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Les légendes des quatre Ardennes - Frédéric Kiesel

L'ange d'Yvois

Jadis, Carignan ne portait pas ce joli nom venu d'Italie, mais celui, non moins beau d'Yvois. La ville appartenait au duc de Luxembourg. Cité frontalière, elle fut souvent attaquée mais, à l'abri de ses murailles, elle supporta sans trop de dommages plusieurs sièges.

Non loin de la ville, la forêt d'Ardenne, épaisse et touffue, recouvrait une colline où personne n'osait s'aventurer: le Mont-Tilleul, repaire des sorcières, qui y menaient leurs sabbats.

Personne, évidemment, n'avait osé bâtir sa demeure sur le mont des sorcières, sauf un grand vieillard paisible et discret, dont personne ne connaissait le nom. Il venait souvent à Yvois, où son air digne et sa grande barbe inspiraient le respect. Il était salué avec une déférence particulière par la douzaine de sorcières qui vivaient dans la ville, et ne manquaient aucun sabbat, le samedi soir.

Personne ne lui posait de question, malgré la curiosité qu'il suscitait. Chose étrange pour un familier des sorcières, jamais on ne lui attribua un méfait ou un mauvais sort. Un beau jour, des ennemis vinrent mettre le siège devant les murailles longtemps invincibles d'Yvois. Les premières semaines, les habitants ne furent pas trop inquiets. Ils avaient de bons archers aux créneaux.

Du donjon du château, on pouvait observer tout préparatif d'attaque, et organiser à temps la défense. Mais, malgré quelques sorties vigoureuses des défenseurs de la cité, les ennemis étaient parvenus à isoler complètement la ville. Il ne fut pas possible de desserrer leur étau pour ramener des vivres des villages voisins.

La famine commença à régner, les enfants à manquer de lait. A peine pouvait-on nourrir convenablement les soldats. La peste se répandait. Malgré les prières publiques, Yvois allait, pour la première fois, succomber : soit mourir entre ses murs, soit se rendre à un ennemi cruel.

Comme ultime recours, le seigneur du château lança un appel, presque sans espoir. Celui qui sauverait la cité recevrait la main de sa fille, qui sortait à peine de l'enfance et charmait chacun par sa douceur et sa fragilité. Elle tremblait. A quel rude guerrier n'allait-elle pas être unie?
Les destinées sont souvent étranges. Un seul homme se présenta pour sauver Yvois: le vieillard du mont des sorcières. Il était arrivé soudain, on ne sait comment, car, depuis le siège, personne ne l'avait vu en ville.
— Tu pourras épouser ma fille si tu nous sauves de nos ennemis, lui confirma le seigneur, étonné. Combien veux-tu d'hommes d'armes avec toi? Combien de chevaux?
Aucun, répondit le vieil homme en souriant. Je ne combats ni avec l'épée, ni avec l'arc.
Il monta au sommet du donjon. A l'instant, une brume épaisse sortit de la forêt, noyant tout le camp des assiégeants. Elle se glissa jusque dans les rues de la ville.

La nuit tomba, sans lune ni étoiles. Elle dura longtemps, comme au plus fort de l'hiver. Un silence profond recouvrait toute la région, qui semblait frappée par un profond sommeil.

Le lendemain, un soleil éclatant se leva sur Yvois et, alentour, sur une campagne vide du moindre soldat. On n'y voyait plus trace de tentes, de barricades ou de chevaux. Les habitants d'Yvois n'en croyaient pas leurs yeux. C'était comme s'ils avaient tous fait un mauvais rêve. Craintifs d'abord, appréhendant quelque ruse de l'ennemi, puis rassurés, ils se répandirent dans les prés et les champs, n'y trouvant plus aucune herbe foulée, ni moisson piétinée, nulle trace de pas d'hommes ou de sabots de chevaux.

Les experts en sorcellerie se demandèrent si le siège n'avait pas été un maléfice, une illusion qui avait abusé leurs sens.
Le vieillard du Mont-Tilleul se présenta devant le seigneur qui lui confia sa fille. Anxieuse, pleurant doucement, elle suivit son nouveau maître, qui la regardait avec douceur.
Qu'advint-il d'elle? Nul ne le sut. Personne ne la revit jamais vivante. Mourut-elle? Fut-elle l'objet d'un sacrifice? Devint-elle jeune sorcière ou fée? Heureuse ou malheureuse? On l'ignore. Mais elle resta bienfaisante, quel que fut son sacrifice. Durant plusieurs siècles, chaque fois qu'Yvois était en danger, on l'apercevait, apparition blanche, dans les rues de la ville au crépuscule.

Elle ne disait rien, mais, chaque fois, le péril épargnait la ville. On la nommait l'ange d'Yvois. Était-elle un ange? Hélas! les prodiges ont leur temps. Depuis deux siècles, l'ange d'Yvois n'est plus revenu, et la ville subit le sort commun.




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