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Légendes et contes du pays de Charleroi

Bouffioulx

La Fête à Saint-Biaise.

Chaque fois que, le soir du lundi de Pâques, le Gros rentrait de la ducasse de Bouffioulx à son domicile familial du Tiène Robau, à Châtelet, son père lui posait une question, toujours la même:
- N'avôz né rouvyi d'aler baujî l'eu da Paquet?(1)

Le Gros n'avait garde. Son père tenait trop à cette tradition dont le mystère lui échappait. Et puis, le trajet en bandes, avec des filles déjà excitées, de la place du village, où la grande fête battait son plein, au hameau de Saint-Biaise, ne manquait pas d'attraits malgré le pourcentage élevé de la montée et la rudesse du chemin caillouteux.

Là-haut, la jeunesse joyeuse et turbulente était attendue par les bruits, les odeurs et les couleurs d'un branle-bas champêtre et bon enfant.

Oh, pas de manège à chevaux galopants, de kiosque à musique, de tente avec des boxeurs et des lutteurs à la parade, de «baraques» à frites et à beignets qu'ennoblissaient des glaces géantes, de tonneau d'amour, de théâtre où saint Antoine et son cochon assistaient, impassibles, à la bataille de Sébastopol et aux malheurs de Geneviève de Brabant. Mais, quand même, une échoppe à frites, cervelas, saucisses de Bologne et œufs cuits durs, un vendeur de lance-parfums japonais, de moulins et de fleurs en papier, des camelots qui proposaient des «boubon'rîyes», des bières à bon marché et des «sodas». Des balançoires modestes. Quatre planches sur des tonneaux pour les musiciens. Des jeux de hasard ou d'adresse, au matériel rudimentaire. Et la voiture du marchand de «crème à la glace», aux flancs peints à l'italienne, et dont les demi-sphères en cuivre jetaient des appels de soleil vers les gourmandises des premières tiédeurs printanières. On dansait sur l'herbe.

Le Gros appréciait aussi l'air vivifiant qui soufflait sur le plateau et la vue du village groupant, dans la vallée, ses vieilles maisons de pierre grise ancrées solidement autour du clocher pointu de l'église Saint-Géry; et les horizons étalant leurs bleus d'ardoise derrière les verts tendres des prairies et les ocres bruns des champs.

Il était heureux: la fête, la nature, les camarades, les filles. Il avait tout. Il buvait. Il mangeait. Il jouait. Il éclatait comme un bourgeon gorgé de sève et de soleil. Mais sa saoulerie ne chassait jamais de son esprit le baiser au cul de Paquet, c'est-à-dire faire le tour de l'ermitage Saint-Biaise(2). Ne fût-ce qu'une fois. Même sans prier.

L'ermitage était devenu une sorte de métairie. On y arrivait par une allée de peupliers. Isolée, elle abritait une modeste chapelle, ce jour-là ouverte à tous et dont les statues allaient disparaître au fil des dévotions ou des rapines.

On ignore quand fut fondé cet ermitage - on a parlé du 14ème ou du 15ème s. - et quand fut édifié le bâtiment qu'on voit encore aujourd'hui. On raconte qu'un trésor est caché dessous, qui a attiré jusqu'à des chercheurs venus de France. La chapelle a été détachée du bâtiment et reconstruite à quelque dix mètres dans le pré.. Elle est assez délabrée. Le propriétaire actuel, un Musulman, est bien décidé à la faire restaurer. Il paraîtrait qu'au début de notre siècle, le propriétaire d'alors manifestait peu de respect pour elle : il en avait fait une étable. Son épouse et lui en auraient été cruellement punis.

La cave voûtée de la métairie montre deux entrées de galeries murées depuis de longues années. Elles conduisent, affirment les vieux, l'une vers les ruines du château, tout proche, de Montrau, l'autre vers une crypte et, peut-être, plus loin, en direction du soleil levant.

L'ermitage appartenait à la commune. Il fut acheté en 1842 par le célèbre Paquet. «Celui-ci, quoique privé de l'usage de presque tous ses membres, parvint, grâce à une énergie extraordinaire, secondée par un véritable génie, à y tenir pendant de longues années un pensionnat très florissant, comptant en moyenne quarante à cinquante internes, qu'il logeait dans le vaste grenier couvert en mansarde, tel qu'il subsiste encore aujourd'hui.»(3) Ces élèves, enfants de bourgeois, venaient d'un peu partout de la région.

«Li chalè Paquet»(4), comme on l'appelait dans les entours, était aussi un rebouteux de classe. Ses guérisons en firent un être de légende. Il communiqua certains de ses secrets à son neveu,

Edouard-Joseph Staquet, qui transforma l'ermitage en exploitation agricole. Avant sa mort, en 1897, celui-ci en révéla une petite partie à Camille Gibon, dont la composition d'une pommade contre les anthrax et les ulcères et celle d'un «té» contre la décalcification osseuse. Des expéditions de cet onguent furent faites à l'étranger, jusqu'à Madagascar.

Eugène, fils de Camille, était un ami du Gros. Celui-ci l'admirait pour son intelligence, son esprit, sa mémoire prodigieuse et le grasseyement qu'il avait rapporté de France en 1919. A 18 ans, Eugène récitait des chapitres entiers d'Anatole France, tout en tirant à la carabine sur les lampes d'un éclairage public de campagne. Son père l'avait inscrit à la faculté de Médecine de l'U.L.B. Lui préféra l'aventure et les cours d'histoire du professeur Van Kalken.

Le Gros le connut tour à tour lutteur de foire, antiquaire, cultivateur de champignons, trafiquant d'armes, espion.

En septembre 1944, excédé par ses remarques d'une ironie cinglante sur la grandeur et la fortune des armes hitlériennes, le commandant d'une colonne de chars allemands qui traversait Châtelet le fit embarquer de force dans sa tourelle. Eugène était porteur d'un revolver. On retrouva l'ami du Gros décapité à la mitraillette dans un champ de betteraves, près de Fleurus. Il n'avait que 33 ans. Le peu qui restait des secrets médicaux du «Chalè Paquet» passa alors dans la famille du frère de Camille.

Paquet faisait figure de sorcier auprès des Buffaloniens les plus crédules. Ils ajoutaient, mais à voix basse et après s'être fait beaucoup prier, qu'il avait pactisé avec le diable, un soir de pleine lune, à un quatre-chemins.

Baiser le cul de Paquet, n'était-ce pas une allusion à un moment du sabbat où l'hommage rendu au diable, représenté par un bouc, était le baiser «aux parties de derrière»? D'autre part, au cours de la séance d'initiation de telle société secrète, ne lançait-on pas au candidat l'injonction de sceller la parole qu'il venait de donner par un baiser à l'anus du Grand Maître, appelé «le baiser de la Paix»? Cette coutume fait aussi référence à l'une des fausses accusations lancées par les tribunaux de Philippe le Bel contre les Templiers et leurs pratiques d'initiation.

Alors, la tradition que respectaient le père du Gros, né en 1877, et son fils, né en 1909, ne projetait-elle pas la mémoire profonde du peuple vers des âges lointains?

Mémoire buffalonienne qui a laissé sombrer dans l'oubli des contes comme Li turkwè et La Mesure mal prise, dont il ne nous reste que les titres, et la légende du Géant de Montrau, publiée dans la revue L'Education populaire de Charleroi, le 30 septembre 1880, par le fils d'un des anciens élèves de l'ermitage Saint-Biaise, Clément Lyon.

  1. N'avez-vous pas oublié d'aller baiser le cul de Paquet?
  2. Le même rite a existé à Mons (baiser le cul du portier), à Fleurus et à Tirlemont (celui d'une vieille femme). Cfr. A. Harou, Mélanges de traditionalisme en Belgique, Paris, 1893.
  3. G. Boulmont. Nos anciens ermitages, Bruxelles-Namur, 1903.
  4. Paquet le boiteux.

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