Accueil --> Liste des légendes --> L'anneau, la prophétie et le trésor d'Orval.
Un climat de légende flotte dans le monastique vallon d'Orval. Il saute aux yeux dès l'abord, à la vue du campanile de pierre dorée de la nouvelle église abbatiale, miré dans l'étang des anciennes forges.
L'eau joue ici un rôle de poésie. Dans le site des ruines, une fontaine circulaire, où l'onde est d'une pureté de cristal, rappelle un des rares épisodes de légende dorée des régions de Lorraine et Ardenne.
En 1076, fondé depuis six ans par des moines calabrais, le monastère était encore bien modeste - une chapelle et quelques cellules - lorsqu'une noble dame en deuil vint y visiter les religieux. C'était la suzeraine du comté de Chiny, et donc d'Orval, la comtesse Mathilde, duchesse de Toscane, veuve de Godefroid le Bossu, duc de Lorraine. Quelques mois plus tôt, son fils, en séjour avec elle à Bouillon chez la bienheureuse Ide d'Ardenne, s'était noyé, l'hiver, dans la Semois dont les glaces lui avaient tranché la tête.
En mélancolique méditation au bord de la source proche de la chapelle, la comtesse trempa sa main dans l'eau froide. Seul souvenir de son époux, l'anneau nuptial glissa de son doigt et fut emporté par le courant. Mathilde n'eut que le temps de pousser un cri d'imploration à la Vierge: une truite, sautant de l'eau lui rendit la bague.
- Vraiment, se serait exclamée la comtesse, ceci est un val d'or!
D'où le nom et aussi les armoiries d'Orval: coupé d'argent et d'azur à un anneau d'or, issant (sortant) de l'azur(1).
La touchante légende de la comtesse Mathilde - qui donne son nom à la fontaine connue de tous les visiteurs d'Orval - est populaire dans la région. Moins connu du public actuel, un fait étrange rendit, au siècle dernier, le nom du monastère célèbre dans toute la France: la «prophétie d'Orval».
Révélateur du trouble des esprits lors de la Révolution française et des changements de régime qui ont suivi, le roman de la prophétie d'Orval est visionnaire, politique et même policier. On s'est longtemps disputé au sujet de l'auteur et surtout la date d'un texte, d'allure apocalyptique, supposé provenir d'Orval, qui fut diffusé pendant la première moitié du XIXe siècle.
Au moment où il fut question de prophéties à l'abbaye, s'achevait un XVIIIe siècle que l'on vient de voir extraordinairement animé dans le sud et l'ouest de l'actuel Luxembourg belge, tant pour l'industrie que les débats d'idées. La sidérurgie s'était développée de façon spectaculaire. Les forges d'Orval y tenaient une part brillante, et le déclin dramatique du Pont d'Oye avait rendu légendaire la dernière marquise du lieu, symbole de la fragilité du vieux monde. Dans la somptuosité néoclassique de ses nouveaux bâtiments à peine terminés, l'abbaye d'Orval étincelait à mi-chemin de Bouillon où l'on éditait les Encyclopédistes, à l'abri de la censure française, et du petit château de Montquintin, résidence de l'évêque contestataire de Trêves, Mgr de Hontheim, adversaire des pouvoirs politiques du Pape. La même contrée, on le sait, avait été le berceau de deux religieux démocrates et farouches adversaires de Mgr de Hontheim et des Encyclopédistes, les pères jésuites Scholtus de Virton, et de Feller, issu du pays d'Arlon.
En 1779, visitant l'abbaye avec ses marbres, peintures et fers forgés, ce dernier notait: «malgré la magnificence de la nouvelle église, j'ai été fâché de voir l'ancienne condamnée à la démolition. On y voit le saint sacrement suspendu devant l'autel et enfermé dans une colombe voilée.»
En fait, les moines n'allaient avoir le temps ni de parachever la nouvelle abbaye - que le père de Feller voit semblable à une résidence royale, destinée à être «la plus belle abbaye du monde» - ni de raser l'ancienne.
Les visites princières à la merveille se multipliaient. Orval reçut notamment, en 1787, le prince Albert de Saxe Teschen, gendre de Marie-Thérèse, fondateur de l'Albertina de Vienne. La splendeur altière, excessive, du monument suscita des angoisses prémonitoires. Vers 1780, un ancien jésuite(2) des environs, le ? père Devillez, en visite à Orval avec les petits chantres de son village natal, avait été saisi d'un pressentiment: «Regardez bien, mes enfants, ce beau monument, retenez bien ce que je vous dis. Je ne le verrai pas, mais vous le verrez un jour: des arbres croîtront sur ses murs.» Le père Devillez ne commettait qu'une erreur: il eut le temps de constater de visu la véracité de sa prédiction.
Située en territoire des Pays-Bas espagnols puis autrichiens, l'abbaye était, depuis le Traité des Pyrénées (1659) à la frontière, pratiquement en vue, de la France. Proximité menaçante pour les moines, la tourmente de 1789 jetait à bas ce qui était leur monde, l'Église et la monarchie.
Cette sensation fut particulièrement aiguë la nuit de la Saint-Jean 1791. L'échec, à Varennes, à quelques lieues d'Orval, de la fuite de Louis xvi, fut accueilli avec consternation à l'abbaye.
En ces temps troublés, il y fut question de prédictions lues chez les moines. Sous le titre Prévisions certaines révélées par Dieu à un solitaire pour la consolation des enfants de Dieu, une prophétie dite d'Orval fut publiée en France après la Révolution et l'Empire - dont elle annonçait, en termes apocalyptiques assez clairement déchiffrables, les épisodes les plus spectaculaires. L'origine en serait un vieil ouvrage imprimé à Luxembourg, en 1544. Peu de temps avant l'incendie de l'abbaye, lorsque les trappistes tristement réunis dans la salle du chapitre, venaient d'être harangués par le père abbé, dom Siegnitz, un vieux religieux à barbe blanche aurait retiré de la bibliothèque cet ouvrage poudreux. Il en aurait lu des passages qui semblaient concerner un futur rapproché, et l'aurait remis à un certain frère Aubertin. On n'a pas retrouvé trace du volume dont les «Prévisions» sont présentées comme étant un fragment.
Voici le texte de celles-ci:
Il est aisé de reconnaître dans le jeune homme venu d'outremer en pays du Celte-Gaulois, Bonaparte, empereur au verset 4, signant le Concordat qui fait la paix avec l'Église (verset 8). Le vieillard de Sion (verset 8) est le Pape emmené en captivité par Napoléon, le froid du verset 11 est la campagne de Russie, le vieux sang des siècles (verset 14) annonce la Restauration et Louis XVIII, «vieux sang de la Cape»(4) au verset 17, le «Roi du Peuple» (verset 23) étant Louis-Philippe, etc.
La date de publication la plus ancienne repérée est 1840, dans un journal de tendance ésotérique imprimé à Paris. La première édition est peut-être antérieure, 1830 au plus tôt, semble-t-il. Comme à ce moment, les principaux événements «annoncés» avaient eu lieu, ces «prévisions du solitaire» ne suscitèrent alors qu'un peu de curiosité. Mais lorsque, en 1848, Louis-Philippe dut s'enfuir - chute annoncée dans le texte - la «prophétie » fut prise plus au sérieux, et une foule de lecteurs, dont beaucoup de catholiques nostalgiques de l'Ancien Régime, l'examina avec un vif intérêt - souvent en y ajoutant foi.
Cette crédulité suscita deux mises en garde. En 1848, Lacordaire écrivit que le fait d'annoncer, en 1840, ou même avant, la chute de Louis-Philippe n'avait rien de prophétique: Chateaubriand l'avait prévu dès 1831 «sans être prophète».
Et, en 1849, l'évêque de Verdun envoya aux évêques de France une lettre contestant formellement le sérieux de la «prophétie d'Orval». Mgr de Verdun fait état d'un «mémoire» dans lequel un prêtre de son diocèse dit avoir reçu l'aveu, en confession, d'un autre prêtre: «J'ai écrit, par amusement, les "Prédictions" en question.» La lettre de l'évêque cite, du mémoire, un fragment qui ne permet aucune équivoque: «il (le prêtre avouant être l'auteur) me déclara en effet, que le petit livre imprimé à Luxembourg en 1544 n'avait jamais existé que dans son imagination; que la prophétie d'Orval, dans la partie relative à l'empire était exclusivement son œuvre; que le reste avait été composé au hasard, avec des lambeaux d'anciennes prophéties empruntées à des recueils inconnus, et sur lesquels je n'ai pas à me prononcer: que, dans le principe, il n'avait vu dans cette supercherie qu'un amusement sans portée, mais que, le temps s'étant chargé de vérifier quelques-unes de ses prévisions, la vanité d'un côté, de l'autre la fausse honte, l'avaient fait persévérer dans cette voie dont il était heureux de sortir. » Cela semble sans appel, mais il eut été intéressant de connaître la date de la supercherie.
L'évêque de Verdun a-t-il accordé foi à un prêtre mythomane, se vantant d'avoir reçu l'aveu d'un autre prêtre, faussaire? Cela reste peu probable. Le «coupable» est désigné par des initiales, ce qui respecte le secret de la confession. Celle-ci est crédible. L'allure du texte des «Prévisions» suggère d'ailleurs un habile pastiche d'écrits visionnaires. L'exactitude de tout ce qui concerne Bonaparte, le Premier Empire et la Restauration est trop aisément déchiffrable. C'est suspect. Ce qui suit Louis-Philippe - et la publication à Paris - est plus confus (à part la Révolution de 1848). Sans distinguer Napoléon ni, il est possible, avec une énorme bonne volonté de deviner la guerre de 1870, le siège de Paris, la Commune, dans un dramatique magma.
Mais ensuite apparaît une erreur flagrante. La nouvelle restauration royale, prévue aux versets 31 et 33 n'a pas eu lieu(5).
La signature en est: F.P. (ancien notaire), et le titre, sensationnel: «Au 17 février 1874. Le grand événement! Précédé d'un grand prodige ! Prouvé par le commentaire le plus simple le plus méthodique, le plus rationnel qui ait paru à ce jour de la célèbre prophétie d'Orval, ainsi que de celles de Nostradamus et de saint Malachie, avec la réponse aux objections que l'on a faites à l'auteur après sa première édition»(6), Bar-le-Duc, typographie des Célestins, décembre 1873. Cette brochure est symptomatique du crédit accordé encore, après la guerre de 1870 à la prophétie d'Orval.
L'auteur place celle-ci à égalité avec l'Apocalypse de saint Jean: «Les deux prophéties, celle d'Orval, et celle de Pathmos, se complètent l'une par l'autre.» Par le calcul des lunaisons, F.P.- qui décidément ne doute de rien -, conclut: «Nous pouvons tenir pour logiquement et mathématiquement certain que février 1874 est bien l'époque précise de l'avènement de Henri v. »
Henri v, qui n'a jamais régné, est le comte de Chambord, Henri de Bourbon, duc de Bordeaux, «l'enfant du miracle» car fils posthume du duc de Berry, dernier descendant de la branche aînée des Bourbons. Chateaubriand et tous les légitimistes fondaient sur lui de grands espoirs. En 1836, quand mourut à Gorizia, alors en Autriche-Hongrie, Charles x déchu, le comte de Chambord devint, à seize ans, l'héritier, dans la branche aînée, du trône de France. Sous le nom de Henri v, il revendiqua celui-ci lors de l'abdication de Napoléon in à Sedan en 1870. À la suite de pourparlers entre orléanistes et légitimistes, son retour et son avènement parurent un moment assurés, ce qui explique l'émotion et l'intérêt de la brochure «prophétique» de l'ancien notaire F.P. Le comte de Chambord refusa de renoncer au drapeau blanc à fleurs de lys et d'adopter l'étendard tricolore. Il mourut sans enfants, en exil en Autriche en 1883, laissant la branche d'Orléans descendante du «Roi du peuple», seule prétendante au trône.
La brochure du notaire F.P. est le dernier épisode important suscité par la fausse prophétie d'Orval. Pourtant, sur l'existence de propos prophétiques tenus chez les moines d'Orval vers 1790, des éléments curieux sont venus au jour.
Lors de sa diffusion, la lettre de l'évêque de Verdun suscita, en effet, des protestations d'émigrés ayant entendu, alors qu'ils faisaient étape à Orval sur le chemin de leur exil, lire à l'abbaye en 1793, une prophétie analogue à celle du «solitaire». Il en est question notamment dans un ouvrage paru en 1870 conjointement chez Bruck à Luxembourg, Palmé à Paris et Casterman à Tournai: Voix prophétiques ou recueil des principales prédictions, depuis celle de sainte Hildegarde et du solitaire d'Orval jusqu'à celle d'Anne-Maria Taïgi et de Marie Lataste, touchant les événements de l'Église et de la France, coordonnées et annotées par l'abbé J.M. Curicque, prêtre du diocèse de Metz.
L'ouvrage eut du succès: il eut une deuxième édition complétée, en 1871. Un certain abbé Lacombe, chanoine de la Primatiale de Bordeaux y est cité: il écrit que M. Morel, ancien grand-vicaire de Bordeaux, lui a affirmé et répété qu'il avait dans les mains, depuis avant 1793 le manuscrit de la prophétie d'Orval.
Et l'ouvrage en cite un autre (L'avenir dévoilé XII: prophétie d'Orval, p. 112): «Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en 1793, Mgr de Chamon, évêque de Saint-Claude, et plusieurs autres personnes de distinction prirent connaissance de cette fameuse prophétie dans l'abbaye d'Orval où ils s'arrêtèrent en émigrant. Elle était écrite en style gaulois, difficile à lire, parce qu'il fallait chercher le sens des mots surannés, rétablir en différents endroits le texte à demi effacé et faire usage de traduction. Le fragment relatif aux événements d'alors, c'est-à-dire à partir de Bonaparte et de sa campagne d'Egypte, fut copié en présence de l'évêque de Saint-Claude par un prêtre de ses amis qui l'accompagnait en exil. Durant l'émigration, cette pièce fut communiquée à un grand nombre d'évêques et de personnes distinguées qui la transcrivirent plus ou moins fidèlement quant à la lettre, mais avec exactitude quant au fond. Et depuis cette époque, la "prophétie" dite d'Orval eut un retentissement immense dans toute l'Europe mais surtout en France.»
Le chanoine Lacombe, fait état, également, d'une lettre du baron de Manonville, qui raconte être arrivé dans la matinée du 20 mai 1793, avec quelques émigrés de distinction, à l'abbaye d'Orval. Les moines y étaient en émoi: trois jours plus tôt, une troupe de quinze cents hommes avait envahi l'abbaye, pillant les meubles et emportant les matelas. Ils avaient été délogés par les dragons de Latour, qui faisaient partie de l'armée de l'Autriche. Après cette rude alerte, les fugitifs français furent accueillis frugalement: une mauvaise soupe, mangée à la gamelle, arrosée de piquette. «Puis un des pères, très vieux moine portant barbe longue et cheveux blancs, vieillard à l'air augurai, apaisa les plaintes et les murmures en sortant d'une armoire un vieux livre de prophéties en gaulois, oublié dans la poussière des archives et dont il donna lecture.»
Ce récit fut contesté. Dès 1791, les archives de l'abbaye avaient été mises en lieu plus sûr au refuge des moines, à Luxembourg - et les trappistes ne portaient pas de barbe à l'époque. Mais un document avait pu rester dans la cellule d'un vieux religieux ayant permission de garder la barbe (ou vu comme tel par un visiteur Imaginatif). Symptomatique est le fragment de phrase: «Apaisa les plaintes et les murmures...» Ces Prévisions pour la consolation des enfants de Dieu sont aptes à rassurer ceux qui croient définitive la défaite redoutée de l'ordre ancien et de l'Église.
D'après l'ouvrage de l'abbé Curicque, aux environs de 1790, des textes et rumeurs concernant une prédiction d'Orval circulaient dans la région, jusqu'à Montmédy, Carignan, Stenay et Verdun.
Un autre élément dans ce sens est rapporté par Saint-Hilaire dans son guide L'Ardenne mystérieuse (Rossel, Bruxelles, 1976).
En 1791, quelques mois après le déménagement des archives de l'abbaye dans son refuge de Luxembourg, le gouverneur autrichien, le baron de Bender, donnait à son hôtel dans cette ville une réception à laquelle assistaient de nombreux émigrés. L'abbé d'Orval y parla d'une ancienne prophétie qu'il avait eu le bonheur de trouver lors du déménagement de son cabinet de manuscrits. «Chacun voulut en savoir davantage et plusieurs invités demandèrent à en copier le texte. C'est alors qu'un Luxembourgeois, le sieur de Ficquelmont, grimpa sur une chaise et se mit à le dicter à la cantonade. Il fut convenu de passer sous silence les événements déjà accomplis. L'assistance s'installa donc tant bien que mal et beaucoup s'appliquèrent à noter au vol, qui sur le coin d'une table, qui sur un meuble, les phrases sibyllines. D'où le nombre de variantes que possède ce document. Cependant, la fièvre s'empara bientôt de l'assemblée, quand on crut reconnaître entre les lignes l'annonce d'un prochain rétablissement de la monarchie en France.»
Sur le climat de prophétisme - psychologiquement bien explicable - régnant à cette époque à Orval, l'ouvrage de l'abbé Curicque donne un témoignage intéressant. Il concerne un ancien religieux d'Orval, le père Mathias Ronveaux réfugié au grand-duché de Luxembourg, à Weiler-la-Tour, où il mourut le 19 février 1834, renseigné dans les registres comme «ex religiosus Abbatiae Aureae Vallis, Luxemburgus, aetatis 86 annorum».
En 1831, l'abbé Curicque s'est renseigné à propos de ce vieux moine qu'on disait familier des prédictions. Il a recueilli, à Weiler-la-Tour les souvenirs d'un ancien instituteur, M. Michel Tering. En 1831, trois jours avant la mort du père Ronveaux, un ami de celui-ci, M. Britz, avait dit à M. Tering: «Der Pater ist ein aller Mann, aber er schreibt noch aufdie zukunftige Dingen» (le père est un vieil homme, mais il écrit encore sur les choses futures).
L'ancien instituteur décrivait le père Ronveaux comme un homme silencieux, recueilli, qui parlait parfois «d'une certaine prédiction d'un frère de l'abbaye d'Orval». Ce «frère de sainte mémoire a prédit la ruine de l'abbaye. Il surgira, dit le frère, des hommes pervers qui bouleverseront la France et qui, par haine de Dieu et de la religion, voudront anéantir l'Église. Mais un guerrier arrivera d'une île pour s'emparer du gouvernement, livrer avec une armée formidable des combats sanglants, marcher de victoire en victoire, jusqu'à ce qu'il ose s'attaquer au vicaire de Jésus-Christ. Alors il sera chassé.» Voilà ce qui a été prédit par ce bon frère, disait dom Mathias Ronveaux et ce que nous avons vu s'accomplir.
Il reste fort probable que le texte qu'il a publié à plusieurs reprises depuis 1840 sous le titre Prévisions certaines révélées par Dieu à un solitaire, pour la consolation des enfants de Dieu a été forgé par un homme cultivé, familier des textes prophétiques. Mais il semble bien que cette «prophétie» concorde dans ses grandes lignes, en les détaillant, avec des prédictions qui ont circulé, dans les temps troublés autour de 1790, chez les moines d'Orval. Ainsi la prophétie célèbre, qui fit couler tant d'encre, serait à la fois fausse et véridique...
Un commentaire audacieux du texte en question a paru en 1872 à Angoulême, aux éditions de la Veuve Girard: Prophéties dites d'Olivarius et d'Orval, interprétées par leur auteur Nostradamus le grand Prophète, Recherche et commentaires parti. Tornée Chavigny, curé de Saint-Denis du Pin, ancien curé de la Clotte (Olivarius était un médecin et astrologue du XVIe siècle, auteur de prophéties datées de 1542).
Le curé Tornée Chavigny rapproche les prophéties d'Orval des célèbres Centuries de Nostradamus. À ce propos, Paul de Saint-Hilaire note que la date 1544, donnée comme celle de la publication à Luxembourg du texte de la prophétie «du solitaire» est de très peu postérieure au passage à Orval de Nostradamus. Venant de perdre sa femme et ses deux enfants, celui-ci avait quitté Agen en 1539 pour une sorte de tour de France. Le mage fameux aurait rédigé dans les murs de l'abbaye une partie de ses Centuries. Paul de Saint-Hilaire rapproche du séjour de Nostradamus à Orval un quatrain des Centuries remarqué par les cryptologues comme paraissant annoncer l'échec à Varennes, à quelques lieues d'Orval, de la fuite de Louis XVI. Ces vers énigmatiques suggèrent un événement dramatique. La mention de Varennes, bourg inconnu d'Argonne, dont la capture du roi fugitif devait être le seul événement historique, y reste curieuse.
De nuict viendra par la forest de Reines.
Deux pars vaultorte Heme la pierre blanche
Le moine noir en gris dedans Varennes
Esleu cap, cause tempeste, feu sans tranche.
Paul de Saint-Hilaire signale quelques «clés» fournies par le jeu classique de l'anagramme poétique(7), fort apprécié au XVIe siècle. Si on admet la tolérance d'une lettre à supprimer ou ajouter, au troisième vers, moine peut signifier roine (reine), et noir, roi (en gris: il était vêtu de gris au moment de sa capture). Et au deuxième vers, «pars vaultorte» désignerait l'itinéraire prévu: Paris-Orvault (Orval). Cap ou cape signifie assez simplement Capet, chez Nostradamus comme dans la «prophétie d'Orval». On remarque d'ailleurs chez Nostradamus et dans la «prophétie d'Orval» d'identiques mots à clé: le coq, l'aigle, Brutus. Saint-Hilaire estime que «à moins que les phrases aient été durement malmenées par la lecture improvisée de Ficquelmont ou les notes prises au vol, leur style est différent et n'autorise pas à attribuer la prophétie d'Orval à la plume de Nostradamus».
En fait les similitudes peuvent s'expliquer d'une façon très simple: l'auteur du texte dit d'Orval (sans doute le prêtre dont parle l'évêque de Verdun) avait lu les Centuries de Nostradamus, et il les pastichait dans une certaine mesure, leur empruntant des mots-clés.
Accueil --> Liste des légendes --> L'anneau, la prophétie et le trésor d'Orval.
Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px
Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités