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Les légendes des quatre Ardennes - Frédéric Kiesel

La plante magique

Un druide

La forêt d'Ardenne guérit bien des maux du corps et de l'esprit. Elle apporte le calme, aide à la méditation et fait pousser des plantes dont on retrouve maintenant les vertus médicinales, douces et naturelles. L'huile de millepertuis guérit les brûlures. L'aubépine apaise le cœur. La menthe aide à digérer. La sauge à fleurs violettes est tonique, et la racine de gentiane rend l'appétit. Le tilleul donne des nuits de bon repos. La mauve, mélancolique scabieuse, « fleur des veuves », guérit les maladies de la peau, et l'aspérule odorante, l'humble « reine des bois », parfume le vin blanc trop sec et lui donne plus de gaieté.

Il y a mille ans déjà, la forêt ardennaise était renommée pour ses plantes miraculeuses, que les druides connaissaient jadis. Or, un puissant duc qui régnait au-delà de la Champagne avait été frappé par un mal mystérieux. Aucun médecin de son duché, de Paris et même de la lointaine Provence, ne parvenait à lui rendre la santé. Le peuple en était bien triste, car ce duc était juste et bon. Et déjà, d'avides voisins convoitaient son duché, car il n'avait d'autre descendant qu'une fille de dix-sept ans.

Comme il continuait à dépérir, un vieillard venu du nord vint annoncer ceci :
— Le duc ne pourrait être guéri que par une plante magique, très rare, qui ne pousse qu'en forêt d'Ardenne, du côté de Sedan. Mais on ne la trouve que dans le jardin d'un château ceint de hautes murailles, caché par d'immenses futaies que hantent les loups et autres bêtes malfaisantes. Et le seigneur du château est un ogre, fort comme un ours, et d'une grande cruauté.

On fit proclamer à son de trompe dans tout le duché, et les terres environnantes, que le duc offrait, à qui lui ramènerait d'Ardenne la plante du jardin de l'ogre, la plus grande récompense en son pouvoir: la main de sa fille et sa couronne quand il serait fatigué de régner.

La renommée de la forêt était tellement terrible que seuls deux hommes se lancèrent dans l'aventure : un page, tout jeune, mais déjà vaillant, qui aimait, comme un père, le duc son maître, et un officier de la garde, homme robuste et redouté, dur avec ses hommes et très vantard.

Personne n'osait trop parier sur le succès de l'un ou de l'autre. Mais on redoubla de prières dans toutes les églises du duché, pour le succès de l'expédition des deux hardis compagnons.

Ils firent route ensemble, mais, à l'orée de la forêt, l'officier fanfaron prétexta une subite fatigue.
Je vais me reposer dans l'auberge que voici, dit-il au page. Puis j'irai chercher de mon côté pendant que tu le feras du tien. Retrouvons-nous ici dans une semaine.

Le page accepta. Il pénétra seul à cheval sous les épais ombrages. Quelques rares pistes, à peine tracées, le guidaient entre les buissons. Parfois, une clairière envahie par la mousse blonde et odorante des reines des prés lui offrait sa lumière de paradis terrestre.

Heureusement pour le page, malgré leur sauvagerie, les lieux n'étaient pas complètement déserts. Il rencontra des charbonniers qui s'affairaient autour d'une butte de terre sous laquelle ils faisaient consumer des bûches à à feu étouffé, pour en obtenir du charbon de bois.

La venue d'un jeune cavalier surprit ces braves gens, noirs comme des diables. Il leur dit où il voulait aller.
— Le château de l'ogre? Jeune homme, n'y pensez pas! On n'en revient pas vivant !

Il leur expliqua le but de son voyage. Cela les convainquit de lui indiquer la direction, l'est, et quelques repères : un affleurement de schiste bleu, une source ferrugineuse entourée de « langues de cerfs », un chêne foudroyé, un torrent dont il fallait remonter l'étroit ravin.

Avant la tombée de la nuit, le page arriva au pied de la haute roche obscure que couronnaient les murailles du château de l'ogre. Il gravit le chemin raboteux qui menait à l'entrée, et frappa à la porte.

La chance souriait au jeune audacieux. Le maître de céans était absent et sa femme tenta en vain de dissuader le page d'accomplir son projet :
— Pauvre garçon, tu n'auras pas touché à l'herbe de santé que mon cruel époux t'aura tué ! Sauve-toi tant qu'il en est temps. J'entends la trompe de mon mari qui revient de la chasse.

Le page ne se laissa pas fléchir. Et l'épouse du terrible personnage eut une idée :
— Tu ressembles au fils que nous avions et qui est mort il y a cinq ans. Tu as l'âge qu'il aurait s'il avait vécu. Je dirai que tu es ce fils, que les bonnes fées de la forêt ont rendu à la vie.
Mon époux aimait beaucoup cet enfant. C'était son seul sentiment humain. Il voudra sans doute croire cette fable.

Il la crut. L'ogre revenait heureux de la chasse, portant sur ses épaules un chevreuil encore chaud dont le sang lui souillait les vêtements.

La joie de retrouver mon fils vaut plus que tous les chevreuils d'Ardenne, s'écriait-il, fou de joie.

Le page vécut trois jours dans le château. Il en visita tous les recoins et sa mère supposée lui montra, dans le petit jardin clos, au pied du donjon, l'herbe magique. Il la cueillit, remercia sa bonne hôtesse et s'en fut.

Après toute une journée de trajet, qui lui parut à peine une heure tant il était joyeux, il retrouva à l'auberge l'officier du duc, avec qui il avait fait route la semaine précédente. Il lui montra sa précieuse trouvaille. Furieux du succès de son compagnon, l'officier le tua d'un coup de poignard dans le dos, lui déroba la plante magique et l'enterra sous un aulne à l'orée de la forêt.

Le fourbe soudard rentra triomphant chez le duc. Il raconta que son compagnon avait été tué par un loup, la nuit, en forêt. La décoction de l'herbe magique guérit le duc en quelques semaines, et l'on célébra en grande pompe les fiançailles de la jeune duchesse avec le capitaine félon. Elle connaissait sa brutalité et pleurait à la fois la mort du page qu'elle avait aimé sans le lui dire, et l'obligation d'épouser bientôt le capitaine pour tenir la promesse faite par son père. Celui-ci, avant le mariage, voulut aller voir cette fabuleuse forêt d'Ardenne à laquelle il devait d'avoir recouvré la force, échappant au rendez-vous du trépas. Le duc partit avec une troupe de soldats, à laquelle le capitaine se joignit de mauvais gré. Il s'agissait pourtant de revenir sur le terrain de l'exploit qui allait le faire duc et plus tard souverain de son pays.

Après plusieurs jours, la compagnie arriva à l'orée de la forêt, elle prit du repos avant d'y pénétrer. Un des gardes coupa une branche d'un aulne, et, comme les enfants, il s'en fit un sifflet.

Quand le petit instrument fut achevé, au lieu d'émettre un sifflement il chanta :

« Souffle, souffle, soldat,
Ce n'est pas toi qui m'as tué
Dans les grands bois d'Ardenne
Pour la plante enchantée. »

Le garde crut avoir la berlue. Il souffla plusieurs fois dans le sifflet d'aulne. Chaque fois, la même voix, une voix très jeune, lui chantait les mêmes paroles.

Effrayé, il alla raconter cette étrange aventure au duc, qui fit l'expérience lui-même.
A nouveau le sifflet chanta, mais les paroles étaient différentes:

«Souffle, souffle, noble duc,
Ce n'est pas toi qui m'as tué
Dans les grands bois d'Ardenne
Pour la plante enchantée. »

Le front du duc se rida. Il devina qu'un crime avait été commis. Il fit souffler chacun de ses compagnons dans le sifflet d'aulne.

Les paroles étaient chaque fois les mêmes que celles qui avaient été chantées au premier garde. Mais quand ce fut le tour du capitaine criminel, la voix fut plus forte et chacun entendit très distinctement :

« Souffle, souffle, soudard félon,
C'est toi qui m'as tué
Dans les grands bois d'Ardenne
Pour me ravir l'herbe enchantée. »

Le duc fit immédiatement arrêter le capitaine. On l'enchaîna et on creusa sous l'aulne où l'on retrouva le corps du page, le dos portant la trace d'une plaie profonde.

Et tandis qu'on pendait à la maîtresse branche de l'aulne l'officier assassin, le sifflet chantait tout seul :

« Souffle, souffle, noble duc,
C'est toi qui m'as vengé
Dans ces grands bois d'Ardenne
Où poussera toujours l'herbe enchantée.»


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