Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes des quatre Ardennes - Frédéric Kiesel

On a tué le curé

Le curé de Birresborn, dans l'Eifel, était un homme sévère et d'une franchise brutale. Il appelait un chat, un chat. Dans ses sermons, quand il avait des reproches à faire à ses ouailles, il n'y allait pas par quatre chemins.

Ainsi, un dimanche, le lendemain d'un bal où l'on avait trop bu et embrassé les filles à des heures avancées de la nuit, le prêtre tonna en chaire avec une violence de prophète d'Israël. Si l'on s'était mis à adorer le veau d'or, il n'aurait pas été plus violent dans sa sainte colère.
Un groupe de jeunes gens, furieux de cette algarade excessive, attendirent le curé à la sortie de l'église. Ils lui lancèrent des pierres, en l'injuriant.

Les stations d'un chemin de croix jalonnaient le chemin de l'église jusqu'au presbytère. Près de la première croix, le prêtre fut atteint par une pierre. Devant la deuxième, il fut touché à la jambe. Il tomba et se releva. Il venait de dépasser la troisième croix lorsque, recevant une grosse pierre sur la tempe, il s'écroula. Il était mort.

Onze heures du matin venaient de sonner. Dans un silence effrayant, la nuit, une nuit d'un noir absolu, tomba sur le village, ses prés et ses bois. On ne distinguait plus sa propre main devant soi. Le herdier, qui était dans une clairière avec le troupeau du village, fut incapable d'en revenir : il se heurtait aux talus, aux troncs d'arbres, tombait dans les ornières tant l'obscurité était épaisse.

Après trois jours, la clarté revint sur un Birresborn encore terrifié.

Les habitants écrivirent à l'évêque pour lui demander son pardon. Pendant sept ans, il n'y eut plus de naissances au village. Mais personne ne mourut, ce qui était une consolation.
De toute façon, s'il y avait eu des naissances ou des décès, il n'y aurait pas eu de prêtre pour le baptême ou les funérailles, car le curé, mort lapidé, ne fut pas remplacé.
Après sept ans, le bourgmestre et les échevins allèrent humblement trouver l'évêque de Trêves, pour lui redire le repentir de la population, et lui demander de désigner un desservant pour la paroisse.

L'évêque dit aux notables de Birresborn :
— Vous avez bien fait de venir me trouver pour me dire que vos concitoyens regrettent le crime. Mais je ne puis pas risquer ainsi la vie de mes prêtres. Ceux qui ont été meurtriers une fois, peuvent le devenir une deuxième fois. Dites à vos gens que je pardonne. Mais je ne puis pas faire plus. Déçus, le maïeur et les échevins revinrent à Birresborn. Comme la population commentait l'issue décourageante de la démarche, l'innocent du village déclara tranquillement:
— Je vais aller chez l'évêque. Il se laissera peut-être convaincre! On sourit d'abord. Puis quelqu'un dit:
— Après tout, pourquoi pas? Au point où les choses en sont, nous n'avons rien à perdre.
En effet. Pourquoi pas?

La femme du premier échevin prépara de grandes gaufres. L'innocent les plaça dans sa besace, planta sa casquette bien droite sur son crâne et prit son bâton. Perplexes, mi-goguenards, mi-sérieux, ses concitoyens le virent partir, le nez en l'air, chez l'évêque. Il ressemblait plus à un enfant en maraude qu'à un chargé de mission.
Arrivé à Trêves, il eut de la chance. Le prélat, amusé, le reçut sans le faire attendre. Point impressionné, le visiteur garda sa casquette sur sa tête. Comme il est d'usage dans les villages, on n'en vint pas immédiatement au but de la visite. Il fallait d'abord parler un peu du temps, des moissons.
Le trajet à pied avait creusé l'appétit de l'innocent. En toute évangélique simplicité, il sortit les gaufres de sa besace:
— En veux-tu? demanda-t-il à l'évêque sans plus de cérémonie.
— Volontiers, répondit le prélat, sans se formaliser. Il avait compris à qui il avait affaire. Manger ensemble achève de mettre à l'aise.
— Beschof (Évêque), tu devrais tout de même nous envoyer un curé à Birresborn, dit-il, tout de go. Le prélat lui répondit sans brusquerie :
— J'ai dit non à ton bourgmestre. Cela reste non. Je n'ai pas de prêtre à faire massacrer. Je le lui ai dit. Mais tu me plais. Tu es venu chez moi, tu m'as donné une gaufre. Tu es un bon garçon. Je vais te donner ma bénédiction. Mais pour cela, mets-toi à genoux et enlève ta casquette.
— Si ta bénédiction n'est pas capable de traverser ma casquette, tu peux la garder, je siffle dessus, lui répondit l'innocent le plus tranquillement du monde.
L'évêque réfléchit un instant et dit :
— Au fond, tu as raison. Il est grand temps que je vous envoie un curé à Birresborn !




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