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Chevaux enchantés, verbouc.

Légendes de Gaumes et Semois

Si les chars de feu, à Rochehaut et ailleurs, passaient en trombe sans cheval, ne causant que frayeur, point de blessure ni dégâts, les animaux féeriques étaient plus dangereux.

Ainsi, près d'Orchimont, au bois Moinil, lieu mal famé la nuit, évité par les gens prudents, un cheval blanc surgissait des ténèbres, jetant feu et flammes par les naseaux. Il était parfois suivi par son double, un autre cheval, rouge, couleur de feu. Comme avec le cheval blanc des rues d'Arlon, il n'était pas bon de jouer au fanfaron et de l'affronter.

Hardi et incrédule, le maçon D. l'apprit à ses dépens. Par défi, il traversa le bois Moinil à minuit. La terrible monture blanche sortit de l'ombre, comme un ouragan, elle renversa D., le piétina et le traîna sur une bonne centaine de mètres. Couvert de contusions, il mit des semaines à guérir des suites de cette aventure. Depuis, il se garda bien de faire l'esprit fort.

Dans la même région, au lieu-dit Belle-Taille, près de la frontière française, un cheval blanc, avec selle et bride, était souvent rencontré, même le jour, ce qui est peu habituel pour ce genre d'apparition. D'allure familière et commode, il se laissait docilement monter par n'importe qui. Il fallait bien s'en garder. Aucun de ceux qui ont tenté l'expérience n'en est revenue. Au pays d'Arlon, d'autres animaux, un petit chien ou un cochon bien dodu, sans maître, excitent la convoitise, le jour, d'un paysan de passage. Ils se révèlent être des animaux enchantés, qui parlent ou répondent à des voix inconnues, craignent le buis bénit, et sont libérés, par peur, avant d'avoir causé du dommage.

Un certain Jean Ch. de Frahan revenait tard de C. Vers minuit, passant à 300 mètres du «Bochet» (petit bois) près de Rochehaut, en bas du lieu-dit Gohichamps, il vit arriver, monté par un squelette portant un casque à crinière, un cheval couleur d'ébène, jetant des flammes par les yeux, les naseaux et la bou¬che. Jean Ch. faillit tomber mort de terreur. En courant, il ren¬tra chez lui et dut longtemps garder le lit, « en proie à une fièvre ardente».

Sans cheval, un autre fantôme hantait au bois de Rochehaut, la «faude» de Burhai (site où travaillaient les «faudeurs», qui faisaient le charbon de bois, et qu'on disait parfois acteurs ou victimes de magie). Ce spectre ne faisait de mal à personne. Mais ses doigts brûlaient les vêtements qu'il touchait.

Revenons aux animaux. Le mouton, et plus volontiers le bouc, effrayaient, la nuit, les braves gens. H. d'Orchimont s'était vanté de donner une sévère leçon au mouton crachant feu et flammes qui s'attaquait aux passants tardifs du côté du «chemin utile» à Serivau. À vrai dire, il ne croyait pas trop à cette bête effrayante. L'ayant rencontrée une nuit, il fut assommé, piétiné. Il se tira de cette expérience «salement arrangé».

Le villageois de Nafraiture qui narra, comme vrai, cet épisode, en connaissait un, plus curieux, en rapport direct avec le diable. Un homme s'était laissé dire qu'un bon moyen existait pour devenir riche. Il fallait aller à minuit, la veille de la fête de la conversion de saint Paul - le 25 janvier(1) -, à un certain carrefour, en tenant une poule noire. Si, alors, on criait «Argent de ma poule noire!», on devait recevoir, du diable, une forte somme d'argent.

L'homme fit ce qui était prescrit. Mais son invocation était à peine terminée qu'il vit sortir de terre un bouc infernal crachant feu et flammes. Il lâcha sa poule et, pétrifié, resta sur place. Le bouc se jeta sur lui à coups de cornes, le laissant pour mort sur le terrain.

Du bouc au fabuleux «verbouc», il n'y a qu'un pas. Cet animal redouté causait une émotion si violente que les descriptions précises manquent. Pour le docteur Delogne, il ne s'agissait pas d'un bouc vert, seule étymologie à laquelle se résigne Albert Doppagne mais d'un homme-bouc comme le loup-garou, Werwolf en allemand, est un homme-loup, le Were allemand étant, selon cette théorie, apparenté au vir latin...

En tout cas, vert (ou vart en wallon), Wer ou vir, le verbouc est acoquiné au diable, ce que montre un récit populaire encore vivace, avec de menues variantes, de la Semois à l'Amblève. Un fermier, au printemps, constate, furieux, que son avoine est gelée.

- Elle est fichue, s'écrie-t-il. Elle est pour le diable! Or le diable (qui est partout, entend toujours quand on le nomme ou l'appelle, même sans y penser) apparaît et demande:
- Qu'est-ce qui est pour le diable? La récolte ou ton âme?
- Sans la récolte, comment veux-tu que je nourrisse ma famille? dit le fermier.
Satan lui propose un marché:
- Nous revenons ici demain, chacun avec une bête. Si tu reconnais la mienne, et moi pas la tienne, tu garderas ton âme et tu auras une belle récolte. Sinon, tu perds les deux.
Marché conclu.

Le lendemain, il déshabille sa femme selon certains, sa vieille mère toute difforme selon d'autres, la roule dans le miel (version délicate) ou dans la fiente (version rustique), puis dans des plumes. La tenant en laisse, il la fait, ainsi emplumée, marcher à reculons à quatre pattes vers le lieu de rendez-vous. Il entend le diable, passant le ruisseau, qui dit à son animal:
- Vas-y! Saute verbouc!
Le fermier répond donc aisément à l'énigme de Belzébuth, qui a beau examiner, renifler l'étrange animal du «cinsi»: il doit donner sa langue au chat en disant: «Je n'ai jamais vu une bête avec la tête aussi près du cul.» C'est ainsi que, ayant roulé le diable - vieux thème: à «Malin», malin ardennais et demi -, il garde son âme et gagne une moisson.
Ces récits, drôles, voire un peu gaillards, et non tragiques datent visiblement d'une époque, relativement récente où le verbouc, longtemps terrible, n'effrayait plus.
Mais, à Oisy, le monstre hantait les environs du cimetière, et même plus volontiers la partie nord, où personne ne voulait être enterré. Dans ces parages, le verbouc dont les yeux jetaient des flammes attaqua un grand gamin, à peine sorti de l'école, mais qui courait déjà les bals, faisait le carnaval (alors considéré comme ce qu'il est à l'origine, une festivité païenne), et désertait l'église.

Le jeune mauvais sujet avait de bonnes jambes et s'enfuit, mais la bête l'atteignit vite, lui passa entre les jambes, le souleva de terre, le «hourballa» (secoua) dans tous les sens. Il fut laissé sur le sol presque sans connaissance, et s'amenda par la suite, ayant compris l'avertissement.

Issue morale analogue pour un autre joyeux drille, très jeune aussi, orphelin de mère, trop peu surveillé par son père, et qui s'était masqué lors du carnaval. C'était fort critiqué à l'époque surtout chez des «djaunes drolles» de son âge: une quinzaine d'années. Près du cimetière, également, il fut poursuivi une nuit par un bouc aux yeux étincelants. Il entendait, toujours plus près, le hoquet rauque, et sentait sur sa nuque l'haleine brûlante de la bête. Il avait déjà reçu plusieurs coups et se croyait sauvé, sur le seuil de sa maison, quand il reçut une formidable secousse dans le dos. Il se coucha et délira plusieurs jours. Ses habits étaient «comme brûlés» en plusieurs endroits. Plus d'une semaine il garda des ecchymoses entre les épaules. Non seulement il s'assagit, mais n'osa plus sortir de chez lui que le jour.

  1. Date magique: les quatre vents du ciel s'y battaient pour savoir lequel dominerait l'an. C'était logique: à la veille de sa conversion, saint Paul était au service de la loi ancienne contre les chrétiens. Le «retournement» était majeur.

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