Le Cercle Médiéval


Le drap au Moyen-Âge

Par Eugène Viollet-le-Duc

DRAP, s. m. Pièce d'étoffe plus ou moins riche, que l'on posait sur le cercueil d'un mort, ou que l'on jetait sur le corps d'un chevalier, d'un noble tué dans une bataille, avant de l'ensevelir. Quand Charles de Blois est tué devant le château d'Alroy, le comte de Montfort dit à ses chevaliers :

« ..... Seignor, aller cerchant
Le ber Charles de Bloiz, qui est mort en ce champ ;
Et puis le renderay aux gentilz (bourgeois) de Guingamp.
Adont le fist partir tost et incontinant
Et couvrir d'un drap d'or, à loi d'omme poissant.
.... (1)»

Dans la tapisserie de Bayeux, on voit la bière du roi Edward portée par huit hommes ; elle est couverte d'un drap très-riche et qui tombe de chaque côté du cercueil. Ces draps semblent n'avoir été, jusqu'au XIVe siècle, qu'une pièce d'étoffe recouvrant les parties latérales de la châsse ou bière ; plus tard, ils furent composés de pièces cousues et enveloppant la bière tout entière comme une housse, ainsi que le fait voir la fig. 1, copiée sur une vignette d'un manuscrit du XVe siècle (2). Ce drap est noir, rehaussé d'or ; il est coupé suivant la forme et la dimension du cercueil et tombe largement tout autour.

Tapisserie de Bayeux, la bière du roi Edward portée par huit hommes

Fig. 1

Aux XVe et XVIe siècles, il était d'usage de garnir les draps mortuaires d'écussons armoyés aux armes du défunt. Lorsque le personnage était un roi ou un puissant seigneur possesseur de nombreux domaines, on plaçait autour de la bière, sur le drap, les armes de chaque fief. Une croix, ordinairement blanche, était cousue sur l'étoffe, et les insignes de la qualité du mort étaient déposés au centre de la croix. La fig. 2 donne un exemple de cette disposition.

Exemple de disposition du drap

Fig. 2

Il ne paraît pas que le noir fût adopté pour les draps mortuaires ou poëles avant le XVIe siècle (3) ; dans les peintures, les vitraux et les miniatures, les cercueils sont recouverts de draps d'or, chamarrés ou unis, de couleur avec dessins, avec ou sans croix ; au XIVe siècle particulièrement, les draps adoptent les émaux des armes du défunt, car le poêle était surtout destiné à faire connaître sa qualité. Ce ne fut guère qu'au XVIe siècle que les poëles furent invariablement noirs et blancs, excepté pour les personnages souverains, qui conservèrent l'or, la pourpre, le violet ou le rouge.

  1. Variante : « En bière et bien couvert droitement à Guingant. » Chronique. de Bertrand. du Guesclin, XIVe siècle, t. I, vers 6318 et suiv. Coll. des doc. inédite sur l'histoire de France.
  2. Le Romuléon, Man. de la bib. imp., n° 6984. Convoi de César.
  3. Pour la sépulture de l'abbé de Saint-Ouen de Rouen, Jehan Marc-d'Argent, « furent achetés deux biaux draps d'or qui furent bordés de noirs cendaux. » (Chron. de Saint-Ouen, recueillie par Franc. Michel, p. 24.)



Retour à la liste des articles
Retour à la page d'accueil