Le verbouc

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Frédéric Kiesel

Ce mot ne signifie pas vert-bouc mais homme-bouc.
Le terme semble bien dériver de l'allemand Werbock,
qui a cette signification. À comparer avec Werwolf, loup-garou.

II est toujours périlleux de traiter avec le diable. Mais c'est parfois bien tentant, et plusieurs légendes nous disent qu'il est arrivé aux malins Ardennais d'être plus malins que le Malin. Est-ce pour rire en frissonnant un peu ou pour se rassurer que l'on nous raconte leurs histoires? Les deux, sans doute.

Au bord du chemin qui relie Anloy à Jehonville, à la limite des deux communes, un petit enfoncement de terrain est nommé le «trou du bouc». Bien qu'il soit d'allure ordinaire, son origine est infernale.

C'est là qu'un jour Belzébuth apparut à Joseph Mathieu de Jehonville. Il était bien soucieux, Joseph Mathieu. La grêle avait ravagé les trois quarts de son seigle et toute son avoine. Ses deux plus belles vaches avaient péri en mettant bas des veaux mort-nés, et une troisième avait été foudroyée. Le feu avait pris dans le chaume de sa grange et le renard venait de lui croquer six poules.

Joseph, la tête basse, se rendait à Anloy pour demander de l'aide à un cousin. Mais il n'était pas rassuré, car le cousin était avare et de cœur sec. Et il se demandait à mi-voix:
- Qui diable a bien pu m'envoyer tous ces malheurs?
À ce moment surgit à ses côtés un étranger au teint sombre et aux yeux de braise. Il tenait en laisse un animal fabuleux comme on n'en voit que sur les images des vieux almanachs: il ressemblait à la fois à un bouc et à un humain.

Joseph fut tellement saisi par l'étrangeté de ce monstre qu'il crut lui voir des ailes poindre sous ses poils.
- Voici une bourse pleine d'or, dit l'inconnu. Elle est pour toi si tu me dis qui est cet animal ou si tu m'en montres un plus étrange que je ne pourrais nommer!

Le verbouc renâclait, furieux, voulant foncer sur le pauvre Joseph, qui répondit: - Je ne sais quelle bête vous tenez là. Mais dès ce soir, au coucher du soleil, je vous en montrerai une plus drôle encore. Foi de Joseph, vous y perdrez votre latin et votre bourse!
- Pari tenu! répondit le diable avec un rire sardonique. Et si tu perds, je t'emmène avec moi aux enfers, où tu en verras d'autres.

Joseph rentra dare-dare à Jehonville. En grand secret, il y monta avec sa femme une supercherie à laquelle elle consentit, moitié riant, moitié effrayée.
Il enduisit son épouse de miel et la roula dans les plumes d'un matelas. Il lui fixa sur la tête la peau de celle d'une génisse et l'emmena au lieu du rendez-vous, par des chemins détournés, pour ne pas donner l'alerte aux villageois. Ils ne rencontrèrent que le Nénesse, le simple d'esprit, qui racontait tellement de fariboles que personne ne le croyait plus.
Quand ils aperçurent le diable, la femme du Joseph se mit à quatre pattes. Elle avançait par bonds en poussant de petits cris aigus.
Le diable l'inspecta, perplexe; il la flaira, voulut la tâter mais reçut un coup de corne de l'énigmatique animal, tandis que le Joseph tapait sur ses doigts crochus avec son bâton.
- Bas les pattes, dit-il. On regarde, mais on ne touche pas. Est-ce que j'ai touché à ton verbouc? Car, avance, c'en est un.

Le Malin dut s'avouer vaincu. D'un geste rageur, il jeta la bourse d'or aux pieds du Joseph et rentra sous terre en poussant un cri de malédiction.
Le trou qui subsiste le long de la route est la trace de son retour aux enfers. Revenus à bonne fortune, avec leur grange rebâtie, leur étable et leur basse-cour mieux garnies que jamais, Joseph et sa femme ne passaient jamais par là sans frémir d'un plaisir qui sentait un peu le roussi.

Avant de faire bénir, par prudence, leur ferme et leurs biens par le curé du village, ils lui racontèrent ce qui leur était arrivé. Le saint homme rit de bon cœur de la mésaventure survenue à son concurrent, qui, de longtemps, ne se montra plus dans la région.

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