Le Cercle Médiéval


Les origines du monachisme

L'exemple vient d'ailleurs : au IVe siècle, des chrétiens de
la vallée du Nil se retirent de la société pour se consacrer
à la prière et à la mortification. Petit à petit, ces anachorètes
se réunissent et décident, en instituant des règles, d'organiser
la vie en communauté.

Par Nicolas Coulon et Philippe Descamps

Les premiers monastères occidentaux sont nés au IVe siècle. Soit huit siècles avant l'explosion monastique cistercienne et deux siècles avant même l'institution de la fameuse Règle de saint Benoît (480-547), patriarche des moines d'Occident et fondateur du célèbre monastère du mont Gassin (529). C'est ainsi que Martin (316-397), après avoir servi dans l'armée romaine, se retire du monde en 356. Devenu exorciste auprès de l'évêque de Poitiers Hilaire, il part ensuite en Italie où il rencontre Athanase, ancien patriarche d'Alexandrie, puis dans l'île de Gallinaria non loin de la Corse pour y vivre en ermite. De retour en Gaule, il s'installe à Ligugé près de Poitiers puis à Marmoutier près de Tours, en 372. Sa vie érémitique attire bientôt d'autres adeptes : la première communauté de type monastique apparaît ainsi en Occident. Quelques années plus tard, Augustin, évêque d'Hippone (près d'Annaba, ex-Bône, en Afrique du Nord) depuis 396, organise lui aussi une communauté dans laquelle les préceptes de la vie monastique se précisent: pauvreté, charité, assiduité à l'office. Sur cet exemple et sous l'autorité spirituelle d'Augustin, un couvent de moniales est bientôt fondé.

Le monastère de Qumrân en Israël

Un monastère dans le désert
Les premières expériences monastiques chrétiennes plongent peut-être leurs racines dans ces
communautés fermées du judaïsme. Au monastère de Qumrân (Israël), aux alentours duquel on a retrouvé
les manuscrits de la mer Morte, les esséniens (-IIe -Ie s.) avaient pour préceptes l'ascétisme, le célibat,
la communauté des biens...

Ces expériences sont restées ponctuelles en Europe. Et il faut attendre le Ve siècle pour parler d'un authentique essor du monachisme. Parmi les grandes réalisations de cette époque, il faut citer celle de ce riche Romain d'origine bordelaise, Paulin, qui se retire en 395 en compagnie de son épouse à Noie en Campanie. Tous deux, et chacun de leur côté, organisent des communautés de moines et de la prière et à la méditation. Mais c'est sans doute les œuvres d'Honorat et de Jean Cassien qui ont le plus marqué les débuts de ce Ve siècle et qui permettent de parler d'une véritable extension du monachisme occidental.

Honorât (v. 350-430) avait été faire l'apprentissage de la vie monastique en Grèce. À son retour, il s'installe sur une petite île portant aujourd'hui son nom au large de Cannes, à Lérins. Il est rapidement rejoint par nombre d'ermites pratiquant une forme sévère d'ascétisme. Les îlots de Lérins sont ainsi investis par ce que l'on peut alors véritablement appeler des moines, encadrés par plusieurs prélats, dont Gésaire, l'archevêque d'Arles. Peu de temps après, Jean Gassien (350-440), qui avait été auparavant moine à Bethléem et en Thébaïde, ainsi que membre du clergé de Constantinople, fonde trois monastères, dont celui de Saint-Victor à Marseille vers 415. Ses réflexions sur l'ascèse monastique ont eu une influence certaine dans l'institution du monachisme occidental.

L'apparition de ces communautés monastiques en Occident est toutefois le résultat avant tout de l'importation du modèle oriental. En exil à Trêves (336-337) puis à Rome (339-343), le patriarche d'Alexandrie, Athanase (296-373) rédige une Vie de saint Antoine dont la traduction en latin vers 370 exerce une influence considérable sur le monde lettré occidental: cette biographie constitue sans doute le premier traité de vie monastique. Saint Antoine (vers 251-356) s'est en effet établi vers 306 à l'est du Nil, dans le désert de Pispir, où il a élaboré un grand nombre d'exercices ascétiques. Cette pratique a rapidement attiré de nombreux disciples qui, bien que vivant dans des cabanes individuelles, n'en sont pas moins sous l'autorité spirituelle d'Antoine même lorsque celui-ci s'éloigne de la communauté pour s'installer sur le mont Qulzum près de la mer Rouge.

Abbaye d'Orval - Belgique

Les premiers moines à s'installer à Orval arrivèrent du sud de l'ltalie en 1070. Le seigneur de l'endroit,
le comte Arnould de Chiny, les accueillit et leur donna des terres prélevées sur son domaine.

Contemporain d'Athanase, Jérôme a lui aussi rapporté l'expérience orientale du monachisme en Occident. Parti d'Italie, celui-ci passe plusieurs années dans le désert de Chalcis en Syrie. Il y étudie la Bible, en rédige des commentaires et la traduit en latin (la Vulgate) avant de devenir le secrétaire du pape Damase, puis de fonder des couvents à Bethléem. Surtout, il rapporte de ce voyage en Orient une expérience monastique dont l'influence en Occident ne peut être négligée. Car c'est bien là que le monachisme chrétien est né. Il apparaît en Syrie, en Palestine, en Asie mineure mais essentiellement en Egypte dès la reconnaissance officielle par l'empereur Constantin dans l'édit de Milan en 313 de la pratique du christianisme. Dès cette époque de nombreux anachorètes (du grec anachorésis, « retraite ») et ermites s'installent entre Thèbes et le delta du Nil. Sans nul doute est-ce l'exemple de Paul (mort en 347) qui est le mieux connu. Fixé dans la région de Thèbes, il vit reclus dans une caverne et reçoit ceux qui souhaitent l'imiter ou recueillir ses conseils. Certes, ni la vie de Paul, ni celle d'Antoine, ne peuvent véritablement être appelées monastiques. C'est toutefois sur le modèle de ces vies érémitiques que les premiers monastères orientaux s'appuient. Ainsi, Pacôme (vers 292 - 346) fait-il construire dès 320 à Tabenissi en Thébaïde un monastère réunissant des moines obéissant à un abbé (de l'hébreu abbas, « père »). L'institution de Pacôme est remarquable à bien des égards. Il ne s'agit pas de la simple réunion de quelques ermites vivant ensemble mais isolément. Si le style de vie fondé sur la charité, l'humilité et la mortification, de ceux que l'on a pu appeler les « athlètes de Dieu » y est bien respecté, ce premier monastère exige d'autres règles.

La solitude en commun

II ne s'agit plus seulement d'offrir le cadre d'une ascèse individuelle à chacun des membres, il faut encore organiser la vie en commun. Le rythme de la journée et des prières et les diverses tâches quotidiennes nécessaires à la survie de la communauté doivent être réglementés.

Mais c'est à saint Basile, Père de l'Église grecque, que l'on doit sans conteste les fondements du monachisme oriental. La plupart des moines grecs et slaves s'inspirent d'ailleurs encore de nos jours de la Règle qu'il a instituée. Né à Césarée de Cappadoce en Asie Mineure vers 330, Basile baigne tout au long de sa jeunesse à la fois dans la culture hellénistique et dans la foi chrétienne. Souhaitant s'instruire du monachisme existant alors, il entreprend, autour de sa vingt-cinquième année, un long voyage qui le mène de l'Egypte à la Mésopotamie, et au cours duquel il a l'occasion d'observer de près l'institution de Pacôme. Il s'installe enfin à Anesi, où des disciples le suivent pour former une communauté qui se dote d'une Règle très précise. Devenu vers 370 archevêque de Césarée, il ne cesse pour autant de s'occuper du monastère qu'il a fondé. Cherchant à améliorer le modèle mis en place par Pacôme, il rédige pour ses moines les Règles (très exactement deux constitutions : Régula major et Régula brevior) qui organisent dans le moindre détail la vie monacale selon deux principes fondamentaux: l'obéissance à l'abbé et la communauté des moines, fondée sur la charité, dans la recherche spirituelle. Ces Règles font de l'institution basilienne bien plus qu'une simple réunion d'anachorètes. En régissant la vie en communauté et en en faisant le moyen de l'ascèse, elles contribuent à donner au monachisme sa cohérence et sa raison d'être!




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