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Vie de Charlemagne par Eginhard

par Eginhard

4° et dernière partie

Couronnement par le pape Léon

Le désir de remplir ce pieux devoir ne fut pas le seul motif du dernier voyage que Charles fit à Rome. Le pape Léon, que les Romains accablèrent de mauvais traitements, et auquel ils arrachèrent les yeux et coupèrent la langue, se vit contraint de recourir à la protection du roi. Ce prince vint donc pour faire cesser le trouble, et remettre l'ordre dans l'État de l'Église [en 800].

Dans ce but, il passa l'hiver à Rome, et y reçut à cette époque le nom d'Empereur et d'Auguste. ll était d'abord si loin de desirer cette dignité, qu'il assurait que, quoique le jour où on la lui conféra fût une des principales fêtes de l'année, il ne serait pas entré dans l'église, s'il eût pu soupçonner le projet du souverain pontife. Les empereurs grecs virent avec indignation que Charles eût accepté un tel titre; lui n'opposa qu une admirable patience à leur mécontentement, leur envoya de fréquentes ambassades, les appela ses frères dans ses lettres, et triompha de leur humeur par cette grandeur d'ame qui l'élevait sans contredit de beaucoup au-dessus d'eux.

Harmonisation des lois et du langage

Les Francs sont régis, dans une foule de lieux, par deux lois très-différentes [Eginhard veut parler sans doute des lois saliques et ripuaires]. Charles s'était aperçu de ce qui y manquait. Après donc que le titre d'empereur lui eut été donné, il s'occupa d'ajouter à ces lois, de les faire accorder dans les points où elles différaient, de corriger leurs vices et leurs funestes extensions. Il ne fit cependant, à cet égard, qu'augmenter ces lois d'un petit nombre de capitulaires qui demeurèrent imparfaits.

Mais toutes les nations soumises à son pouvoir n'avaient point eu jusqu'alors de lois écrites: il ordonna d'écrire leurs coutumes, et de les consigner sur des registres; il en fit de même pour les poèmes barbares et très anciens qui chantaient les actions et les guerres des anciens rois, et de cette manière les conserva à la postérité. Une grammaire de la langue nationale fut aussi commencée par ses soins. Les mois avaient eu jusqu'à lui, chez les Francs, des noms moitié latins et moitié barbares; Charles leur en donna de nationaux.

Précédemment encore à peine pouvait-on désigner quatre vents par des mots différents; il en distingua douze qui avaient chacun son nom propre. C'est ainsi qu'il appela janvier wintermanoht, février hormunc, mars lenzinmanoht, avril ostermanoht, mai winnemanoht, juin prahmanoht, juillet hewimanoht, août aranmanoht, septembre zvintumanoht, octobre winduntmemanoht, novembre herbistmanoht, décembre helmanoht. Quant aux vents, il nomma celui d'est ostroniwint, l'eurus ostsundroni, le vent de sud-est sundostroni, celui du midi sundroni, l'auster africain sundwestroni, l'africain westsundroni, le zéphire westroni, le vent de nord-ouest westnordroni, la bise nordwestroni, le vent de nord nordroni, l'aquilon nordostroni, et le Vulturne ostnordroni.

Couronnement de Louis, roi d'Aquitaine

Vers la fin de sa vie, et quand déjà la vieillesse et la maladie l'accablaient [en 813], Charles appela près de lui son fils Louis, roi d'Aquitaine, le seul des enfants mâles qu'il avait eus d'Hildegarde qui fût encore vivant.

Ayant en même temps réuni, de toutes les parties du royaume des Francs, les hommes les plus considérables dans une assemblée solennelle, il s'associa, du consentement de tous, ce jeune prince, l'établit héritier de tout le royaume et du titre impérial, et, lui mettant le diadême sur la tête, il ordonna qu'on eût à le nommer empereur et auguste. Ce parti fut applaudi de tous ceux qui étaient présents, parut inspiré d'en haut pour l'avantage de l'État, rehaussa la majesté de Charles, et frappa de terreur les nations étrangères.

Ayant ensuite envoyé son fils en Aquitaine, le roi, suivant sa coutume, et quoique épuisé de vieillesse, alla chasser, dans les environs de son palais d'Aix. Après avoir employé la fin de l'automne à cet exercice, il revint à Aix-la-Chapelle au commencement de novembre pour y passer l'hiver. Au mois de janvier [en 815], une fièvre violente le saisit, et il s'alita.

Dès ce moment, comme il le faisait toujours quand il avait la fièvre, il s'abstint de toute nourriture, persuadé que la diète triompherait de la maladie, ou tout au moins l'adoucirait; mais à la fièvre se joignit une douleur de coté que les Grecs appellent pleurésie. Le roi, continuant toujours de ne rien manger, et ne se soutenant qu'à l'aide d'une boisson prise encore en petite quantité, mourut, après avoir reçu la communion, le septième jour depuis qu'il gardait le lit, le 28 janvier, à la troisième heure du jour, dans la soixante-douzième année de sa vie et la quarante-septième de son règne.

Son corps lavé et paré solennellement, suivant l'usage, fut porté et inhumé dans l'église, au milieu des pleurs et du deuil de tout le peuple. On balança d'abord sur le choix du lieu où on déposerait les restes de ce prince qui, de son vivant, n'avait rien prescrit à cet égard; mais enfin on pensa généralement qu'on ne pouvait l'enterrer plus honorablement que dans la basilique que lui-même avait construite dans la ville, et à ses propres frais, en l'honneur de la sainte et immortelle Vierge, mère de Dieu, comme un gage de son amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Ses obsèques eurent lieu le jour même qu'il mourut. Sur son tombeau, on éleva une arcade dorée, sur laquelle on mit son image et son épitaphe. Celle-ci porte :

Sous cette pierre, gît le corps de Charles, grand et orthodoxe empereur, qui agrandit noblement le royaume des Francs, régna heureusement, quarante-sept ans, et mourut septuagénaire le 5 des calendes de février, la huit cent quatorzième année de l'incarnation du Seigneur, à la septième indiction.

Des prodiges annoncent la fin de son règne

Plusieurs prodiges se firent remarquer aux approches de la fin du roi, et parurent non seulement aux autres, mais à lui-même, le menacer personnellement. Pendant les trois dernières années de sa vie il y eut de fréquentes éclipses de soleil et de lune; on vit durant sept jours une tache noire dans le soleil; la galerie que Charles avait bâtie à grands frais pour joindre la basilique au palais s'écroula tout à coup jusque dans ses fondements le jour de l'ascension de Notre-Seigneur.

Le pont de bois que ce prince avait jeté sur le Rhin à Mayence, ouvrage admirable, fruit de dix ans d'un immense travail, et qui semblait devoir durer éternellement, fut de même consumé soudainement et en trois heures de temps par les flammes, et, à l'exception de ce que couvraient les eaux, il rien resta pas un seul soliveau. Lors de sa dernière expédition dans la Saxe contre Godefroi, roi des Danois [en 810], Charles étant un jour sorti de son camp avant le lever du soleil et commençant à se mettre en marche, il vit lui-même une immense lumière tomber tout à coup du ciel, et, par un temps serein, fendre l'air de droite à gauche; pendant que tout le monde admirait ce prodige et cherchait ce qu'il présageait, le cheval que montait l'empereur tomba la tête en avant et le jeta si violemment à terre qu'il eut l'agrafe de sa saye arrachée ainsi que le ceinturon de son épée rompu, et que, débarrassé de ses armes par les gens de sa suite qui s'empressèrent d'accourir, il ne put se relever sans appui; le javelot qu'il tenait alors par hasard à la main fut emporté si loin qu'on le trouva tombé à plus de vingt pieds.

Le palais d'Aix éprouva de plus de fréquentes secousses de tremblement de terre, et dans les bâtimens qu'occupait le roi on entendit craquer les plafonds. Le feu du ciel tomba sur la basilique, où dans la suite ce prince fut enterré, et la boule dorée qui décorait le faîte du toit, frappée de la foudre, fût brisée et jetée sur la maison de l'évêque contiguë à l'église.

Dans cette même basilique, sur le bord de la corniche qui régnait autour de la partie inférieure de l'édifice entre les arcades du haut et celles du bas, était une inscription de couleur rougeâtre indiquant l'auteur de ce monument; dans la dernière ligne se lisaient les mots Charles Prince; quelques personnes remarquèrent que l'année où mourut ce monarque et peu de mois avant son décès, les lettres qui formaient le mot Prince étaient tellement effacées qu'à peine pouvait-on les distinguer. Quant à lui il ne témoigna nulle crainte de ces avertissements d'en haut, ou les méprisa comme s'ils ne regardaient en aucune manière sa destinée.

Le testament de Charlemagne

Il avait résolu de faire un testament pour régler ce qu'il voulait laisser à ses filles et aux enfants nés de ses concubines; mais il ne put achever cet acte commencé trop tard. Trois ans avant sa mort, il régla le partage de ses trésors, de son argent, de sa garde-robe et du reste de son mobilier en présence de ses familiers et de ses ministres, et requit leur témoignage, afin qu'après sa mort la répartition de tous les objets, faite par lui et revêtue de leur approbation, fût maintenue. Il consigna ses dernières volontés sur les choses qu'il entendait partager ainsi dans un écrit sommaire dont voici l'esprit et le texte littéral;

Au nom de Dieu tout-puissant, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ici commencent la description et la distribution réglées par le très glorieux et très pieux seigneur Charles, empereur auguste, des trésors et de l'argent trouvés ce jour dans sa chambre, l'année, huit cent onzième depuis l'incarnation de notre seigneur Jésus-Christ, la quarante-troisième du règne de ce prince sur la France, la trente-sixième de son règne sur l'Italie, la onzième de l'Empire, indiction quatrième. Les voici telles qu'après une sage et mûre délibération il les arrêta et les fit avec l'approbation du Seigneur. En ceci, il a voulu principalement pourvoir d'abord à ce que la répartition des aumônes que les Chrétiens ont l'habitude de faire solennellement sur leurs biens, eût lieu pour lui, et de son argent, avec ordre et justice; ensuite à ce que ses héritiers pussent connaître clairement et sans aucune ambiguité ce qui doit appartenir à chacun d'eux, et se mettre en possession de leurs parts respectives sans discussion ni procès. Dans cette intention et ce but, il a divisé d'abord en trois parts tous les meubles et objets, soit or, argent, pierres précieuses et ornements royaux, qui, comme il a été dit, se trouveront ce jour dans sa chambre. Subdivisant ensuite ces parts, il en a séparé deux en vingt-et-un lots, et a réservé la troisième dans son intégrité. Des deux premières parts, il a composé vingt-et-un lots, afin que chacune des vingt-et-une villes qui, dans son royaume, sont reconnues comme métropoles, reçoive à titre d'aumône, par les mains de ses héritiers et amis, un de ces lots. L'archeveque qui régira alors une église métropolitaine, devra, quand il aura touché le lot appartenant à son église, le partager avec ses suffragants de telle manière que le tiers demeure à son église, et que les deux autres tiers se divisent entre ses suffragants. De ces lots formés des deux premières parts, et qui sont au nombre de vingt-et-un, comme les villes reconnues métropoles, chacun est séparé des autres, et renfermé à part dans une armoire, avec le nom de la ville à laquelle il doit être porté. Les noms des métropoles auxquelles ces aumônes ou largesses doivent être faites, sont Rome, Ravenne, Milan, Fréjus, Gratz, Cologne, Mayence, Juvavum, aujourd'hui Salzbourg, Trèves, Sens, Besançon, Lyon, Rouen, Rheims, Arles, Vienne, Moustier dans la Tarentaise, Embrun, Bordeaux, Tours et Bourges. Quant à la part qu'il a décidé de conserver dans son intégrité, son intention est que, les deux autres étant divisées en lots, ainsi qu'il a été dit, et enfermées sous scellé, cette troisième serve aux besoins journaliers, et demeure comme une chose que les liens d'aucun voeu n'ont soustraite à la possession du propriétaire, et cela tant que celui-ci restera en vie, ou jugera l'usage de cette part nécessaire pour lui; mais après sa mort ou son renoncement volontaire aux biens du siècle, cette part sera subdivisée en quatre portions: la première se joindra aux vingt-et-un lots dont il a été parlé ci-dessus; la seconde appartiendra aux fils et filles du testateur et aux fils et filles de ses fils, pour être partagée entre eux raisonnablement et avec équité: la troisième se distribuera aux pauvres, suivant l'usage des Chrétiens; la quatrième se répartira de la même manière, et à titre d'aumône, entre les serviteurs et les servantes du palais, pour servir à assurer leur existence. À la troisième part du total entier, qui, comme les deux autres, consiste en or et argent, on joindra tous les objets d'airain, de fer et d'autres métaux, les vases, ustensiles, armes, vêtemens, tous les meubles, soit précieux, soit de vil prix, servant à divers usages, comme rideaux, couvertures, tapis, draps grossiers, cuirs, selles, et tout ce qui, au jour de la mort du testateur, se trouvera dans son appartement et son vestiaire, et cela pour que les subdivisions de cette part soient plus considérables, et qu'un plus grand nombre de personnes puisse participer aux aumônes. Quant à sa chapelle, c'est-à-dire tout ce qui sert aux cérémonies ecclésiastiques, il a réglé que, tant ce qu'il a fait fabriquer ou amassé lui-même que ce qui lui est revenu de l'héritage paternel, demeure dans son entier, et ne soit pas partagé. S'il se trouvait cependant des vases, livres, ou autres ornements qui bien évidemment n'eussent point été donnés par lui à cette chapelle, celui qui les voudra pourra les acheter et les garder en en payant le prix d'une juste estimation. Il en sera de même des livres dont il a réuni un grand nombre dans sa bibliothèque: ceux qui les désireront pourront les acquérir à un prix équitable, et le produit se distribuera aux pauvres. Parmi ses trésors et son argent, il y a trois tables de ce dernier métal et une d'or fort grande et d'un poids considérable. L'une des premières, qui est carrée, et sur laquelle est figurée la description de la ville de Constantinople, on la portera, comme l'a voulu et prescrit le testateur, à la basilique du bienheureux apôtre Pierre à Rome, avec les autres présents qui lui sont assignés; l'autre, de forme ronde, et représentant la ville de Rome, sera remise à l'évêque de l'église de Ravenne; la troisième, bien supérieure aux autres par la beauté du travail et la grandeur du poids, entourée de trois cercles, et où le monde entier est figuré en petit et avec soin, viendra, ainsi que la table d'or qu'on a dit être la quatrième, en augmentation de la troisième part à répartir tant entre ses héritiers qu'en aumônes.

Cet acte et ces dispositions, l'empereur les fit et les régla en présence des évêques, abbés et comtes qu'il put réunir alors autour de lui, et dont les noms suivent: Évêques: Hildebald, Richulf, Arne, Wolfer, Bernoin, Laidrade, Jean, Théodulf, Jessé, Hetton, Waldgand. Abbés: Friedgis, Audoin, Angilbert, Irmine. Comtes: Wala, Meginhaire, Othulf, Etienne, Unroch, Burchard, Méginhard, Hatton, Richwin, Eddon, Erchangaire, Gérold, Béra, Hildigern, Roculf. Toutes ces volontés, Louis, fils de Charles, qui lui succéda par l'ordre de la divine Providence, et vit cet écrit, apporta le soin le plus religieux à les exécuter, aussi promptement qu'il fut possible, après la mort de son père.

Source

EGINHARD, «Vie de Charlemagne», Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, édit. par M. Guizot, 1824



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