de l'Orient, et osa non seulement secouer le joug, mais provoquer le roi.

La grande âme de Charles ne pouvait supporter un tel excès d'arrogance; rassemblant des troupes de toutes parts, il marche en personne contre la Bavière, arrive à la tête d'une armée considérable sur le Lech qui sépare les Bavarois des Allemands, pose son camp sur les bords de ce fleuve, et, avant d'entrer dans le pays, envoie des députés au duc pour essayer de le ramener au devoir. Tassilon, reconnaissant qu'il ne serait utile ni à lui ni aux siens de persister dans la révolte, se rend en suppliant auprès du roi, donne les otages qui lui sont demandés, entre autres son fils Théodon, et s'engage sous la foi du serment à ne jamais prêter l'oreille à quiconque voudrait lui persuader de se soustraire à la puissance et à la protection de Charles. Ainsi finit rapidement cette guerre qui paraissait devoir être très grave [en 788].

Dans la suite cependant, Tassilon, appelé près du roi, n'eut pas la permission de retourner eu Bavière; et tout le pays qu'il occupait ne fut plus gouverné par au duc, mais régi par des comtes.

Cette révolte comprimée, Charles porta ses armes contre les Esclavons, que nous nommons d'ordinaire Stiiltzes, mais qui s'appellent proprement Wélétabes [habitants du Brandebourg et de la Poméranie]. Divers peuples, d'après l'ordre qu'ils en avaient reçu, suivaient les enseignes du roi. De ce nombre étaient les Saxons; et, quoiqu'on ne pût compter de leur part que sur une obéissance feinte et sans dévouement, ils servaient comme auxiliaires. Cette guerre avait pour motif les incursions dont les Esclavons ne cessaient de fatiguer les Obotrites [habitants du Mecklenbourg], alliés des Francs, et auxquelles toutes les représentations de Charles n'avaient pu mettre un terme.

Un bras de mer d'une longueur inconnue [mer Baltique], mais dont la largeur, qui nulle part n'excède cent mille pas, est, dans beaucoup d'endroits, plus resserrée, s'étend de l'Océan occidental vers l'Orient. Plusieurs nations habitent ses bords; les Danois et les Suèves, que nous appelons Normands, occupent le rivage septentrional et toutes les îles; sur la rive méridionale sont les Esclavons, les Aïstes et d'autres peuples.

Les plus importants de ceux-ci étaient les Wélétabes, auxquels le roi faisait la guerre. Cependant une seule campagne, dans laquelle ce prince commandait en personne, suffit pour les écraser et les soumettre si complètement, que dans la suite ils n'osèrent plus faire la moindre résistance à ses ordres.

Guerre contre les Avares ou les Huns

À cette expédition succéda la plus terrible de toutes les guerres que fit Charles, si l'on excepte celle des Saxons; ce fut la guerre contre les Avares ou Huns [en 791]. Il y mit plus d'acharnement et y déploya de plus grandes forces que dans les autres. Il ne fit toutefois en personne qu'une seule campagne dans la Pannonie, pays qu'occupait alors cette nation, et se reposa sur son fils Pepin, les commandants des provinces, ses comtes et ses lieutenants, du reste de la guerre; quoique soutenue par tous ceux-ci avec un très grand courage, elle ne fut terminée qu'au bout de huit ans.

La Pannonie vide d'habitants, et la résidence royale du Chagan [titre du roi des Avares] tellement dévastée qu'il n'y restait pas trace de demeure humaine, attestent combien il y eut de combats donnés et de sang répandu. Les Huns perdirent toute leur noblesse, virent périr toute leur gloire, et furent dépouillés de tout leur argent, ainsi que des trésors qu'ils avaient amassés depuis longues années. De mémoire d'homme, les Francs n'ont fait aucune guerre dont ils aient rapporté un butin plus abondant et de plus grandes richesses. Jusqu'à cette époque on aurait pu les regarder comme pauvres; mais alors ils trouvèrent, dans le palais du roi des Huns, tant d'or ef d'argent, et rapportèrent des combats tant de précieuses dépouilles, qu'on est fondé à croire que les Francs enlevèrent justement aux Huns ce que ceux-ci avaient précédemment ravi injustement aux autres nations.

Les Francs ne perdirent au surplus dans cette guerre que deux des grands de leur nation; l'un Herric, duc de Frioul, qui, en Dalmatie, tomba près de Tarsacoz, ville maritime, dans des embûches dressées par les assiégés; l'autre Gérold, gouverneur de Bavière, qui au moment où, dans la Pannonie, il rangeait son armée en bataille pour combattre les Huns, fut tué, on ne sait par qui, avec deux guerriers qui l'accompagnaient, pendant qu'à cheval il exhortait chacun à bien faire. Du reste, cette guerre qui traîna en longueur à cause de son étendue, coûta peu de sang aux Francs, et se termina heureusement pour eux. Après qu'elle fut achevée, la guerre contre les Saxons eut aussi un résultat proportionné à sa longue durée.

Deux autres guerres, l'une contre les Bohémiens, l'autre contre les peuples du Lunebourg, eurent ensuite lieu, furent conduites par Charles, le plus jeune des fils du roi, et finirent promptement.

Guerre contre les Normands

Une dernière fut entreprise contre les Normands, qu'on appelle Danois, qui, se bornant d'abord à la piraterie, vinrent ensuite avec une nombreuse flotte ravager les côtes de la Gaule et de la Germanie. Leur roi Godefroi se laissait tellement enfler par d'orgueilleuses espérances, qu'il se promettait l'empire de la Germanie toute entière.

La Frise et la Saxe, il les regardait comme des provinces à lui appartenantes. Les Obotrites ses voisins, déjà il les avait soumis et rendus tributaires; il se vantait même qu'il arriverait bientôt avec de nombreuses forces jusqu à Aix-la-Chapelle où le roi tenait sa cour. Bien loin de n'ajouter aucune foi à ses menaces, tout arrogantes qu'elles étaient, on croyait généralement qu'il aurait hasardé quelque entreprise de cette sorte, s'il n'eût été prévenu par une mort prématurée. En effet, un de ses propres soldats l'assassina, et mit ainsi fin à sa vie et aux hostilités qu'il avait commencées.

Telles sont les guerres que Charles, le plus puissant des monarques, soutint en divers lieux de la terre avec autant d'habileté que de bonheur, pendant les quarante-sept ans que dura son règne. Le royaume des Francs, tel que le lui transmit Pepin son père, était déjà sans doute étendu et fort; mais il le doubla presque, tant il l'agrandit par ses nobles conquêtes.

Ce royaume, en effet, ne comprenait avant lui que la partie de la Gaule située entre le Rhin, la Loire, l'Océan et la mer Baléare, la portion de la Germanie habitée par les Francs, bornée par la Saxe, le Danube, le Rhin et la Sale, qui sépare les Thuringiens des Sorabes, le pays des Allemands et la Bavière.

Charles y ajouta, par ses guerres mémorables, d'abord l'Aquitaine, la Gascogne, la chaîne entière des Pyrénées, et toutes les contrées jusqu'à l'Ebre qui prend sa source dans la Navarre, arrose les plaines les plus fertiles de l'Espagne, et se jette dans la mer Baléare sous les murs de Tortose; ensuite toute la partie de l'Italie, qui de la vallée d'Aost jusqu'à la Calabre inférieure, frontière des Grecs et des Bénéventins, s'étend sur une longueur de plus d'un million de pas; en outre la Saxe, portion considérable de la Germanie, et qui, regardée comme double en largeur de la partie de cette contrée qu'habitent les Francs, est réputée égale en longueur; de plus, les deux Pannonies, la Dacie située sur la rie opposée du Danube, l'Istrie, la Croatie et la Dalmatie, à l'exception des villes maritimes, dont il voulut bien abandonner la possession à l'empereur de Constantinople, par suite de l'alliance et de l'amitié qui les unissaient; enfin toutes les nations barbares et farouches, qui occuppent la partie de la Germanie comprise entre le Rhin, la Vistule, le Danube et l'Océan; quoique parlant à peu près une même langue, elles diffèrent beaucoup par leurs moeurs et leurs usages.

Il les dompta si complètement qu'il les rendit tributaires. Les principales sont les Wélétabes, les Sorabes, les Obotrites et les Bohémiens. Ce fut avec celles-là qu'il en vint aux mains; mais il accepta la soumission des autres, dont le nombre est plus grand.

Ses relations diplomatiques

Il sut accroître aussi la gloire de son règne en se conciliant l'amitié de plusieurs rois et de divers peuples. Il s'attacha par des liens si forts Alphonse, roi de Galice et des Asturies, que celui-ci, lorsqu'il écrivait à Charles ou lui envoyait des ambassadeurs, ne voulait jamais s'intituler que son fidèle. Sa munificence façonna tellement à ses volontés les rois des Écossais qu'ils ne l'appelaient pas autrement que leur seigneur, et se disaient ses sujets et ses serviteurs.

On a encore de leurs lettres, où ils lui témoignent en ces termes toute leur affection. Haroun, prince des Perses et maître de presque tout l'Orient, à l'exception de l'Inde, lui fut ainsi d'une si parfaite amitié qu'il préférait sa bienveillance à celle de tous les rois et potentats de l'univers, et le regardait comme seul digne qu'il l'honorât par des marques de déférence et des présents. Aussi quand les envoyés que Charles avait chargés de porter des offrandes au saint sépulcre du Seigneur et Sauveur du monde, et aux lieux témoins de sa résurrection [en 800], se présentèrent devant Haroun et lui firent connaître les désirs de leur maître, le prince des Perses ne se contenta pas d'acquiescer à la demande du roi, mais il lui accorda la propriété des lieux, berceau sacré de notre salut, et voulut qu'ils fussent soumis à sa puissance.

Lorsque ensuite ces députés revinrent, Haroun les fit accompagner d'ambassadeurs qui apportèrent à Charles, outre des habits, des parfums, et d'antres riches produits de l'Orient, les plus magnifiques présents; c'est ainsi que peu d'années auparavant, à la prière du roi, Haroun lui avait envoyé le seul éléphant qu'il eût alors. Les empereurs de Constantinople, Nicéphore, Michel, et Léon sollicitèrent aussi de leur propre mouvement son alliance et son amitié; le titre d'empereur qu'il avait pris les inquiétait, et leur faisait redouter qu'il ne voulût leur enlever l'empire; mais il conclut avec eux un ferme traité, tellement qu'il ne resta entre eux et lui aucun motif de division. La puissance des Francs était toujours en effet un objet de crainte pour les Romains et les Grecs, et de là vient ce proverbe qui avait cours en Grèce et qui subsiste encore: «Ayez le Franc pour ami et non pour voisin.»

Quoiqu'ardent à agrandir ses États, en soumettant à ses lois les nations étrangères, et quoique tout entier à l'exécution de ce vaste projet, Charles ne laissa pas de commencer et même de terminer en divers lieux beaucoup de travaux pour l'éclat et la commodité de son royaume.

Les plus remarquables furent, sans aucun doute, la basilique construite avec un art admirable, en l'honneur de la mère de Dieu, à Aix-la-Chapelle, et le pont de Mayence sur le Rhin. Il était long de cinq cents pas, car telle est la largeur du fleuve en cet endroit. Mais ce bel ouvrage périt un an avant la mort de Charles, un incendie le consuma; le roi pensait à le rétablir, et à employer la pierre au lieu du bois; mais la mort qui vint le surprendre l'en empêcha. Ce prince commença deux palais d'un beau travail; l'un non loin de Mayence, près de la maison de campagne nommée lngelbeim; l'autre à Nimègue sur le Wahal, qui coule le long de file des Bataves au midi. Mais il donna surtout ses soins à faire reconstruire, dans toute l'étendue de son royaume, les églises tombées en ruines par vétusté; les prêtres et les moines qui les desservaient eurent ordre de les rebâtir, et des commissaires furent envoyés par le roi pour veiller à l'exécution de ses commandements.

Voulant réunir une flotte pour combattre les Normands, il fit fabriquer des vaisseaux sur tous les fleuves de la Gaule et de la Germanie qui se jettent dans l'Océan septentrional; et comme les Normands dévastaient dans leurs courses continuelles les côtes de ces deux contrées, il plaça, dans tous les ports et les embouchures de fleuves propres à recevoir des navires, quelques bâtiments en station, et coupa ainsi le chemin à l'ennemi.

Les mêmes précautions, il les employa sur toute la côte de la province Narbonnaise, de la Septimanie et de l'Italie jusqu'à Rome, contre les Maures, qui tout récemment avaient tenté d'exercer leurs pirateries dans ces parages. Grâces à ces mesures, tant. que ce monarque vécut, on n'eut à souffrir aucun dommage grave, en Italie de la part des Maures, dans la Gaule et la Germanie, de celle des Normands; les premiers cependant prirent par trahison, et ruinèrent Civita Vecchia, ville d'Étrurie; et les seconds ravagèrent dans la Frise quelques îles contiguës aux côtes de la Germanie.

Liens



Accueil --> Liste des articles d'histoire -->  Vie de Charlemagne par Eginhard - 3eme partie



Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px

Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités flux rss