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La «peineuse messe» de Saint-Jacques

Les «Vals» de Marcellin La Garde.

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Marcellin La Garde est le type du conteur ardennais romantique. Curieux des récits de veillées, il était plus encore imaginatif. De son admiration pour Walter Scott, il tient son goût pour des histoires de chevalerie qui, souvent dépassent les traditions populaires. Né à Sougné-Remouchamps en 1818, il mena une triple carrière d'enseignant, de journaliste et d'auteur polygraphe. On lui doit une Histoire du duché de Luxembourg et une autre du duché de Limbourg. Outre différentes collaborations à des journaux, il rédigea seul, pendant dix-huit ans, L'Illustration européenne. Ses meilleurs textes pour la presse furent des récits régionaux. On les retrouve dans ses trois recueils des Vals ardennais: Amblève, Salm et Ourthe, qui assurent sa popularité, souvent créatrice de folklore.

Quand le christianisme pénétra dans nos contrées, il ne fut pas possible de doter chaque village d'un édifice du culte. En certains lieux d'Ardenne ou de l'Oesling luxembourgeois aux localités petites et dispersées, les autorités religieuses bâtissaient des sanctuaires en rase campagne pour ne pas faire de jaloux parmi les hameaux d'une paroisse. Dans le pays de Stavelot, ce fut le cas, entre Roanne, Moulin du Ruy, et Heilrimont, de Moustier, dont le vieil édifice roman fut détruit vers 1900, pour agrandir le cimetière qui l'entourait et transférer le siège de la paroisse à Moulin du Ruy.

La Gleize, dont le nom signifie «l'église», a groupé au fil des siècles un village autour de celle-ci, comme, entre autres, Léglise, au nord de la forêt d'Anlier.

Ce n'est pas le cas, à l'ouest de Trois-Ponts, pour Saint-Jacques, où peu de maisons avoisinent le sanctuaire régional. Là convergent, lors de la fête patronale, un pèlerinage et une foire très fréquentée. En dehors de cette occasion, la solitude entourant ce grand édifice battu par les vents lui donne un aspect insolite. C'est ce qui suscita une funèbre croyance populaire à laquelle fait écho un récit du Val de l'Amblève.

Marcellin La Garde, étant passé par Saint-Jacques un soir de Vendredi saint où soufflait une aigre bise, était allé se réchauffer dans un café du voisinage. Comme la violence d'une giboulée faisait trembler les vitres, il dit à la cabaretière:
- Mauvais temps pour les vivants et pour les morts!
- Pourquoi pour les morts? demanda la patronne.
- Mais vous savez comme moi qu'à minuit, ce soir, a lieu à Saint-Jacques la «peineuse messe».
La cabaretière haussa les épaules, mais La Garde savait de quoi il parlait. Dans son enfance, près de Remouchamps, la servante du curé lui avait raconté:
«La nuit qui suit la mort du Seigneur, dans chaque église isolée, les spectres des âmes du purgatoire se retrouvent à une messe dite par un ancien curé de la paroisse, mort, et venu pour eux du paradis. Si un vivant accepte d'y être l'acolyte, leur peine est effacée et ils peuvent entrer au ciel. Mais bien peu ont ce courage.
- Ne dites pas à notre curé ce que je vous ai raconté, avait ajouté la servante. Il dirait que je vous fourre des superstitions dans la tête.»

La Garde voulait savoir si la croyance en l'office des revenants existait aussi pour Saint-Jacques. Dans un coin du café un homme âgé hochait de la tête sans rien dire.
Comme ce vieux paysan sortait du café, La Garde le suivit, faisant avec lui le trajet vers le village voisin il noua la conversation. Impressionné par la tranquillité et l'air de bonne foi de son compagnon, il lui fut facile de mettre celui-ci sur le sujet:
- La «peineuse messe» n'est pas un conte pour les gens crédules, lui affirma cet homme, qui, visiblement, avait toute sa tête à lui. Quand j'étais tout jeune homme, j'avais un ami de mon âge, orphelin de père et de mère, et qui, c'est important, avait été enfant de chœur. Un soir du dimanche des Rameaux1, ce camarade nommé Remi allait d'Arbrefontaine à Dairomont lorsqu'il aperçut, sur la crête, une silhouette humaine assise sur un affleurement rocheux. À cette heure-là, dix heures du soir, cette rencontre n'avait rien de rassurant. Le jeune homme voulut l'éviter en prenant un chemin de traverse, mais il s'entendit interpeller d'une voix faible et affectueuse:
- Remi, n'aie pas peur, viens près de moi.
- Mais vous êtes un inconnu. Je ne sais pas ce que vous me voulez.
- Remi, je suis ton pauvre père, as-tu oublié ma voix, maintenant que je suis dans l'autre monde? Je suis en purgatoire. Je te demande de faire une bonne action qui nous vaudra le salut éternel, à moi et à bien des défunts de la famille et de la paroisse.
- Que voulez-vous que je fasse?
- Aller le Vendredi saint à minuit servir la « peineuse messe » à Saint-Jacques. Viens-y et fais sans faute ce qu'on te dira. Sinon, je sais que tu mourras dans l'année, allant nous rejoindre en purgatoire jusqu'à ce qu'un courageux ose faire ce dont tu aurais eu peur. Pense à nous, et pense à toi.»

Et la forme humaine, où Remi avait reconnu l'ombre de son père serra sa main d'une poignée glaciale, puis se dissipa, emportée comme une brume dans le vent.
Le jeune homme rentra chez lui, blanc comme un linge, et dut se mettre au lit, rendu malade par cette rencontre. Pourtant, décidé à accomplir ce que son père lui avait demandé, il monta très inquiet vers Saint-Jacques la nuit du Vendredi saint. Quand il fut dans le cimetière entourant l'église, un tumulte venu du sol, puis des bruits de pas et les murmures d'une foule invisible l'effrayèrent tellement qu'il se sauva. Mais un vivant qui passait par là fut témoin de sa fuite et reconnu Remi. Ce passant tardif était un garçon de Fosse, nommé Bietmé. Il était pieux, et avait scrupuleusement observé le jeûne du carême.
Étonné d'avoir vu Remi entrer en pleine nuit dans le cimetière, puis s'en sauver, il voulut comprendre ce qui se passait. S'approchant du sanctuaire, il vit la porte grande ouverte. Dans une clarté diffuse, des rangées de formes blanches étaient agenouillées sur les dalles. Des feux follets - on disait des «lumerottes» - tremblotaient au-dessus de chaque tête. Se sentant étranger, seul vivant, il pensa s'encourir loin de ces spectres. À cet instant l'un de ceux-ci le prit par la main et le conduisit vers l'autel, lui faisant comprendre par signes qu'il devait s'agenouiller.

Voyant qu'un curé-fantôme commençait, d'une voix presque inaudible, à célébrer l'office divin, Bietmé, naguère enfant de chœur, répondit machinalement à l'Introibo ad altare Dei murmuré par le révérend d'outre-tombe: Ad Deum qui laetiftcat juventutem meam (Je monterai à l'autel de Dieu - vers Dieu qui réjouit ma jeunesse).
Après ces paroles de l'Introït, il continua à servir le saint sacrifice, retrouvant les formules et les gestes familiers à son enfance. Sa vieille habitude du rituel romain lui fit oublier son angoisse.

Quand le prêtre eut dit l'Ite missa est (Allez, la messe est dite), il sembla à Bietmé qu'une brise passait entre les colonnes. Il crut distinguer des paroles venues de la centaine de bouches, jusqu'alors muettes, de l'assistance: Deo gratias (Rendons grâces à Dieu). Il resta immobile quelques instants, sidéré par la cérémonie qui venait de s'achever. Se retournant, il vit la nef vide, toutes «lumerottes» et linceuls disparus. Seul un rayon de lune pénétrant par la porte restée ouverte lui indiqua l'issue par laquelle il quitta le lieu de l'étonnante cérémonie.

Ainsi s'achevait, en substance le récit que le paysan confia à La Garde. Celui-ci lui demanda:
- Qu'est devenu Remi, qui n'eut pas le courage de servir la «peineuse messe»?
- Se faisant d'abord peu de soucis, il fut pris de terribles angoisses à l'automne. Des cauchemars le tourmentaient chaque nuit. J'en savais la cause, et j'ai tenté de le rassurer en lui disant que son père jouissait maintenant du repos dans le Seigneur. Rien n'y fit, avant la Noël, Remi mourut de «langueur».
Comme La Garde prenait congé de son interlocuteur, un villageois les croisa, saluant le vieil homme:
- Bonsoir Bietmé.

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