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Alpaïdis au château d'Oridon.

Légendes de Gaumes et Semois

On peut rêver au Montauban des quatre fils Aymon dans bien des ruines de châteaux d'Ardenne ou de Gaume, des environs d'Aywaille à Buzenol et à Montessor, près de Monthermé, au-dessus du confluent de la Semois et de la Meuse.

Là aussi, comme à Waridon, dans la commune de Montcy-Notre-Dame, dans le canton de Mézières, ou ailleurs dans la grande forêt semoisienne, nous pouvons songer au château légendaire d'Oridon.

Le castel fut célèbre comme repaire du plus pittoresque des seigneurs bandits ardennais, Lambert d'Oridon. C'était un lieu de magie où Lambert, qui ne reconnaissait aucun suzerain et ne servait nul homme que lui-même, gardait les trésors et les jolies filles qu'il avait capturés par ses sortilèges, monté sur son cheval merveilleux, nommé Papillon. Ni prières, ni rochers, ni tours ne pouvaient faire obstacle aux enchantements de Lambert, qui envoûtait ceux qu'il voulait enlever ou déposséder. Et personne ne pouvait, contre la volonté de Lambert, approcher d'Oridon, que défendait un pouvoir mystérieux.

Dans le roman médiéval Girard de Roussillon, nous apprenons que le château enchanté abrita aussi un autre trésor que les rapines et les belles captives de Lambert. Il fut un temps la demeure d'Alpaïdis - ou Aupaix - noble damoiselle boiteuse et rousse, de cœur tendre et résolu. Était-elle jolie? Seulement aux yeux de ceux qui méritaient de la voir ainsi. Elle était la fille du vieux Thierry d'Ardenne, qui avait été tué traîtreusement dans un guet-apens en forêt.

Le roi Charles de France n'avait pu capturer les meurtriers, qui étaient connus de tous, mais seulement leur frère Foulque.
II livra le jeune Foulque à Alpaïdis pour qu'elle en tirât vengeance à son gré.

Le gré d'Alpaïdis fut étrange... Sa boiterie la tenant, par crainte de la moquerie ou de la pitié, à l'écart des cours et des jeux de galanterie, elle avait l'âme neuve et ne jugeait que par elle-même. Quand elle vit arriver Foulque enchaîné, elle se garda de lui dire de dures paroles. Elle le regarda et fut étonnée. Captif, il semblait plus libre et fier que les hommes d'armes qui tenaient ses chaînes. Il croyait aller au supplice et à la mort, mais son regard n'implorait pas. Était-ce le fait de son juvénile courage ou de l'enchantement, qui faisait d'Oridon un château de magie? Dès qu'il en avait franchi la poterne, ses liens lui avaient semblé plus légers que fils de soie. Une merveilleuse joie de vivre rayonnait de ce condamné. Alpaïdis, en croisant son regard, sentit tomber les chaînes invisibles qui l'accablaient elle-même depuis qu'elle s'était sue boiteuse et rousse. Elle venait de comprendre qu'elle était, à tout le moins pour un homme au monde, belle et digne de désir autant que de respect.

Que se passa-t-il au château d'Oridon? L'histoire ne nous le dit pas, elle ne nous laisse rien deviner. Mais Alpaïdis ne fit ni tuer ni torturer le frère des meurtriers de son père. Le soir on entendit jouer de la viole et chanter des ballades d'Ardenne, de Bretagne et de Provence.

On raconta qu'Alpaïdis avait fait faire pour Foulque des chaînes d'argent et non de fer ou de laiton, et qu'il vivait à Oridon plus à son aise qu'un poisson dans l'eau.
Le roi Charles tenta de marier la jeune fille au riche comte d'Alsace, puis au duc de Bretagne, mais elle refusa. Dépités du refus, qu'Alpaïdis leur opposa sans daigner les recevoir, ils firent la guerre au roi Charles qui entra dans une grande colère contre la jeune femme. Non seulement elle négligeait le devoir de venger dans le sang l'honneur de sa famille, mais elle refusait de brillants partis qui, maintenant, semaient le trouble aux frontières. Tout cela pour vivre aux côtés du frère des meurtriers de son père.
Le roi lui fit donc envoyer un messager pour lui demander de livrer Foulque à sa justice.
- Dites au Roi, lui répondit-elle, que je le respecte beaucoup et serais bien peinée de lui déplaire. Mais j'aime mieux la justice de Dieu que celle qu'il s'apprête à rendre. Foulque n'a pas tué et j'ai résolu de le protéger contre une vengeance qui ne ferait qu'ajouter un crime à celui qui a coûté la vie à mon pauvre père. Du ciel, je prie pour qu'il y soit, il ne peut exiger de moi que je fasse, ou que je laisse couler en son nom un sang innocent. Là se trouve le véritable honneur de la fille de Thierry d'Ardenne. Cet honneur-là, je suis résolue à le défendre au péril de ma vie, de mes gens et de mes biens contre quiconque, fût-il le Roi. J'en aurai grande douleur, mais mes guerriers valent ceux de Sa Majesté. Et ils ont une cause juste et belle à défendre, même si du sang doit se répandre dans l'injuste guerre dont le Roi me menace.

Lorsque le roi Charles entendit ce message, il crut en mourir de rage et envoya une armée pour prendre d'assaut Oridon et faire entendre raison à cette jeune rebelle et à son prisonnier. En même temps, le seigneur Girart de Roussillon, qui en avait été averti, partit en toute hâte à Oridon avec ses meilleurs chevaliers pour se joindre aux défenseurs d'Alpaïdis.

Au château, Foulque avait fait couper ses jolies chaînes d'argent. Il prit un écu, revêtit le haubert et ceignit l'épée. Alpaïdis, la jolie rousse au talon contraint, crut défaillir de bonheur quand elle le vit ainsi armé. Elle ne put pourtant faire taire une crainte qui venait de surgir dans son cœur, à le voir libre, prêt à partir à cheval vers le combat et l'inconnu, car qui sait ce que fait un chevalier au soir d'une bataille? Pour remplacer par un lien d'honneur celui d'argent, qui venait d'être rompu, elle lui demanda:
- Beau doux seigneur que voilà libre comme l'air, voulez-vous jurer sur les reliques que voici que, si nous échappons de ces dangers-ci, vous me prendrez pour épouse devant Dieu et devant les hommes.
- C'est mon plus cher désir, noble dame. Je me battrai pour cela bien plus rudement que je ne ferais pour ma vie. Je le jure avec joie. Et je ne vous demande pour le combat d'autre talisman que vous-même. J'ai le meilleur cheval d'Oridon. Il court l'amble comme vole un ange. Lui et moi, nous vous garderons de tout péril.

Foulque, impatient, sauta en selle sans toucher l'étrier. Et ceux qui le virent se dirent entre eux:
«Voilà un homme qui a eu des geôliers à sa convenance. Ses membres ne se sont pas raidis dans la prison.»
Il le prouva aussitôt en allant culbuter les hommes du Roi comme pions d'échecs. Les assiégeants d'Oridon, défaits, durent se replier en désordre sans enterrer leurs morts. À peine eurent-ils le temps d'emmener leurs blessés.
Le lendemain de cette bataille, Foulque et Alpaïdis arrivèrent au camp de Roussillon. Girart vint à leur rencontre.
- Sire, lui dit Alpaïdis, je vous confie Foulque, le chevalier vaillant que voici, pour que vous me le donniez comme pair et compagnon.
- Par mon chef, dit Girart, cela m'agrée. Et vous, Foulque, que vous en semble?
Foulque répond sans hésiter, fidèle à son goût autant qu'à son serment:
- Je me donne et me livre tout entier à elle.
Ils vont ensemble sur le perron, sous un beau laurier vert. Foulque y accueille Alpaïdis entre les arçons dorés et ajourés. La reine de France arrive avec sa sœur. En gage de confiance et d'affection, elles baisent Alpaïdis sur sa chevelure cuivrée.

Le lendemain en sa cour, devant tous, la reine prend Alpaïdis par la main. Elle s'adresse à Oudin, le plus proche parent de la demoiselle, son cousin, neveu du vieux Thierry qui avait été tué par les frères de Foulque. Elle lui dit:
- Va Oudin, donne ta cousine au jeune Foulque. Oudin, mécontent, détourne le visage et dit:
- Je ne m'occupe pas de cette histoire... Il y a beau temps qu'elle a fait de lui son châtelain et qu'il lui a appris à jouer au jeu de l'homme.
Foulque ne lui répond rien, mais, sans se troubler, il demande à voix basse au chapelain de lui apporter les reliques. Il étend les mains sur celles-ci, disant d'une voix forte:
- Puisse Dieu, le Tout-Puissant et les saints dont les reliques sont ici visibles me venir en aide, autant qu'il est vrai que je n'ai jamais touché Alpaïdis d'une façon dont elle puisse avoir honte, elle ni sa parenté, et que je n'ai jamais joué avec elle à un jeu inconvenant.
- Comte, tu as bien parlé, dit la reine. C'est moi qui te la donnerai. Prends-moi pour répondant.
- Dame, mille mercis. Je la prends de vos mains.

Le mariage fut aussitôt célébré devant tous. Foulque fit don à Alpaïdis de la Provence avec Arles, Vienne et Valence. Ce jour-là, il arma cent chevaliers, donnant à chacun armes et destrier. Il y eut grande abondance de mets délicats à manger et de vins fins à boire, et Foulque fit donner mille sols à chaque bon jongleur venu animer la fête, et cent aux moins habiles.
Et jamais plus personne ne dit rien contre l'honneur ou le bonheur de Foulque et d'Alpaïdis.


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