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Fées et nutons.

Légendes de Gaumes et Semois

La sage-femme de Vresse, ayant accouché une fée de la localité, reçut en payement deux épis de blé. Rentrée chez elle, elle constata qu'ils étaient changés en or. Ceci établit un pont entre les fées et les nutons, chez qui il est question d'épis d'or.

À la ferme d'Anselme A., à l'époque de la moisson, une petite fée, très affairée, ne cessait, depuis le matin, de monter l'échelle du fenil (on ne précise pas comment elle descendait...).
- Descends, embarras! lui cria, impatientée, la femme d'Anselme A.
- Je t'ai enrichie épi par épi. Je te ruinerai gerbe par gerbe, répliqua la fée en disparaissant.

Fée et nutons

Cette menace, typique des contes de nutons chassés et vexés, s'est réalisée. La fée était peut-être une «nutonne». Il en fallait bien, quoique les récits indiquent toujours les sottais, maniquets et autres Wichtelmànchen comme mâles (et point désincarnés puisqu'ils avaient à l'occasion des sentiments pour de jeunes villageoises...).

Le mythe des fées et celui des nutons se recoupent parfois. Delogne note, chez les fées qui venaient la nuit s'ébattre dans la jolie vallée de Liresse, près de Mogimont, un comportement plus «farce» qu'à l'habitude. Un paysan les a surprises un jour, jouant, comme des enfants, avec ses meulons de foin sur la tête. Le rustre voulut leur allonger des coups de fouet, mais il reçut, d'êtres invisibles (non pas des fées elles-mêmes), une raclée formidable qui le laissa pour mort sur le terrain.

Elles correspondaient par ailleurs au signalement habituel des fées, puisqu'elles faisaient paître leur vache avec la herde d'un village voisin, Vivy, et, quand c'était leur tour de nourrir le herdier, attachaient la «marinde» (le repas: «marader» signifie goûter, en gaumais [1]), à une corne de la bête.

Or, en mai 1976, à Noirefontaine la même histoire, à propos des génies de Liresse, fut racontée à Albert Doppagne. Mais, cette fois, les êtres facétieux n'étaient pas des fées mais des nutons. Il note le récit de la façon suivante:
«Au moment de la fenaison, le fermier de Liresse avait remarqué que tous ses tas de foin étaient défaits le matin. Il voulut en connaître la cause et, une nuit, il se cacha pour observer. Son attente ne fut pas longue: les nutons de Liresse arrivèrent en bande et chacun se coiffa d'un petit tas. Tous se mirent à danser en chantant:

Frère, frérot,
Mon capuchon va-t-il bien?

En colère, le fermier leur cria:

Frère, frérot,
Mon «stron» va-t-il bien?

Et les nutons flanquèrent une raclée au fermier!» « Frère, frérot » indique clairement le sexe masculin des petits personnages. Dans la psychologie délicate souvent attribuée aux nutons (aux fées aussi), ceux-ci ne toléraient pas la grossièreté scatologique du «stron». Trait bien mâle, ils rossaient eux-mêmes le coupable.

Dans le pays au nord de la Semois, la différence entre nutons et fées est assez floue. Le docteur Delogne parlait d'êtres surnaturels «généralement représentés par des femmes». Et, à Chairière, il est question de «fés», conçus «plutôt comme de petits hommes».

En Gaume - comme en Picardie -, dit Doppagne, les fées ont d'étranges ressemblances avec les nutons de Wallonie. Aujourd'hui, les uns comme les autres ne se manifestent plus. Selon les vieux villageois, ces êtres se sont endormis. Mais il y a de l'espoir: ils se réveilleront «lorsque les prêtres, à la messe, ne réciteront plus l'Évangile selon saint Jean». Or, depuis le concile Vatican II, le début de cet évangile: «Au commencement était le Verbe», ne fait plus partie de l'ordinaire de la messe. Il est donc temps, sur la pointe des pieds, d'aller voir ce qui se passe à minuit, au trou des fées...

Pour ce qui est des nutons, on en parle peu en Gaume, moins qu'en Ardenne où le souvenir est gardé de leur savoir-faire, leur caractère serviable et susceptible et leur vengeance. Le schéma classique est, à travers certaines variantes, le suivant: les fermiers favorisés par la bienveillance du maniquet sont embarrassés par les racontars du village - ou un début d'idylle entre le petit homme et une de leurs filles. Pour le décourager, à l'heure de sa venue, ils se groupent sans mot dire auprès de l'âtre et font tourner des fétus de paille dans des coquilles d'œufs. Le nuton, comprenant qu'il est exclu pour sa petite taille, ainsi moquée, s'en va sur une malédiction, qui se réalise en quelques mois: «Épi à épi je vous l'ai apportée (la richesse); gerbe à gerbe je vous la reprendrai.» Et c'est la ruine: vaches péries, moissons dévastées.

Pour la Semois inférieure, un chercheur aussi exemplaire que le docteur Delogne rapporte peu de choses au sujet des nutons. Guère plus que, pour Frahan, le «trou Perpète», ouvert comme un forage d'ardoisière au niveau du pic «moyen» des Crêtes. On le disait jadis habité par de petits hommes réparant les outils que des paysans leur portaient le soir. Ils les retrouvaient le lendemain en parfait état. Le salaire était perçu en argent ou en nature. En 1834 seulement, des villageois osèrent pénétrer dans le trou Perpète. Ils le firent s'éclairant d'une chandelle bénite. En rampant dans un couloir d'une quarantaine de mètres, ils trouvèrent une salle rudimentaire, carrée, habitable car aérée par des soupiraux naturels dans les rochers. Après les nutons, elle servit de logement à un mendiant ermite ayant une réputation de sorcier.

  1. Dans son Parler et coutumes de la Lorraine belge, Éd. G. Hoyoux, Bruxelles, 1963, le docteur Albert Hustin note que le mot «marader», inconnu dans la langue française existe, presque identique, avec le sens de pique-nique, en portugais.

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