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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XVI

COMMENT REGNAUT ET SES FRERES RETOURNERENT A MONTAUBAN, ET DONNERENT SECOURS AU ROI YON, ET DU COMBAT ENTRE REGNAUT ET ROLAND.

Regnaut et ses frères étant guéris de leurs plaies, retournèrent à Montauban. Dame Claire s'en alla au-devant d'eux, menant avec elle ses deux enfants Aymon et Yonnet. Quand la dame vit son mari, elle tressaillit de joie, et les deux petits enfants coururent pour embrasser leur père et leurs oncles, mais Regnaut les repoussa rudement. Son épouse vint pour l'embrasser, mais il lui dit :
— Retirez-vous ; je ne vous aime plus. Retournez vers votre frère. Il n'a pas tenu à lui que nous soyons morts. Heureusement que Dieu et Maugis nous ont secourus. Je ne veux plus rien de vous.

Claire, tout éplorée, lui dit :
— Je vous jure au nom de tous les saints que je ne me suis pas mêlée de cette trahison. Au contraire, je vous engageais à ne pas y aller. Vous voyez que je ne suis point coupable.

Elle tomba en faiblesse aux pieds de Regnaut. Richard la prit par la main et la releva, en lui disant :
— Ne soyez pas fâchée et laissez dire Regnaut. Vous êtes toujours notre sœur. Mes frères, continua-t-il, allons prier notre frère Regnaut de pardonner notre sœur. Elle n'est nullement coupable, car si nous l'eussions cru, nous n'y serions pas allés. Nous devons considérer les dons qu'elle nous a faits. C'est dans le besoin que se reconnaît l'ami.

Ils allèrent vers Regnaut et lui dirent :
— Frère, ne soyez pas irrité ; vous savez que votre femme ignorait la trahison que votre frère vous a faite. Si vous l'eussiez voulu croire, nous ne nous serions pas risqués à y aller. Nous vous prions de lui pardonner.

Regnaut leur répondit :
— Je lui pardonne bien volontiers à votre prière.

Aussitôt, il allèrent chercher la dame et la conduisirent vers Regnaut qui l'embrassa tendrement. Alors la joie commença dans Montauban ; puis ils lavèrent leurs mains et se mirent à table. Comme ils commençaient à manger, le messager du roi Yon arriva et dit à Regnaut :
— Le roi vous mande de venir le secourir, autrement il mourra car Roland et Olivier le mènent pendre à Montfaucon. Pardonnez-lui comme Dieu a pardonné à la Madeleine. Il sait bien qu'il a mérité la mort.
— Nous n'irons pas, dit Allard, et que soit maudit Roland s'il ne le fait pendre comme un traître !

Regnaut baissa la tête, laissa échapper quelques larmes en regardant ses frères car un bon cœur ne peut se démentir. Il oublia la trahison du roi et dit à ses frères :
— Seigneurs, vous savez que c'est à tort que Charlemagne m'a déshérité, et non content de cela, il fit jurer à mon père que je n'aurais rien de lui. Vous savez qu'après tous les maux que nous avons endurés, nous sommes venus ici, et que le roi Yon me témoigna beaucoup d'amitié en me donnant un duché et sa sœur en mariage. Mes enfants sont devenus ses neveux, et je n'ai jamais connu de mal en lui. C'est par crainte qu'il avait de Charlemagne qui l'aura engagé à nous trahir, et il ne l'a fait que par le mauvais conseil de ses barons. Il faut aller le secourir. Il serait honteux pour mes enfants qu'il fût dit que leur oncle eût été pendu. Malgré sa trahison, il ne faut pas oublier ses bienfaits.

Allard dit qu'il ne se souciait point de secourir un traître. Richard lui dit qu'il fallait obéir à Regnaut ; qu'il était son seigneur. Les citoyens dirent tous d'une voix unanime :
— Bénie soit l'heure à laquelle Regnaut est né ! Nous n'avons jamais vu un chevalier plus hardi.

Ils lui dirent :
— Messire, nous vous reconnaîtrons pour notre roi. Nous vous prions de secourir Yon. Il serait honteux pour la Gascogne que l'on pendît son roi.

Regnaut prit une trompette et en fit retentir le château de Montauban ; aussitôt chacun alla s'armer. Regnaut prit sa lance et monta sur Bayard. Ils partirent au nombre de six mille hommes à cheval et bien mille à pied. Quand ils furent hors de Montauban, Regnaut leur dit :
— Seigneurs, pensons que le roi Yon est en grand danger, qu'il a reçu un coup et est mort sans remède. Ainsi je vous prie de faire pour le mieux. Vous savez que Roland me déteste. Je vous prie de penser à moi, et l'on verra qui sera le meilleur chevalier.

Allard lui dit :
— Nous ne vous abandonnerons jamais.

Ils aperçurent les gens de Roland. Allard s'arrêta et attendit Regnaut. Quand Roland aperçut les gens de Regnaut, il dit aux siens :
— Seigneurs, je vois venir bien des gens armés. Ne serait-ce point Regnaut et ses frères ?
— Messire, dit l'archevêque Turpin, ce sont eux. Ils se font bien connaître, mais nous ne pourrons leur échapper.

Oger voyant Regnaut, fut bien content de ce qu'il avait trouvé Roland ; puis il lui dit :
— Vous avez ce que vous désirez. On verra si vous pouvez l'amener prisonnier à Charlemagne. Vous aurez ensuite Bayard, et la guerre sera finie.

Roland lui répondit :
— On verra qui de nous deux est le meilleur chevalier.

Il arrangea toutes ses troupes en ordre. Regnaut dit à ses frères :
— Seigneurs, voici les Français ; voyez Roland, le duc Naimes et Oger. Restez ici pour faire l'arrière-garde. Si nous avons besoin d'aide, vous nous secouerez.
— Messire, dit Maugis. attaquons vivement nos ennemis.
— Pensons à bien faire, dit Regnaut. Je vais le premier pour abattre l'orgueil de Roland et que chacun se prépare à me suivre.

Quand ses frères entendirent qu'il voulait se battre contre Roland, ils furent irrités et dirent :
— Hélas ! voulez-vous donc nous faire tous périr ! Vous avez tort car on ne peut le blesser. Nous vous prions de le laisser combattre contre d'autres.
— Je sais bien, dit Regnaut, que Roland est courageux, et qu'il n'y a au monde de plus vaillant chevalier, mais j'ai le droit et il a tort, ce qui pourra lui faire tort. Je ne risque rien de combattre contre lui. S'il veut avoir la paix, il l'aura, car j'aime mieux mourir avec gloire que de languir honteusement. Je vous prie de n'en plus parler. Pensez à bien attaquer nos ennemis, nous avons affaire à de bons chevaliers.
— Attaquez-les, dit Maugis, et nous allons vous secourir.

Roland, voyant venir Regnaut et ses gens en si bon ordre, dit à Oger :
— Que vous semble-t-il de ces gens ?
— Grand Dieu ! dit Olivier, ils sont bien rangés et paraissent en plus grand nombre que nous. Il faut bien prendre garde à nous, car ils sont de bons chevaliers.
— Olivier, dit Roland, vous avez raison, mais sachez que les Gascons ne sont pas courageux.
— Cela est vrai, dit l'archevêque Turpin, mais ils ont le meilleur guide que l'on puisse voir.

Roland ne fut pas content des éloges que l'on donnait à Regnaut. Alors Regnaut piqua son cheval et vint contre Roland. Quand il fut auprès de lui, il mit pied à terre et attacha Bayard ; il ôta son épée et vint devant Roland à qui il dit :
— Vous savez que je suis votre parent et si vous voulez, mes hommes et moi serons vos gens. Je vous donnerai mon cheval Bayard et vous remettrai le château de Montauban, moyennant que vous fassiez ma paix avec Charlemagne. Si vous y consentez, je vous promets que nous sortirons de France pour faire la guerre aux Sarrasins.

Roland en eut pitié et laissa échapper quelques larmes. Puis il lui dit :
— Regnaut, je ne puis le proposer si vous ne lui rendez Maugis.

Regnaut lui répondit :
— Non, je ne le ferai jamais, car Maugis n'est pas un homme à rendre pour avoir la paix.

Alors il se releva et prit son épée et son écu, s'en vint vers Bayard, le monta, prit sa lance, et quand il fut appareillé, il retourna vers Roland et lui dit :
— Roland, vous êtes si orgueilleux que vous ne voulez pas m'écouter. Je vous fais une proposition afin que vous ne puissiez dire aux barons de France que la crainte m'ait engagé à vous demander grâce. Si vous voulez, nous combattrons nous deux. Si je suis vainqueur, vous viendrez avec moi à Montauban.
— Ferez-vous comme vous promettez, dit Roland ?
— Je vous le jure, répondit Regnaut. Roland lui dit alors :
— Je veux auparavant prendre congé d'Olivier, mon compagnon, car je lui ai promis de lui faire savoir toutes mes entreprises.
— Allez, dit Regnaut.

Roland alla vers ses gens. Hector, Olivier et Oger le Danois lui dirent :
— Que pensez-vous de Regnaut ? Lui avez-vous parlé ?
— Oui, dit Roland ; Regnaut est un bon chevalier, car il m'a proposé de combattre corps pour corps, à condition que nos gens n'agissent point de part et d'autre.

Olivier dit à Roland :
— Vous ferez comme il vous plaira mais je ne vous conseille pas d'y aller.

L'archevêque Turpin et les autres barons lui dirent :
— Que ferez-vous contre Regnaut ? Il est votre parent, aussi il vaut mieux faire combattre vos gens contre les siens. Il vaut mieux faire cela que de vous exposer à périr l'un et l'autre.
— Je suivrai vos avis, leur répondit Roland. Alors il dit à ses gens :
— Pensez tous à bien combattre.

Ils se préparèrent et Roland cria « Mont-Joie-Saint-Denis ». Quand Regnaut vit que tout était préparé pour se défendre, il se jeta dans la mêlée des Français et commença par renverser mort un chevalier d'un coup qu'il lui donna dans la poitrine. Il mit ensuite l'épée à la main et cria « Montauban ». Il rompit le premier bataillon des Français. Richard, voyant que le premier bataillon était rompu, cria « Dordogne » et fit ensuite des merveilles. Regnaut s'était arrêté pour le regarder, et Richard lui dit :
— Où sont donc vos grands coups ? Frappez ; ils seront bientôt vaincus. Faites en sorte que ces Français ne puissent être nos vainqueurs.

Quand Regnaut entendit parler ainsi Richard, il se remit au combat avec plus de fureur qu'auparavant. Les Français, voyant que la perte était de leur côté, crièrent à Roland de venir les secourir. Roland, animé, se mit dans la mêlée et cria :
— Regnaut, où êtes-vous ? Je suis prêt à accepter votre proposition en combattant corps à corps.

Regnaut, s'entendant nommer, remit son épée dans son fourreau et prit une grosse lance courte et vint contre Roland et lui dit :
— Où êtes-vous donc et pourquoi avez-vous tant tardé ?

Alors ils piquèrent leurs chevaux l'un contre l'autre. Salomon de Bretagne et Hector, voyant qu'ils joutaient ensemble, dirent au duc Naimes, à l'archevêque Turpin et à Olivier :
— Seigneurs, souffrirez-vous que le meilleur des chevaliers périsse sous vos yeux ?
— Il est vrai, répondit le duc Naimes, il serait douloureux pour nous de le perdre.

Ils recommandèrent alors à Oger d'aller dire à Roland de ne point combattre à l'épée contre Regnaut, mais de prendre une lance et de la briser sur lui.
— Seigneurs, leur répondit Oger, il faut les laisser faire. Vous ne connaissez pas Regnaut. Il n'est pas homme à s'épouvanter, car Roland sera las avant qu'il soit retourné et aura aussi bonne volonté de quitter la bataille que Regnaut.
— Oger, dit Hector, vous parlez par envie, car si vous étiez pour combattre contre Regnaut, vous parleriez autrement. Faites seulement en sorte qu'ils ne combattent pas davantage.

Oger vint vers Roland et lui dit ce que les barons lui avaient recommandé.
— Que Dieu les punisse, dit Roland, car ils auront aujourd’hui le désir de mon oncle Charlemagne.

Alors il se tourna vers Regnaut et lui dit :
— Sire, vous avez essayé de mon épée et non pas de ma lance.

Regnaut lui dit :
— Si vous quittez votre épée, je ne vous en saurai pas bon gré. Je ne vous crains cependant pas ; achevons notre combat.

Roland ne voulait plus et il fit ce que les barons lui avaient recommandé. Il prit une lance et courut contre Regnaut qui vint aussi contre lui. Ils frappèrent si rudement qu'ils brisèrent leurs lances et firent reculer leurs chevaux. Roland tomba avec son cheval et Regnaut cria « Montauban ».




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