Nom en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève - Frédéric Kiesel

Le cordonnier ivrogne

Le cordonnier de Lavacherie n'était pas un mauvais homme. Il travaillait bien lorsqu'il était à jeun, mais il ne fallait pas qu'il touche au premier verre de goutte, car alors, il ne s'arrêtait plus.

Un soir de ducasse qu'il avait bu tout son soûl et bien plus au cabaret d'Amberloup, il voulut rentrer chez lui, alors qu'il ne marchait plus droit. Il y avait un obstacle redoutable sur son chemin. Il devait traverser l'Ourthe sur une passerelle qui n'était qu'une étroite planche humide. Or la rivière, gonflée par les pluies des jours derniers, était haute, tumultueuse et redoutable.

- Jamais je ne pourrai passer, se dit-il. Et il songea à retourner à Amberloup. Mais on rirait de lui si on le voyait revenir sans avoir osé passer l'eau.

Alors, se souvenant de ce que le bon curé de Lavacherie lui avait appris dans son enfance, il fit un vœu en s'engageant sur le pont:
- Si j'arrive au bout, Sainte Vierge, je vous promets que je ne boirai plus.

Sa marche étant raffermie, il parvient jusqu'au milieu de la passerelle et, déjà un peu rassuré, précise son vœu:
- Enfin plus tant...

Et, arrivé sans encombres sur l'autre rive, il achève:
- ... Aujourd'hui.

Le lendemain, après avoir dormi comme une masse, le cordonnier voulut retourner à Amberloup pour continuer à s'enivrer. Son aide, un jeune homme de Ramont, que l'on appelait pour cela «Ramonneux», tenta de l'en dissuader:
- Vous allez vous rendre malade. Les gens vont encore rire de vous. Et vous avez beaucoup de travail ici.

Mais le cordonnier, têtu comme on l'est en Ardenne - et ailleurs - n'en démordait pas:
- Je t'ai dit que j'irais, et j'irai!
- Allez-y si cela vous chante, lui dit son aide. Mais moi, je vous dis que vous serez vite de retour, foi de Ramonneux!

Le cordonnier s'en va d'un pas léger en sifflotant. Il ne perd pas de temps en route, car il est impatient de sentir à nouveau dans son gosier la bonne chaleur râpeuse du genièvre. Le clocher d'Amberloup est déjà en vue et voici, jeté sur une Ourthe plus paisible que la nuit précédente, le pont que le bonhomme a pu traverser grâce à un vœu qui n'était pas fort honnête.

Il n'a pas le temps de rire de ce bon tour joué au ciel qu'il se sent envahi par des centaines, des milliers de poux. Il a beau se gratter, tenter de les chasser, les maudites bestioles sont partout à la fois, sur son visage, sur ses mains, sous ses vêtements. Il n'a qu'une ressource, se plonger tout habillé dans la rivière où, la veille, il avait failli prendre un bain forcé. Immergé plusieurs fois jusqu'aux cheveux dans la rivière glacée, il ne parvient pas à décourager les poux, qui continuent de grouiller sur son corps.

Complètement affolé, il sort de l'eau et reprend le chemin du retour. Or voilà que, après quelques pas en direction de sa maison, la vermine se détache de lui comme s'il ne s'agissait que de grains de sable. Après une dizaine de mètres, il n'a plus un seul pou sur lui. Il ne lui reste que l'ennui d'avoir ses vêtements trempés.

Le Ramonneux le voit sans étonnement rentrer chez lui et lui dit simplement, avec un bizarre petit sourire:
- Vous voilà, patron. Je vous avais bien dit que vous ne seriez pas longtemps en chemin...




Retour à la liste des légendes
Retour à la page d'accueil

Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px