Nom en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève - Frédéric Kiesel

Esprits de l'eau et du feu

Les rivières d'Ardenne ne sont pas toujours aimables. L'Ourthe et la Semois ont des tourbillons périlleux, annoncés par des rides à peine perceptibles à la surface de l'eau. Mais on y trouvait aussi, jadis, le repaire d'habitants plus dangereux que les brochets voraces ou les écrevisses à la pince dure. Les gouffres des rivières et même des puits étaient la demeure d'inquiétants personnages, esprits des eaux, dont on menaçait les enfants trop hardis qui se penchaient sur les puits ou jouaient près des berges.

C'étaient les bonshommes noirs nommés «pépés crotchets» ou, par corruption du mot «pépés cotchets» parce qu'ils attiraient le curieux au fond de l'eau au moyen d'un grand crochet. Là, ils lui suçaient le sang. Ils aimaient la vie chaude qui manque à leur froide nature semblable à celle des poissons. Ensuite, ils emprisonnaient l'âme dans une cruche dont l'ouverture est tournée vers le bas. Elle n'était libérée que si la cruche bascule.

D'autres «pépés», terrestres ceux-ci, hantaient les coins sombres des caves et des greniers. C'étaient de petits vieillards méchants et taquins, aimant faire peur et jouer des tours pendables, s'accrocher aux vêtements, faire des crocs-en-jambe.

On les voyait à peine, ces petits génies des vieilles pierres, des soupentes et des lieux souterrains. Mais on les sentait tout proches. Familiers, ils ne quittaient pas l'ombre des maisons.

Ce n'était pas le cas d'apparitions plus rares, mais foudroyantes, comme celles des charrettes jetant feu et flammes qui dévalaient la nuit les chemins escarpés. Il y en avait plusieurs à la file, formant un cortège infernal, et nul cheval ne les tirait. La dernière charrette descendait à rebours, les brancards en arrière.

Dans la côte de Rochehaut, en face de Laviot, nombre de paysans du XIXe siècle disaient avoir vu ces trains de véhicules se précipiter à grand fracas. Ils y étaient tellement habitués qu'ils ne s'en émouvaient plus le moins du monde. On ne sait d'où venaient les chariots, et l'on n'en retrouvait aucune trace dans le fond de la vallée, après leur passage. Mais ils étaient toujours accompagnés d'un petit homme coiffé d'un bonnet rouge, qu'on appelait pour cela la «roudge bounette». C'est lui qui lançait les charrettes dans leur course effrénée.

Esprit du feu, mais plus malicieux que dangereux, la « roudge bounette» du pays de Rochehaut semblait avoir une inimitié, bien naturelle, l'esprit l'eau. Ainsi, l'esprit s'amusait à faire de mauvaises farces au meunier de Hour. La nuit, il ouvrait la vanne de la chute d'eau, faisant tourner le moulin à vide. Le meunier devait se lever pour arrêter le mouvement. Parfois la «roudge bounette» répétait sa mauvaise plaisanterie plusieurs fois sur la même nuit, et le malheureux meunier n'osait plus fermer l'œil.

Des farces de ce genre étaient malaisées à déjouer. D'autant plus que le coupable pouvait, quand il le voulait, se rendre invisible. Dans certains villages allemands, on racontait que les bonnets des nains avaient ce pouvoir. Ainsi un homme dont les champs étaient pillés malgré sa surveillance vit un jour les épis tomber sous ses yeux, et le champ être comme piétiné sans qu'il y ait le moindre vent. Il n'avait pas sa canne, mais prit une branche et s'en fit une badine. Il eut l'idée de l'agiter devant lui en marchant dans les blés qu'il voyait se dévaster alentour. À mesure qu'il avançait, il vit apparaître une foule de nains qui ramassaient leur bonnet. À coups de badine, il les avait décoiffés, les privant ainsi de leur invisibilité. Démasqués, ils lui demandèrent pardon et s'enfuirent.




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