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Les Vikings - Périple en mer du Nord

Une nature froide et sauvage, baignée par la mer, les lacs et les marécages.
Tels sont les paysages, grandioses mais hostiles, que vont traverser Olàfr et
Thorkell, deux marins « norvégiens » de la fin du VIIIe siècle, durant leur
épopée marchande autour de la Scandinave. Récit.

Fjord de Geiranger Norvège

Fjord de Geiranger Norvège

La brume, depuis le début de l'après-midi, s'est encore épaissie, enveloppant lentement la silhouette des montagnes qui gardent l'entrée du fjord. La nuit commence à tomber. Olàfr réajuste en frissonnant son épaisse tunique de laine. Digne Viking du Trondelag, élevé sur les terres sauvages du nord de la Norvège, il ne craint pas le froid ; mais l'hiver, en cette année qui marque la fin de VIIIe siècle, semble ne jamais vouloir finir. Son embarcation se tord au gré des vagues, épousant la lame dans de lourds gémissements. Sans relâche, l'équipage écope l'eau qui envahit ça et là ce navire bas de bordage et démuni de pont: les marins s'y mêlent aux caisses de marchandises, vivres, tonneaux d'eau plus ou moins potable, chiens molosses et même une vache. L'odeur acre de la sueur accompagne celle de la bouse et des embruns.

D'une main toujours sûre, Olàfr manœuvre la rame à manche court, fixée par une attache de cuir, qui fait office de gouvernail, à tribord arrière. D'un œil expert, il jauge également le vent qui s'engouffre avec force dans la grande voile rectangulaire, malmenant les cordages.

Un outil indispensable

Olàfr est fier de ce Knörr, rapide et maniable, qu'il a acheté avec l'aide de Thorkell, son associé. Outil précieux tant l'eau, dans ces rudes contrées de la vaste Scandinavie, est omniprésente : fjords, lacs, rivières ou marécages. .. Les lambeaux de terre n'y sont, en définitive, que parenthèses. Et les trajets à pied, à travers les montagnes, toujours fastidieux et incertains.

Si Olàfr et Thorkell s'entendent comme larrons en foire, les deux hommes n'en sont pas moins physiquement très différents. Petit, brun et aux yeux foncés, Olàfr fait figure de nain face à l'immense Thorkell, aux cheveux blonds et aux yeux couleur de ciel. Mais tous deux font partie du même lag ; ils ont grandi au cœur des mêmes forêts froides et humides. Et les liens qui les unissent en sont indestructibles.

La saison, cette année encore, s'annonce plutôt bonne. Et nos deux marchands comptent bien prendre leur part de cette prospérité qui, depuis maintenant près d'un siècle, accompagne les peuples vikings. Leur route les mènera donc vers le sud, loin de cette étroite bande de terre, coincée entre les eaux poissonneuses de la mer du Nord et les sommets escarpés dont on aperçoit, été comme hiver, les neiges éternelles. Loin de ces plateaux rocailleux et constamment gelés qui marquent le début du royaume des rennes et des Lapons.

Prenant garde de s'écarter trop loin de la côte, Olàfr longe les falaises abruptes qui se jettent dans la mer et découpent le littoral en profonds bras de mer. L'esthétique y gagne, assurément. Mais ces paysages en lambeaux, ces vallées escarpées coincées entre mer et montagnes, isolent plus qu'elles ne rassemblent. Et Thorkell se désespère de voir un jour la douzaine de roitelets qui s'y disputent la terre se rassembler en une grande et forte nation.

Il devine, au loin, la présence de quelques fermes, aux épaisses parois de bois et au toit d'écorce de bouleau recouverte de tourbe. Sporadique présence humaine, dispersée sur les maigres parcelles de terre cultivable. L'épaisse calotte de glace qui recouvrait la péninsule Scandinave pendant la dernière glaciation a érodé les sols devenus minces, caillouteux, détrempés et stériles. Thorkell connaît la peine qu'ils exigent pour en tirer un peu d'orge ou de seigle. Quant au climat - océanique le long de la côte -, il ne favorise guère non plus les cultures, avec ses étés frais malgré des hivers plutôt doux en bord de mer.

Knörr au Musée des navires vikings à Bygdøy

Knörr au Musée des navires vikings à Bygdøy, une péninsule à l'ouest de la ville d'Oslo en Norvège.
Il fait partie du musée historique de l'Université d'Oslo, et abrite essentiellement les navires vikings
trouvés à Tune, Gokstad, et Oseberg.

Grâce aux courants tièdes du Gulf Stream, les eaux norvégiennes sont libres de glace toute l'année. Mais dans les montagnes de l'arrière-pays, les hivers sont rudes. Pourtant, Olàfr et Thorkell savent qu'ils ne sont pas les plus mal lotis. Le Tr0ndelag, avec le Vestfold, tout au sud, sont les deux régions les plus fertiles et les plus peuplées de Norvège. Elles se livrent donc, sans surprise, une concurrence sans merci. Mais les deux associés n'ont que faire de ces vaines rivalités. Ils vont là où le négoce prospère. Et pour l'heure, la fortune sourit à Kaupangr, comptoir établi au fond d'une baie, à proximité de l'embouchure de ce qui deviendra plus tard le fjord d'Oslo, où l'influence danoise se fait chaque année plus forte. Après ces longs jours de cabotage le long des côtes désertes, l'équipage sort avec plaisir les longues rames de pin qui permettront au navire d'accoster.

La place grouille de monde : plusieurs centaines de personnes y sont venues faire commerce. Des Angles, des Francs, des Danes et même quelques Arabes. Digérant avec peine le lourd repas qui a fêté l'arrivée, Thorkell déambule au milieu des étals de céramique rhénane, frisonne et slave. Sans ménagement, il repousse un artisan qui insiste pour lui vendre de la verrerie. Son choix se porte plutôt sur du bronze d'Angleterre, de bien meilleure qualité, qu'il va troquer contre quelques-unes de ses peaux de phoques.

De son côté, Olàfr a négocié de menues réparations sur le navire, plus une cargaison d'objets en stéatite et des outils en métal. Il paie comme à l'accoutumée : en hachant quelques bijoux d'argent dont la valeur est fixée au poids. Olàfr n'aime guère utiliser, contrairement aux marchands du sud, ces petits disques de métal qu'ils appellent « monnaie ».

C'est pourtant vers ce sud qu'Olàfr et Thorkell, après quelques jours d'escale, décident de pousser leur voile. Vers le Jutland, terre des Danes; mais où l'on croise aussi, à l'occasion, des Frisons, des Saxons et même des Wendes d'origine slave. Si les vents sont propices, le knörr pourra atteindre Ribe, au sud-ouest de la péninsule danoise.

Le Trondelag et le Vestfold sont les régions les plus fertiles de Norvège; la concurrence est réelle

Le changement de décor est total. Les fjords encaissés et les paysages de montagne ont cédé la place à d'immenses plaines monotones battues par le vent. Point culminant: 173 mètres. Mais la terre y est moins ingrate, surtout sur la partie orientale, qui est riche en alluvions. Les campagnes y sont donc plus riches et plus peuplées.

Cette « virée » méridionale n'est pas pour déplaire à Olàfr. Car si le printemps commence à peine, l'air y est déjà beaucoup plus doux qu'aux abords du cercle polaire. L'hiver, ici, n'est jamais très froid, même s'il y est long... comme partout ailleurs en Scandinavie.

Conséquence, sans doute, des facilités qu'offre la plaine, le pouvoir royal y est plus fort qu'en Norvège. Il imprime sa marque sur l'ensemble du Jutland et la myriade d'îles qui l'entourent, mais aussi sur une partie de la Germanie et sur les provinces suédoises de Scanie, Smâland, Blekinge et Halland.

Le knôrr longe les plaines sablonneuses de la côte nord-ouest du Danemark. L'arrière-pays, qu'Olàfr et Thorkell devinent au-delà des hautes dunes qui barrent le rivage, n'est qu'une succession de terres humides, formées à l'âge de la pierre par les alluvions de la mer de Litorina. Le vent y souffle en rafales sur un paysage de collines, morcelées d'immenses marais à sphaignes emplis d'une tourbe qui atteint jusqu'à 5 mètres d'épaisseur. Olàfr suit avec attention la lagune basse et sableuse. Se fiant, malgré le ciel bas, aux sommets blancs des dunes pour suivre cette côte que la mer ne cesse de ronger.

Autour de la péninsule

Le knörr parvient enfin à Ribe. Mais les affaires y sont mauvaises. Furieux, Olàfr et Thorkell n'y restent guère plus d'une semaine. Ils repartent déçus, et refont le tour de la péninsule danoise jusqu'à l'extrême sud-est, Hedeby, autre grande place du commerce Scandinave. Un parcours, le long de la côte orientale, jalonné de grandes forêts qui couvrent une plaine argileuse et calcaire.

Le knôrr entre dans les eaux de la Baltique, dont l'entrée est encombrée d'une multitude d'îlots entre lesquelles Olàfr doit réussir à frayer son chemin. Comme l'île de Fionie, entre autres, où les vallons commencent à fleurir sous le soleil de printemps.

Les paysages sont à présent plus variés, les falaises morainiques alternant avec les plaines sableuses et les gras pâturages. L'expédition prend lentement des allures de villégiature. Et le navire ne semble guère pressé d'atteindre Hedeby, où il finit malgré tout par accoster.

Olàfr et Thorkell se laissent enivrer par le tohu-bohu de cette métropole, grosse de plusieurs milliers d'habitants durant la saison commerciale. Le dialecte, ici, a des accents germaniques, mais nos deux marchands nordiques parviennent malgré tout à se faire comprendre et à réaliser de juteuses affaires qui compensent leurs précédents déboires.

La tension, pourtant, est palpable. Les incursions franques, au sud, obligent le roi danois Godfred à réagir. Sans doute finira-t-il par mener une offensive. Mais Olàfr et Thorkell se soucient peu de ces peuples du Sud, dont les richesses sont, paraît-il, immenses et - à en croire la rumeur - bien mal gardées. Un jour, peut-être, iront-ils le vérifier.

Pour l'heure, ils préfèrent poursuivre leur périple autour de la Scandinavie. Leur bateau plein d'une nouvelle cargaison, ils contournent à présent le sud de l'immense île de Seeland, qui barre l'entrée de la Baltique. D'impressionnantes murailles de craie y surplombent la mer, à 130 m de hauteur. Hélas, malgré les suppliques de Thorkell, ils ne pousseront pas jusqu'à Bornholm, vers l'est, dont le microclimat est - paraît-il - exceptionnel.

Ils remontent donc vers le nord et atteignent la Scanie, pointe sud de la Suède et prolongement naturel des plaines danoises. Un peu plus au nord, dans l'arrière-pays, toute la région n'est plus que lacs, marais et forêts épaisses qui, ajoutés au relief montagneux qui sépare la Suède et la Norvège, ne facilitent pas la circulation. Les longs voyages à terre y ont donc lieu durant l'hiver, lorsque le gel des marécages rend le terrain plus praticable.

La forêt est dominée par deux grands lacs: Vattern et Vanern, autour desquels règne le peuple des Gotar. L'autre grand royaume rival, celui des Sviar, commence plus à l'est, au nord du lac Mâlar, dans l'Uppland, et autour du centre de culte de Gamla Uppsala. Le climat y est plus sec qu'en Norvège, la chaîne montagneuse arrêtant les précipitations venant de l'ouest. Le soleil, en été, n'y est pas avare, mais le GulfStream n'est plus là pour tempérer les rigueurs de l'hiver.

L'île de Gotland est bientôt en vue, plaque tournante du commerce dans la Baltique. Nombreux sont les marchands qui en sont partis pour fonder des comptoirs à Liepaja (Lettonie) ou Apude (Lituanie). La langue du cru, le gutnisk, n'est pas très familière à Olàfr. C'est donc Thorkell qui mène les transactions, tandis que son compagnon contemple les grandes pierres aux airs de champignons qui ont été érigées et où figurent des scènes de guerre et des représentations divines.

Par pure gourmandise - d'aucuns diront cupidité -, ils prolongent leur voyage jusqu'à Birka, plus au nord. La chaleur du printemps a fait fondre la banquise qui emprisonne les eaux une partie de, l'hiver. Les interminables nuits d'hiver ont désormais laissé leur place à de longues journées ensoleillées. Mais les deux marchands n'iront pas plus loin: au-delà commencent les terres sauvages et désertes du Norrland. L'été va bientôt commencer. Il est grand temps, pour Olàfr le brun et Thorkell le blond, de rejoindre le Tr0ndelag où leur ferme les attend.




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