Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes des quatre Ardennes - Frédéric Kiesel

Eulenspiegel dans l'Eifel

Lors de ses pérégrinations, l'astucieux Till Eulenspiegel est passé par l'Eifel. Il y a laissé le souvenir de plusieurs tours pendables.

Le premier endroit où le célèbre farceur fit halte fut le village de Dahnen. Les habitants en étaient connus comme étant les plus fantaisistes de la région. Ils proposèrent immédiatement à Eulenspiegel d'être leur maïeur. Mais ils y mirent une condition. Il devait passer avec succès une épreuve de friponnerie. Il s'agissait de savoir qui, de lui ou de ses hôtes, « roulerait » le mieux son partenaire. Dans ce domaine, Eulenspiegel n'était pas inquiet, et les gens de Dhanen se croyaient très forts. Ils l'installèrent donc dans une belle et grande maison, pour lui faire honneur, et le firent participer à toutes leurs activités, comme s'il était de chez eux depuis toujours.

Vint le jour des semailles aux champs communaux. Il fallait se décider au sujet du partage de la récolte future.
Laissez-moi faire le travail, dit Eulenspiegel. La moitié de la récolte sera pour vous.
Bien contents d'une solution leur demandant si peu de peine, les échevins acquiescèrent. Au moment de la moisson, Eulenspiegel leur rappela la convention :
— Nous partageons donc par moitié. Moi je prends celle du dessus, et vous celle du dessous.

Ainsi, il avait tout le grain, et les villageois, seulement la paille. Experts en farces et attrapes, les échevins admirèrent l'astuce, et ils acceptèrent. Mais ils n'avaient pas dit leur dernier mot.
— D'accord, répondirent-ils, mais, l'an prochain, nous partagerons en sens inverse : la moitié du dessus sera pour nous.
— Comme vous voudrez, répondit Eulenspiegel avec son plus beau sourire.
Les gens de Dahnen auraient bien fait de se méfier de ce sourire-là. Leur hôte planta des pommes de terre dans tous les champs banaux. Ils n'en reçurent que les feuilles, tandis que Till prenait pour lui tous les tubercules.
Comme le gaillard était trop rusé pour eux, ils lui demandèrent, avec toute la déférence due à un champion, d'aller chercher fortune ailleurs. Il partit donc, après avoir bien vendu sa récolte, et vagabonda gaiement sur les petites routes de l'Eifel. Chemin faisant, Eulenspiegel rencontra le seigneur de Dasburg.

— D'où viens-tu? lui demanda le chevalier.
— Du marché de Neuerburg.
— Était-ce un grand marché?
— Je ne l'ai pas mesuré.
— Ce n'est pas de cela que je voulais parler, répondit le chevalier, y avait-il beaucoup de gens?
— Je ne les ai pas comptés.

Piqué au vif par l'impertinence et l'astuce de ces réponses, le seigneur voulut venir à bout du fameux farceur.
— Tu viens de Dahnen où les villageois sont connus pour leur extravagance.
— Oui, répondit fièrement le vagabon, et je les ai bien roulés.
— Je le sais, dit le chevalier. J'ai beaucoup entendu parler de toi. Cela m'amuserait de t'avoir dans mon château. Tu y auras toute la viande et tout le vin que tu voudras.
— Cela me plairait aussi, rétorqua Eulenspiegel, aussi émoustillé par cette promesse que par le piège qu'il y devinait. Arrivé au château, le chevalier appela Franz, son valet le plus robuste.
Va avec cet homme dans ma cave, lui dit-il. Donne-lui à boire et à manger autant qu'il le voudra.

Mais, sans que Till ne puisse l'entendre, il compléta les ordres à son domestique, d'une façon moins hospitalière.
Quand les deux gaillards furent dans la cave, devant le grand tonneau, Franz remplit de vin un hanap qu'il tendit à Till, avec un grand morceau de lard.
Eulenspiegel était sur ses gardes. Il vit que, pendant qu'il buvait sa première rasade, Franz avait pris un grand nerf de bœuf et le dissimulait derrière son dos.
Eulenspiegel, sauta sur le tonneau et en arracha le robinet. Un puissant jet de bon vin de Moselle jaillit, et Franz, qui savait combien son maître y tenait, boucha le trou avec son pouce.

Till en profita pour lui arracher le nerf de bœuf et lui en donner la raclée qui lui était destinée, avec les intérêts en plus. Incapable de se défendre, Franz avait beau crier, le farceur continuait de plus belle, en hurlant lui-même comme si on lui arrachait l'âme du corps.
Quand Franz fut plus qu'à moitié assommé, Eulenspiegel décrocha deux grands jambons, les cacha dans son manteau et sortit de la cave, clopin-clopant, en gémissant à fendre le cœur d'un bourreau.

— Alors, lui dit le chevalier en riant, le vin et la viande t'ont bien goûté. J'espère que tu en as assez pour un bon bout de temps.
— Oui, chevalier, gémit Eulenspiegel, comme il sortait en boîtant du château. J'en ai bien assez pour trois semaines.
Quand il fut à bonne distance, il cessa, comme par enchantement, de traîner la patte, et se mit à danser sur le chemin. C'est alors que le chevalier commença à trouver étrange l'absence de Franz.

Le seigneur de Dasburg n'avait pas bon caractère. Il ne goûta pas du tout la plaisanterie et porta plainte pour vol contre Eulenspiegel.
Celui-ci était attablé dans une auberge lorsque trois gendarmes entrèrent, demandant si personne ne savait où pouvait bien se trouver un malfaiteur nommé Till Eulenspiegel.
— Je connais bien ce chenapan, répondit-il, il n'est pas loin. Je puis vous le montrer si vous me donnez chacun un thaler.
— Trois thalers d'argent, c'est beaucoup, dit un des gendarmes. Mais la prise en vaut la peine.
Ayant empoché les trois belles pièces, Till dit aux gendarmes:
— Restez ici, je dois aller chercher quelque chose dans la cour. Dans une minute, je vous amène votre homme.
Dans la cour, il défit les sangles qui maintenaient les selles des chevaux des gendarmes. Puis ouvrant la porte du café, il s'écria :
— Je tiens promesse. Voici Eulenspiegel ! C'est moi. Attrapez-moi si vous le pouvez !
Et il détala à toute allure comme un lapin.

Les trois pandores sautèrent sur les chevaux, mais, les selles glissant sur les croupes des montures, ils tombèrent rudement sur les pavés. L'un se cassa un bras, l'autre une jambe, et le troisième se fendit le crâne.

Till eut le temps de se sauver sans encombre. C'est ainsi qu'il quitta le beau pays d'Eifel pour n'y jamais revenir. On n'y est pas rancunier, et on y rit encore de bon cœur de ses farces.

L'Eifel, Allemagne occidentale

L'Eifel est une région de collines en Allemagne occidentale, au sud de Cologne, et à l'est des cantons de l'est de la Belgique. Elle occupe le sud-ouest de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie et le nord-ouest de la Rhénanie-Palatinat. Elle avoisine la Belgique et le Luxembourg.




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