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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XIII

COMMENT LE ROI DE GASCOGNE RENDIT REGNAUT ET SES FRERES A CHARLEMAGNE.

Nous parlerons dans ce chapitre de Roland et Olivier qui revenaient de la chasse fort contents d'avoir pris beaucoup d'oiseaux. Comme ils s'en retournaient, Damprimbant s'en alla au devant d'eux et leur dit :
— Vous avez pris beaucoup d'oiseaux mais ils vous coûteront bien cher. Si vous avez pris des oiseaux, Regnaut et ses frères ont pris des hommes et des chevaux, car vous pouvez voir votre dragon sur la tour de Montauban. C'est l'ouvrage des quatre fils Aymon, et chacun pense que vous avez pris Montauban.

Roland l'ayant entendu parler, se mit sur une pierre et fit quelques réflexions. Il appela ensuite l'archevêque Turpin et lui dit :
— Que me direz-vous ? Je n'oserai jamais me trouver devant mon oncle, car je crains sa colère.
— Messire, ne craignez rien, vous n'êtes pas le premier à qui cela soit arrivé. Je vous promets qu'avant qu'il soit trois jours, vous aurez des gens de Regnaut comme il en a des vôtres.
— Messire, dit Roland, je m'en rapporte à votre prudence.

Ils remontèrent tous à cheval, et allèrent vers Charlemagne. Après eux, marchaient plus de deux cents gentilshommes qui avaient perdu leurs chevaux. Ils entrèrent dans la tente du duc Naimes. Roland y demeura deux jours sans sortir tant il était honteux. Pendant que Roland était dans la tente du duc Naimes, l'archevêque Turpin alla à la tente de Charlemagne, salua le roi et lui dit :
— Sire, je viens vous apprendre une nouvelle désagréable. Vous saurez que les quatre fils Aymon nous ont battus. Ils ont pris ce qui était dans nos tentes, nos chevaux, les harnais, le dragon de Roland et plusieurs de nos gens.

L'empereur Charlemagne fut bien irrité et jura par saint Denis qu'il s'en vengerait. Il manda alors ses barons. Ils vinrent vers lui, et il leur dit :
— Seigneurs, je vous ai fait venir pour vous dire tout ce qui est arrivé. Sachez que les quatre fils Aymon ont vaincu les chevaliers que mon neveu Roland avait emmenés à Balençon, ce dont je suis bien fâché. J'aimerais mieux avoir perdu autre chose et que cela ne fut point arrivé. Mais il faut bien souffrir puisqu'on ne peut faire autrement. Dites-moi, je vous prie, comment je pourrais prendre Montauban ?

Quand il eut achevé, personne n'osa parler. Le duc Naimes dit :
— Sire, vous demandez conseil pour assiéger Montauban. On ne vous le conseillera pas, il y a trop de danger. Mais si vous me croyez, commandez au roi Yon qu'il ne retire point vos ennemis dans son pays, qu'il vous les rende, sinon vous lui retirerez ses terres et ne lui ferez point de grâce.
— Naimes, dit le roi, votre conseil est sage et prudent. Le roi fit venir un messager auquel il dit :
— Allez à Toulouse, et dites au roi Yon de ma part, que je suis en Gascogne avec les douze Pairs de France et cent mille combattants. Dites-lui que s'il ne me rend pas mes ennemis les quatre fils Aymon, je l'exilerai de toute sa terre et lui ôterai sa couronne, et on le nommera roi détrôné.
— Sire, dit le messager, vos ordres seront exécutés avec exactitude.

Alors il partit de l'armée, alla à Toulouse, où il trouva le roi Yon en son palais. Il le salua de la part de l'empereur puis il lui fit part de son message. Le roi Yon, après avoir entendu ce que lui annonçait le messager, se mit à penser en lui-même, puis dit au messager :
— Ami, restez en cet endroit huit jours, après quoi je vous rendrai réponse.
— J'attendrai volontiers, répondit le messager.

Le roi Yon entra dans sa chambre, accompagné de huit comtes, et il commanda que la porte fût bien fermée. Il leur dit ensuite :
— Seigneurs, je vous prie de me conseiller raisonnablement sur ce que je dois faire. Charlemagne est entré dans mon pays avec cent mille combattants. Il me demande que je lui rende les quatre fils Aymon. Qu'autrement il ne me laissera ni gens, ni château sur pied, et que s'il peut s'emparer de moi, il m'ôtera la couronne que je porte. Mais j'aime mieux mourir que de vivre honteusement.

Quand le roi Yon eut parlé, un chevalier nommé Godefroi, qui était son neveu, se leva et lui dit :
— Sire, je suis surpris que vous demandiez conseil pour trahir des chevaliers tels que les quatre fils Aymon. Regnaut est votre frère et vous lui avez donné votre sœur en mariage. Vous savez quel bien il a fait à votre pays. Vous lui avez promis et juré de le servir envers et contre tous, aussi il faut leur tenir parole et les laisser aller à l'aventure. Ils pourraient au moins offrir leurs armes à quelque grand seigneur, qui leur fera plus de bien que vous ne leur avez fait. Je vous demande de ne rien faire qui puisse vous déshonorer.

Le vieux comte d'Anjou dit ensuite :
— Sire, vous nous avez demandé des avis. Si vous voulez les suivre, nous vous en donnerons.
— Parlez, dit le roi, je suivrai votre conseil.
— Sire, dit le comte, j'ai bien entendu dire, s'il est vrai, que le duc Beuves d'Aigremont tua Lohier, ce dont Charlemagne fut bien fâché. Regnaut et ses frères étaient bien jeunes alors. Et quand ils furent grands, Charlemagne voulut leur faire payer le prix de ce crime ; mais ils eurent tant de courage qu'ils ne voulurent se rendre. Regnaut a depuis tué Berthelot, neveu du roi. Sire, je ne vous déguise rien. Vous savez que Charlemagne est puissant, que je n'ai jamais réussi contre lui, aussi je vous conseille de lui rendre Regnaut et ses frères. Vous serez délivré d'un grand danger.

Le conseil dit ensuite :
— Nous serions tous des traîtres ; vous lui avez donné votre sœur en mariage. Il vous a averti qu'il avait guerre avec Charlemagne. Il a gagné bien des batailles et vous a délivré de vos ennemis, et sans eux, vous ne porteriez plus votre couronne. Pour sauver votre vie, vous trahiriez des chevaliers tels que les quatre fils Aymon. Vous n'avez encore rien perdu avec eux, et vous seriez un traître de les livrer à Charlemagne.

Le vieux Antoine parla ensuite et dit :
— Sire, ne recevez pas ce conseil ; vous pourriez être trahi. Je sais mieux que quiconque les intentions de Regnaut. Il est fils d'un seigneur qui n'avait qu'une ville ; il n'a jamais voulu se soumettre au roi de France. Il a tué Berthelot et Charlemagne le chassa du royaume de France. Il est venu en Gascogne ; vous lui avez donné votre sœur en mariage avec beaucoup de biens et il en est devenu si orgueilleux que personne ne peut vivre avec lui. S'il peut vous ôter la vie, il le fera pour posséder votre royaume. C'est pourquoi je vous conseille de le rendre avec ses frères et Maugis au roi Charlemagne, et vous apaiserez sa colère.

Le duc Guichard de Bayonne dit :
— Sire, je vous dis que le comte Antoine a tort de parler ainsi. Regnaut est fils du duc Aymon de l'Ardenne. Charlemagne fit tuer leur oncle, le duc Beuves d'Aigremont. Regnaut, il est vrai, a tué Berthelot, mais c'était à son corps défendant. Je dis qu'un roi qui commet une trahison par la crainte qu'il a d'un autre roi, n'est pas digne de porter la couronne.

Le comte Hector parla ensuite et dit :
— Sire, vous demandez un conseil à qui n'est pas en état de vous en donner. Sachez que Regnaut est un vaillant chevalier et a fait la guerre contre Charlemagne ; il vint en Gascogne, vous lui avez donné votre sœur en mariage ; vous avez eu grand tort, ainsi que de lui permettre de bâtir le château de Montauban au plus fort endroit de votre royaume ; Charlemagne est venu l'assiéger, je vous conseille de rendre Regnaut le plus tôt que vous pourrez ; il vaut mieux perdre quatre chevaliers que votre royaume. Donnez votre sœur à un autre, car vous ne pouvez avoir un plus grand ennemi que Charlemagne. Vous ne serez point blâmé si vous suivez mes avis.

Yon fut de cet avis et constata que les barons de son conseil l'approuvaient. Yon, pourtant était attristé par sa décision, car il craignait d'être considéré comme un traître.

Il s'isola et se mit à pleurer. Puis il appela son chapelain et lui dit d'écrire à Charlemagne que s'il épargnait son royaume, il lui rendrait les quatre fils Aymon dans dix jours, dans les plaines de Vaucouleurs, revêtus de manteaux d'écarlate fourrés d'hermine, montés sur des mulets et portant dans leurs mains des rosés.

La lettre écrite fut portée à Charlemagne qui accepta le marché du roi Yon quoiqu'il sût que c'était une trahison. Charlemagne promit à Yon d'agrandir son royaume de quatorze châteaux et lui envoya les quatre manteaux d'écarlate pour les quatre fils Aymon. Il donna aussi des marcs d'or et l'anneau qu'il avait au doigt. Charlemagne mit Foulques de Morillon et Oger le Danois dans le secret et les chargea d'aller dans les plaines de Vaucouleurs avec trois cents chevaliers bien armés où ils se mirent en embuscade.

Yon, après avoir pris connaissance de la lettre de Charlemagne, partit pour Montauban, chez les fils Aymon. Sa trahison l'attristait toujours, mais il voulait cependant sauver son royaume. Il mit les fils Aymon au courant de l'offre qu'il avait faite à Charlemagne en y ajoutant le mensonge que Charlemagne leur accorderait son pardon. Allard ne voulait pas se rendre dans les plaines de Vaucouleurs ; l'épouse de Regnaut lui dit qu'elle avait eu un songe où apparaissait la trahison de son frère Yon. Mais Regnaut voulut s'y rendre et après bien des palabres, il fut décidé d'aller au rendez-vous proposé dans la lettre du roi Yon. Ils partirent donc au jour fixé, accompagnés de huit comtes. Grâce aux manteaux d'écarlate, on les reconnaissait aisément. Les quatre fils Aymon se mirent à chanter, croyant qu'ils allaient vers la paix avec Charlemagne et ignorant que la mort les guettait. Arrivés dans la plaine, ils virent très vite qu'ils avaient été trahis, surtout quand ils aperçurent mille chevaliers qui venaient à leur rencontre conduits par Foulques de Morillon. Les trois frères de Regnaut crurent que la trahison venait de leur frère et voulurent le tuer, mais ils comprirent vite leur erreur.

Le comte d'Anjou qui commandait les comtes du roi Yon refusa de les aider à combattre. Alors Regnaut, d'un coup d'épée, lui trancha la tête. Les autres prirent la fuite. Montés sur des mulets, les fils Aymon ne purent les poursuivre.

Ils mirent pied à terre et montèrent sur un rocher pour mieux se défendre jusqu'à une mort glorieuse. Regnaut parlementa avec Foulques de Morillon pour essayer de sauver sa vie et celle de ses frères, mais Foulques ne voulut rien entendre et les fils Aymon se préparèrent à combattre contre trois cents chevaliers. Foulques blessa Regnaut à la cuisse, mais Regnaut répliqua et donna à Foulques un si grand coup qu'il l'étendit mort à ses pieds. Il prit alors la lance et le cheval de Foulques, courut sur Angrenon qu'il fit périr, et il tua encore un baron, quatre comtes, trois ducs et onze chevaliers. Il se retourna et vit Allard qui avait gagné une lance et un cheval. Puis, blessés, mais rassemblés les Aymon se lancèrent avec fureur sur les Français qui résolurent de les séparer pour mieux en venir à bout. Regnaut sortit de la mêlée avec Allard ; Richard se sauva sur le rocher, mais Guichard demeura seul et dut se rendre prisonnier, perdant beaucoup de sang par les blessures qu'il avait reçues. Voyant cela, Regnaut fonça avec une telle rage que ceux qui emmenaient Guichard s'enfuirent de peur. Regnaut et Allard donnèrent une lance et un cheval à Guichard, mais il était si blessé qu'il ne pouvait plus se défendre ; il se coucha contre le rocher. Gérard de Vauver, cousin de Foulques de Morillon, pour venger la mort de ce dernier, s'élança vers Richard, sur le rocher, et le blessa si gravement au ventre que ses boyaux lui sortaient du corps. Richard, cependant, parvint à se relever et frappa Gérard de Vauver qui tomba mort. Epuisé, Richard tomba par terre. Adossés au rocher, Regnaut, Allard et Guichard combattaient sans relâche. Contournant le rocher, Regnaut vint vers Richard. Le voyant venir, les Français qui allaient achever Richard, prirent peur et se sauvèrent.

Portant Richard sur un écu, les fils Aymon parvinrent à remonter sur le rocher où ils étaient mieux pour se défendre. Le combat continua plus acharné que jamais, car les fils Aymon refusaient de se rendre. Richard se fit ceindre de sa chemise pour maintenir ses boyaux dans son corps et prit part à la lutte à côté de ses frères. À un moment donné, Oger le Danois s'approcha du rocher et dit aux quatre fils Aymon :
— Cousins, reposez-vous un peu et amassez des pierres pour vous défendre, car le roi vous fera pendre s'il peut vous tenir. Si Maugis le sait, il viendra vous secourir et vous pourrez vous échapper.
— Cousin, dit Allard, vous devriez nous défendre vous-même.

Oger leur dit :
— Je ne puis pas, car je suis lié par ma promesse à Charlemagne.

Après avoir bandé leurs plaies, ils se reposèrent. Alors Regnaut alla vers le rocher amasser des pierres. Il en fit un amas où étaient ses frères. Quand les Français virent qu'Oger demeurait si longtemps, ils lui crièrent :
— Dites-nous donc s'ils veulent se rendre ?
— Non, dit Oger, ils veulent se défendre jusqu'à la mort.
— Attaquons-les, dirent les Français.
— Je vous promets, dit Oger, que je les secouerai de toute ma puissance.

Le comte dit :
— Nous vous commandons de par le roi de venir en bataille contre eux, comme vous l'avez promis.
— Seigneurs, dit Oger, vous savez qu'ils sont mes cousins. Retirons-nous et laissons-les en paix. J'aime mieux qu'il m'en coûte.
— Nous n'en ferons rien, dirent les Français, car nous les rendrons prisonniers au roi Charlemagne, qui en disposera à sa volonté. Nous lui dirons ce que vous leur avez fait et il vous en saura mauvais gré.

Oger leur répondit :
— S'il y a quelqu'un de vous assez hardi pour prendre les quatre fils Aymon, je fais le serment que je lui trancherai la tête.

Mais ils répondirent que lorsqu'ils les auraient pris, ils verraient s'il leur ôterait la vie. Ils attaquèrent le rocher. Regnaut les voyant venir, s'écria :
— Ah ! cousin Maugis, que ne savez-vous notre embarras ; vous viendrez nous secourir. Que j'ai donc eu tort de ne pas vous parler avant de partir ! Hélas ! si j'étais monté sur toi, mon cher Bayard, je ne serais point cerné sur ce rocher.

Les Français attaquèrent le rocher, et sans Regnaut, les assiégés eussent été pris. Oger, voyant ses cousins si maltraités, se mit à pleurer, car il ne pouvait les secourir. Nous parlerons de Gaudard, le secrétaire du roi Yon, qui avait lu les lettres où était contenue la trahison.




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