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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XVIII

COMMENT ROLAND ET SES GENS FURENT DEFAITS DANS UNE RENCONTRE, ET COMMENT RICHARD FUT FAIT PRISONNIER PAR ROLAND.

Après que Roland fut parti pour aller combattre contre Regnaut au bois de la Serpente, Oger et Olivier combattirent contre Allard, Guichard, Richard, Maugis et leurs gens. Le combat fut opiniâtre, car il y eut beaucoup de pertes de part et d'autre. Mais la perte tourna du côté de Roland, et les frères de Regnaut aidés par Maugis demeurèrent les vainqueurs. Comme Roland s'en retournait, Oger lui dit :
— Seigneur, qui vous a ainsi tourné votre écu et blessé votre cheval à la cuisse droite ? Aussi vous vois-je blessé, car il apparaît bien à votre côté. Je crois que vous avez trouvé Regnaut le fils Aymon. L'emmenez-vous prisonnier ?

Roland, irrité du reproche que lui faisait Oger, mit l'épée à la main et courut sur lui pour le frapper, mais Olivier et Idelon les séparèrent.

Richard vint alors et se mit à crier :
— Roland, venez jouter avec moi.
— Volontiers, répondit Roland.

Alors ils piquèrent leurs chevaux et se rencontrèrent si rudement, que Richard tomba par terre. Il se releva aussitôt, remonta à cheval, mit l'épée à la main et se défendit. Quand Roland vit que c'était un des quatre fils Aymon, il fut joyeux et cria :
— A moi, mes amis. S'il nous échappe, je le dirai à Charlemagne. Les Français se jetèrent sur Richard et tuèrent son cheval sous lui. Il blessa d'un coup d'épée le comte Antoine et tua un autre. On lui dit de se rendre s'il ne voulait pas être tué. Alors il remit son épée, puis on le fit monter sur un mulet et on l'emmena. Son valet, fâché de voir emmener son maître, courut aussitôt le dire à Regnaut qui lui demanda s'ils étaient déjà bien loin. Il répondit que oui et qu'il ne pourrait les rejoindre. Regnaut en fut fâché. Il fit venir Allard, Guichard et ses gens, qui pensaient que Richard était arrivé. Allard voyant que Regnaut était triste, lui demanda ce qu'il avait.
— Allard, dit Regnaut, je vous avais laissé notre frère Richard et vous l'avez laissé prendre prisonnier, car Roland l'emmène et ils sont déjà fort loin.

Allard et Guichard en furent bien fâchés. Allard dit :
— C'est votre faute, car vous nous avez fait venir malgré nous pour secourir le roi Yon. Maintenant nous avons perdu notre frère Richard sans espérance de le revoir.

Alors il dit à Guichard :
— Frère, tirez votre épée, nous couperons la tête au roi Yon.
— Je vous prie, dit Regnaut, de ne lui faire aucun mal, car il s'est rendu à moi. Conduisez-le à Montauban et qu'il soit gardé. Pour moi, je resterai ici, car je veux aller à la tente de Charlemagne. Ou je trouverai mon frère Richard, ou je périrai avec lui.

Il voulait partir, mais Allard et Guichard retinrent son cheval par la bride.

Guichard dit à Regnaut :
— Vous n'irez certainement pas.

Sur ces entrefaites Maugis arriva, et voyant ses cousins affligés, il leur demanda ce qu'ils avaient.
— Cousin, dit Allard, je vous en dirai la raison. Sachez que les Français ont emmené notre frère Richard prisonnier, et Regnaut veut aller à la tente de Charlemagne. S'il y va, nous ne le reverrons plus.

Maugis dit à Regnaut :
— Vous auriez tort d'y aller. Retournez à Montauban. Si Richard n'est pas mort, je l'emmènerai, fût-il enfermé dans les prisons, malgré Charlemagne.
— Cousin, dit Regnaut, je deviendrai votre homme si vous le faites.
— Je le ferai, répondit Maugis, mais quittez votre chagrin. J'espère que je vous le ramènerai.

Ils partirent tous trois pour aller à Montauban. Quand la femme de Regnaut apprit l'arrivée de son mari, elle en fut joyeuse et amena avec elle ses deux enfants, Aymonnet et Yonnet. Ils commencèrent à crier à leur oncle :
— Vassal, si vous n'étiez prisonnier, vous mourriez. Il lui dirent ensuite :
— Ah ! mauvais roi, pourquoi avez-vous ainsi trahi notre père et nos oncles ? Certainement vous méritez la mort.

Quand Allard entendit ses neveux parler ainsi, il ne put retenir ses larmes. Il embrassa Aymonnet qui portait le nom de son père et dit :
— Comme nous sommes abaissés !

Quand la dame vit Allard ainsi pleurer, elle pensa bien que ce n'était pas sans sujet. Elle lui dit :
— Beau-frère, dites-moi le sujet de votre tristesse ?
— Dame, dit Allard, sachez que nous avons perdu notre frère Richard, car Roland l'emmène prisonnier vers Charlemagne, et il ne serait pas bien de l'y laisser.

Quand Maugis fut retourné à Montauban, il se désarma et se dépouilla tout nu, prit une herbe qu'il mangea et devint enflé comme un crapaud. Il prit ensuite d'une autre herbe, s'en frotta et devint noir comme un charbon et avait l'air d'un moribond. Quand il fut ainsi contrefait, il mit un grand chaperon, des souliers et un bâton à la main. Il sortit de Montauban et arriva à la tente de Charlemagne avant que Roland fut arrivé. Il s'approcha du roi et dit :
— Que Dieu vous conserve.
— Vassal, dit Charlemagne, je me méfie de vous, depuis que Maugis m'a trompé.

Maugis ne répondit rien. Quelque temps après, il dit :
— Sire, si Maugis est un fripon, les autres ne sont pas de même. Sire, je viens de Jérusalem adorer le Saint Sépulcre. Je passai hier à Balençon et vins en Gironde. Je passai au-dessus de Montauban, où je trouvai des brigands qui tuèrent dix hommes que je conduisais, et m'ôtèrent ce que j'avais, et j'eus bien de la peine à m'en retirer. Quand je fus sauvé de leurs mains, je demandai quels étaient ces brigands. On me répondit que c'étaient les quatre fils Aymon et un grand larron nommé Maugis. Je demandai pourquoi ils agissaient ainsi, vu qu'ils étaient gentilshommes. C'est, me répondit-on, qu'ils étaient réduits à une extrême pauvreté dans Montauban. Je ne crois pas que l'on puisse trouver un homme plus cruel que Maugis, car c'est lui qui m'a mis dans l'état où vous me voyez. Sire, je vous prie de me venger de ces gens.

Charlemagne lui demanda son nom.
— Je m'appelle Guidon, et je suis né en Bretagne, je suis riche en mon pays.
— Pèlerin, lui dit Charlemagne, je ne puis en avoir raison par moi-même, car si je les tenais, je les ferais mourir.
— Sire, dit Maugis, que Dieu m'en fasse raison, puisque vous ne le pouvez.

Les barons dirent au roi :
— Ce pèlerin nous semble un homme honnête. Assistez-le, nous vous en prions.

Le roi lui fit donner trente livres de monnaie. Maugis les reçut, et dit tout bas :
— Je vous rendrai votre argent avant de sortir d'ici. Quand il eut l'argent, il demanda à manger. Le roi lui en fit apporter, et Maugis le remercia honnêtement.

Comme le roi parlait à Maugis, Roland et ses gens amenaient Richard prisonnier. Oger, Hector et Naimes, voyant Roland aller au pavillon de Charlemagne avec Richard, lui dirent :
— Pourquoi voulez-vous livrer Richard au roi ?
— Que voulez-vous que j'en fasse ? dit Roland.
— Que vous le délivriez, répondirent-ils.

Un valet qui avait tout entendu, s'en alla vers Charlemagne et lui dit :
— Sire, nous avons été vaincus au gué de Balançon par Regnaut. Mais Richard, l'un des plus vaillants après Regnaut, est pris.

A ces nouvelles, Charlemagne ne put contenir sa joie, surtout quand il aperçut Richard que Roland amenait prisonnier.
— Je vois bien que vous y avez été, dit Charlemagne. Sans cela vous n'auriez pas pris Richard. Il dit ensuite à Richard :
— Vous serez pendu, misérable !
— Sire, dit Richard, vous me tenez prisonnier, mais tant que mon frère Regnaut pourra monter sur Bayard, je ne serai pas pendu.

Le roi prit un bâton et en donna un coup terrible sur la tête de Richard, qui, le prenant par la moitié du corps, le fit tomber à terre avec lui. Roland voulut courir sur Richard, mais Oger et Salomon l'en empêchèrent, et dirent au roi qu'il ne devait pas frapper un prisonnier. Richard aperçut Maugis qui était appuyé sur un bâton et qui ne disait rien. Sa présence le rassura, et il dit au roi :
— Sire, où serai-je pendu ?
— Ce sera à Montfaucon, lui répondit le roi.

Maugis ayant tout entendu, retourna à Montauban, où Regnaut et ses frères l'attendaient. Regnaut le voyant venir de loin, dit à ses frères :
— C'est votre faute si Richard est pendu. Nous le perdons pour toujours, car je vois revenir notre cousin Maugis seul.

Il arriva et, voyant leur chagrin, il leur raconta que Richard n'était pas pendu, mais qu'il fallait l'aller secourir promptement, parce que le roi avait juré de le faire bientôt pendre à Montfaucon. Maugis alors ôta son chaperon, prit une herbe qu'il mangea et fut bientôt désenflé. Ensuite il s'arma et se présenta à Regnaut. Les frères de Regnaut et leurs gens s'armèrent aussi et marchèrent vers Montfaucon. Quand ils furent à un trait d'arc, Regnaut dit à ses gens :
— Il faut sauver notre frère ou périr avec lui.
— Frère, dit Allard, mettons-nous en embuscade dans ce bois de sapins. Ils y entrèrent et s'y endormirent.

Charlemagne appela le duc de Naimes et Richard de Normandie, et leur dit :
— Seigneurs, je vous prie de me donner votre avis sur ce que je dois faire de Richard, car je crains que Regnaut ne vienne le secourir quand je le ferai pendre. Il me faudrait un homme qui ne craignit ni lui, ni ses frères, ni Maugis.

Il appela Beranger de Valois et lui dit :
— Vous tenez tout de moi. Ainsi je pense que vous me servirez si Regnaut vient pour secourir Richard.
— Je ne le puis, répondit Beranger, car ce serait me déshonorer.

Le roi voyant que Beranger ne voulait pas y consentir, appela le comte Idelon et lui dit :
— Vous tenez de moi la Bavière, vous devez me servir avec deux mille hommes, et si vous voulez pendre Richard, je vous donnerai Melun.

Idelon lui répondit qu'il ferait tout son possible pour que Richard n'ait aucun mal.
— Retirez-vous, lui dit le roi. Il appela Oger et lui dit :
— On m'a rapporté que vous m'avez trahi aux plaines de Vaucouleurs, je verrai si cela est vrai. Je vous donnerai le duché de Laon et vous serez quitte de tout, si vous voulez pendre Richard.
— Je ne le puis, dit Oger, car Richard est mon cousin, et je défie le premier qui osera mettre la main sur lui.

Le roi dit à l'archevêque Turpin :
— Je vous ferai pape, si vous voulez pendre Richard.
— Je ne le puis, répondit l'archevêque Turpin, parce que je suis prêtre et qu'il est mon cousin.

Il appela Salomon et lui promit le duché d'Anjou.
Il répondit qu'il ne le ferait point.
Il se tourna ensuite vers Roland et lui dit :
— Neveu, je vous donnerai Cologne, si vous voulez pendre Richard.
— Sire, dit Roland je serais un traître, si je le faisais. Au contraire, je prie les douze pairs de France de ne lui faire aucun mal, car je serais déshonoré.
— Que Dieu vous maudisse, lui dit Charlemagne. Il dit ensuite à Hector :
— Je vous donnerai le comté de Clermont et de Montferrat, si vous voulez pendre Richard.

Hector lui répondit que s'il voulait lui rendre tout le pays que son père possédait, il se soumettrait volontiers à ses ordres.
— Il faut nécessairement y aller, dit le roi.
— Je ne voudrais pas y aller pour la moitié de votre royaume, dit Hector.

Le roi, irrité de sa réponse, prit un bâton et le frappa. Les douze pairs de France, indignés de cette action, sortirent de la tente du roi, ce dont il fut bien fâché, et dit au duc de Naimes :
— Où sont-ils donc allés ?
— Sire, ils sont sortis avec raison, car il ne vous convient pas de frapper des barons et vous en serez blâmé.

Charlemagne dit à Richard de Normandie :
— Voulez-vous pendre Richard ?
— Volontiers, lui répondit-il. Venez avec moi à la tête de mille chevaliers bien armés et je le pendrai où vous voudrez.
— Retirez-vous de moi, lui dit le roi. Il appela le duc de Naimes et lui dit :
— Quel conseil me donnez-vous ?
— Sire, vous savez que Regnaut, ses frères et Maugis sont les meilleurs chevaliers du monde. D'ailleurs il y a assez longtemps que la guerre dure. Ainsi, si vous m'en croyez, vous rendrez Richard à ses frères, et Regnaut et ses frères deviendront vos hommes.
— Naimes, dit Charlemagne, ils m'ont trop méprisé. Je veux faire pendre Richard.
— Vous ne le ferez pas, lui dit Naimes. Il est de notre famille. Si vous voulez sa mort, laissez-le périr de faim.

Oger arriva et dit au duc de Naimes :
— Votre observation est trop longue. Laissez-le faire, parce que plus vous le priez, pis il fera.

Oger sortit de la tente avec plusieurs barons et ils firent assembler leurs gens. Oger cria alors :
— On verra qui osera pendre Richard !

Il alla ensuite dans la tente où Richard était attaché, mais il ne voulut pas le délivrer aussitôt.

Quand Richard entendit Oger parler ainsi, il lui dit en présence du duc Naimes :
— Je vois bien que si vous pouviez me sauver, vous le feriez. Il vaut mieux que je meure que de languir.

Oger lui dit :
— Vous voulez donc périr ?
— Non, dit Richard, car j'ai vu Maugis et il ne m'aura pas oublié.

Les douze Pairs de France vinrent vers Charlemagne et lui dirent :
— Nous sommes vos gens et avons fait tout notre possible pour vous accorder avec notre cousin Richard, mais puisque vous ne le voulez pas, nous ne vous en parlerons plus.




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