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Légendes et contes du pays de Charleroi

Bouffioulx

Le Géant de Montrau.

Grotte Montrou

Grotte de Montrou (Bouffioulx).

Montrau - le nom a été francisé en Montrou au siècle dernier - est aussi appelé par les anciens de Bouffioulx Trou de César ou encore Trou des Sarrasins. C'est une grotte qui s'ouvre dans le flanc d'un rocher, sur la rive droite du ruisseau aux quatre noms : li Bî, la Biesmes, le ruisseau d'Acoz, le ruisseau d'Hanzinnes. Au siècle dernier, des «Djipsènes»(1), de passage avec leurs fours portatifs, y séjournaient et offraient leurs services de chaudronniers. Le volume, l'exposition et la sécheresse de la grotte étaient autant d'invites. Sur les Respes, une rue des Egyptiennes rappelle leur souvenir.

Anselme, le maréchal-ferrant des Tiènes, certifia au Gros et à son inséparable Eugène Gibon qu'un souterrain partait de la grotte vers l'est, jusqu'à l'abbaye de Floreffe, si pas celle de Salzinnes. Le vieux Cab'dri était persuadé qu'y avaient vécu des Nutons, travailleurs de la nuit, laveurs de linge sale et donc grands amis des ménagères «dèl Brok'mane» et des Potias.

Si le Gros ne s'interrogeait guère sur la grotte où il prenait plaisir à déguster ses tartines de pain frais enrichies de beurre et de sirop de poire, il n'en fut plus de même quand, adulte, il devint un lecteur assidu des publications d'histoire régionale.

C'est que le plateau surplombant la grotte avait été couronné, jadis, par un important ensemble mégalithique, hélas! détruit vers le milieu du siècle dernier. Les vieux redoutaient ces pierres énormes qu'ils dotaient de pouvoirs de sorcellerie et qu'ils n'auraient jamais approchées la nuit. Quand on lui en parlait, «li chalè Paquet» ne haussait pas les épaules. Il disait: «Peut-être bien... C'est possible... On a déjà vu...» Et le curé: «Dites plutôt vos prières.»

Il y avait, dans les nuages, la Chapelle des Gueux, «une espèce d'allée couverte formée d'une suite de dalles dressées parallèlement en couloir couvert par d'autres dalles. Le fond était constitué par une roche élevée perpendiculairement, tandis que l'entrée, ouverte vers l'est, était de forme triangulaire et faite de deux pierres colossales inclinées l'une vers l'autre et se touchant par leur partie supérieure. »(2) Derrière la chambre ainsi formée se trouvaient un dolmen et, plus loin, plusieurs menhirs.

Quant à la légende du Géant et Grand Sorcier de Montrau, Clément Lyon nous l'a ainsi transmise:
«Ici est son repaire, ou plutôt son palais. Les stalagmites et les stalactites en sont les seuls ornements. Personne ne connaît l'âge du géant. Les plus vieux du village, qui sont maintenant là-bas, à l'ombre de la modeste croix blanche, au lieu de leur dernier repos, disaient, il y a quelques années : Défiez-vous, les enfants, défiez-vous d'aller, le soir, à Montrau, le grand sorcier pourrait bien vous en faire repentir. Un tel, il y a cinquante ou soixante ans, est disparu du village; et notre grand-mère à nous nous a maintes fois répété que Montrau était un vilain trou.

«Cependant, quelques gens, qui veulent passer pour plus fins que les autres, se flattent de l'avoir entrevu, le soir, dans l'ombre, être fantastique. Mais c'est vanterie. Parle à Jacques Dumont et le vieux, secouant la tête, vous dira : «S'ils l'avaient vu, ils seraient morts.»

«Il en est toutefois qui, par curiosité, soit par la soif des découvertes, soit par le désir des aventures, se sont hasardés à escalader les rochers escarpés de Montrau et qui, la sueur ruisselant sur le visage, sont parvenus, non sans périls, à l'entrée de la grotte, dans un réduit peu élevé; mais bien peu, arrivés là, ont osé se glisser dans la fente étroite et longue qui s'ouvre à droite, entre deux rochers disjoints et qui, dit-on, donne accès à une salle pleine de ténèbres et de silence, dont l'écho sonore répète longuement et fortement le bruit des pas et des voix, ou celui des pierres roulant du sol dans l'abîme.

«Le géant de la Sambre, tout le corps velu, la barbe et les cheveux incultes, les yeux et la bouche immenses, les dents longues et blanches, sort de son repaire vers la nuit, enveloppé d'un nuage vaporeux. Il a rendu son corps diaphane et imperceptible aux yeux du vulgaire. Il enjambe la vallée brumeuse de Bouffioulx et va s'asseoir sur ses mains, au sommet des monts de Couillet, au bois de Boubier, les pieds reposant sur le vert tapis émaillé de fleurs des prairies riveraines de la Sambre.

«Les villageois qui assurent ces choses extraordinaires disent qu'il rêve là de longues heures et que, dès qu'il se sent fatigué de sa méditation, il revient dans son antre sous une forme invisible.

Parfois, on entend alors des soupirs, puissants comme ceux d'un soufflet de forge, s'échapper du Trou de César, ainsi qu'un bruit étrange de cailloux froissés et de pierres déplacées. Sans doute, ajoutent les bonnes gens, pour entrer dans son repaire, il ne peut plus se défaire de son corps immense, sa forme vaporeuse disparaît, il couche sa lourde tête, il plie son vaste dos anguleux, il rampe péniblement sur sa poitrine velue comme un long serpent. C'est son supplice. Mais personne ne peut assurer cela, à la vérité. «S'ils l'avaient vu, ils seraient morts», répétait sans cesse le vieux Jacques Dumont, en secouant la tête d'un air d'incrédulité.

«Et la légende affirme ensuite que c'est l'ombre du rival du fier châtelain de Montrau, le sire de Montchevreuil, qui, saisi par lui, a été précipité dans cette terrible caverne où il serait mort de faim, comme le vieux Bon Dieu de Bouffioulx.»

Cette fin du texte de Clément Lyon appelle deux commentaires.
Selon la tradition locale, toujours bien vivante, il y aurait eu à Bouffioulx, au Moyen Age, deux châteaux, celui de Montrau et celui de Montchevreuil(3).

Ils se dressaient l'un en face de l'autre, séparés seulement par une gorge occupée par le ruisseau d'Acoz. A l'est, sur le roc qui surplombe Montrau, on aperçoit encore quelques assises de fondations qui furent importantes et connues de longue date(4).

En 1862, la gorge fut élargie considérablement pour faire passer une ligne de chemin de fer et donner plus d'ampleur à la route et au cours d'eau. Les travaux firent découvrir dans la colline de Montchivia des caves, des portes voûtées, des pièces de monnaie, des débris de poterie. Une ancienne tour y existait encore au XVIIIème siècle. Un médaillon ornant un pot de Bouffioulx du XVIème siècle représente, texte à l'appui, «Gaspar, seigneur de Matra et gouverneur de Montchivia». Mais l'ironie des paroles d'une vieille chanson éloigne toute idée de richesse de cette double propriété :

Monsigneûr di Matra,
Gouverneur du Montchivia,
Qui n'a qui l'pia su l's-ochas,
Qui n'a ni vake ni via.
Ene mâye, gn-a
Dins s'boûsse di boya.
Baulim'! Baulom'!
Qu'est-ce qu'i gn-a
A Montchivia?
Qui ç'qu'est mwârt?
C'est Gaspard.
Qui ç'qui l'a dit?
C'est l'Bailly.
Où ç'qu'i s'ra mis?
D'su les Tiènes,
A Sint-Stiène.

Quant au «Bon Die d'Boufioû», dont parle aussi Clément Lyon, il a réellement existé. Il se nommait Donceel. C'était un jeune homme qui, au milieu du siècle dernier, s'était fait fort de jeûner trente-trois jours et trente-trois nuits d'affilée. «Comme Jésus-Christ», affirmait-il. Il ne réussit pas à aller jusqu'au bout de l'épreuve.

Un château ou deux. Une «chapelle», un dolmen, des menhirs. Une grotte. Un ermitage. Enigmatique, cette histoire inscrite dans le calcaire buffalonien sur moins d'un kilomètre carré. Troublant, ce cortège d'êtres légendaires : des nutons, un géant, des Sarrasins, des Egyptiennes et un sorcier, qui se retrouvent tous dans ce paysage de pierre, de vent et d'aubépine.

  1. romanichels.
  2. Charles Pasquier-Naline, Les antiquités de Bouffioulx, dans le Bulletin des séances du Cercle archéologique de Mons, 1865, et D.-A. Van Bastelaer, Allée couverte et dolmens, à Bouffioulx, dans Doc. et Rap. de la Soc. arch. de Charleroi, 1883.
  3. Le toponyme réel, c'est Montchivia, tel qu'il est attesté depuis longtemps et confirmé par le patois local. Il a fallu la fantaisie prétentieuse et ignorante d'un scribe pour en faire un Montchevreuil français. Le chevreuil, en wallon d'ici et de tous les environs, c'est «li chevreû». Alors, Montchivia? Nous verrions peut-être «mont» et «chîve» (chemin escarpé). Ce qui est le cas sur le plan topographique.
  4. D'après les ruines, il semblerait que la construction remonte au XIème siècle. Une famille fut condamnée, en 1730, pour avoir sapé, miné et fait sauter sans autorisation une partie de cette tour. Il fut un temps où d'aucuns affirmaient péremptoirement que Jules César en faisait mention dans ses Commentaires !

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