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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XX

COMMENT BAYARD EVEILLA REGNAUT QUI DORMAIT, EN FRAPPANT SI FORT DU PIED SUR SON ECU, QU'IL LE FIT TRESSAILLIR.

Quand le courageux cheval Bayard, qui avait été bien dressé par Maugis et qui entendait ce que l'on disait presqu' aussi bien qu'un homme, eut entendu tout le débat et le bruit des armes que faisaient les chevaliers de Charlemagne que le méchant avait amenés avec lui pour le défendre au cas où Regnaut viendrait avec des gens armés dans le dessein de délivrer son frère Richard, Bayard, voyant donc que Regnaut dormait, frappa si fort sur son écu, qu'il le réveilla en sursaut. Regnaut, tout effrayé, se leva promptement, et jetant ses regards de tous côtés, il vit que vers Montfaucon son frère était déjà sur l'échelle. Il ne fit aucun retard, monta sur Bayard qui courut comme le vent. Allard, Guichard et Maugis s'éveillèrent au bruit qu'avait causé le vigilant Bayard, ils se levèrent aussitôt et coururent après Regnaut pour lui donner du secours.

Lorsque Ripus, qui se préparait à étrangler Richard, vit venir ses frères et Maugis, il en fut tellement étonné, qu'il ne savait que faire. Il dit alors à Richard :
— Je m'aperçois bien que vous serez délivré d'entre mes mains, car voici Regnaut et vos frères qui viennent vous secourir. Aussi je vous prie d'avoir pitié de moi, car ce que j'ai fait en vous amenant ici, ce n'était que pour faire cesser toutes contestations du roi avec les douze pairs de France. Je savais bien que vous seriez secouru par vos frères et par Maugis.
— Ne me narguez pas tant, lui répondit Richard.
— Ma foi, dit Ripus, je vous dis la vérité : ils ne sont pas bien loin d'ici. Descendez de cette échelle et ayez pitié de moi, je vous prie.

Richard voyant venir Regnaut qui courait comme la foudre, dit à Ripus :
— Je ne célébrerai jamais mon frère Regnaut s'il ne te pend de ses propres mains au même gibet où tu voulais me pendre toi-même.

Pendant que Richard parlait à Ripus, Regnaut arriva et entendit ce qu'il lui disait. Il commença à crier :
— Ripus, vous périrez de ma main, car vous êtes un malheureux. Et pour vous punir de votre méchanceté, je vous pendrai moi-même à ce gibet où vous avez voulu pendre mon frère. Toute la puissance de Charlemagne ne peut vous en garantir.

Pendant ce temps Maugis arriva tout effrayé et dit à Ripus :
— Traître ! Vous êtes toujours prêt à mal agir contre nous.

Alors il leva sa lance pour le frapper, mais Regnaut ne voulut pas, et dit à Maugis :
— Cousin, ne le frappez pas. Je ne voudrais pas pour toute chose au monde qu'un autre que moi le pende. S'il plaît à Dieu, je vengerai mon frère,

II prit alors sa lance et en frappa si rudement Ripus qu'il le renversa mort au pied de l'échelle. Ensuite il dit à ses gens :
— Il faut le pendre mort ou vif et ne pas le laisser échapper.

Il alla ensuite délier les pieds et les mains de Richard, l'embrassa et lui dit :
— Frère, vous êtes peut-être mal à l'aise.
— Point du tout, dit Richard. Faites-moi armer avec les armes de Ripus.

Il fut armé aussitôt et monta sur son cheval, portant l'étendard de Ripus. Regnaut prit la corde qu'il avait au col et la mit à celui de Ripus qu'il attacha ensuite au gibet. Il pendit aussi quinze des principaux de la compagnie de Ripus, et dit à Richard :
— Ceux-ci monteront la garde à votre place.

Maugis vint vers Regnaut et lui demanda qui l'avait éveillé. Il répondit que c'était Bayard.
— L'excellent cheval, dit Maugis.
— Seigneurs, dit Regnaut, puisque nous avons secouru Richard, retournons à Montauban et nous consolerons mon épouse et mes enfants.

Richard dit à ses gens :
— Nous devons bien aimer Oger, Roland, Hector, Richard de Normandie, Salomon et Olivier, car ils ont tous pris mes intérêts contre Charlemagne, parce qu'ils pensaient vraiment que Ripus me pendrait et que je me trouverais sans secours. Si vous le voulez, j'irai me montrer à Oger ainsi qu'à tous nos parents.
— Oger, dit Regnaut, a agi comme un bon pasteur : on doit aide aux siens.

Il dit ensuite à Richard :
— Frère, le soleil baisse, je crains pour vous. Si vous voulez y aller, menez avec vous quatre cents chevaliers embusqués auprès de vous. Je serai ici avec mes gens et vous porterez mon cor. Et s'il arrive que vous ayez besoin d'aide, vous le sonnerez, et je vous irai incontinent secourir.

Alors il donna son cor à son frère Richard, qui s'en alla à l'armée de Charlemagne, portant l'étendard de Ripus.

Richard arriva enfin dans l'armée du roi Charlemagne qui était devant sa tente et regardait sur le chemin. Oger voyant venir Richard, et le prenant pour Ripus, pensa qu'il venait de pendre Richard. Sa douleur fut si forte qu'il tomba par terre et dit :
— Hélas ! nous avons perdu Richard sans espérance de le revoir. Regnaut et Maugis l'ont bien trahi.

Alors il voulut courir sur Richard, pensant toujours que c'était Ripus. Charlemagne croyant qu'Oger poursuivait Ripus, dit à ses gens :
— Allez après mes barons, on verra qui seront mes amis. Je vois venir Ripus qui m'a bien servi, car il m'a délivré de Richard, et maintenant Oger veut le tuer. Mais si je puis le tenir, j'en ferai telle justice qu'il en sera longtemps parlé.

Les Français, accompagnés du roi, poursuivirent longtemps Oger, mais il était déjà bien loin. Il criait :
— Ripus, vous périrez. Je me vengerai de ce que vous avez fait à mon cousin Richard.

Richard lui dit :
— Cousin, je suis Richard et non pas Ripus. Nous l'avons pendu à ma place. C'est pour cela que je suis venu me montrer à vous et à mes autres parents.
— Vous mentez, traître Ripus, vous ne m'échapperez pas.

Richard lui dit :
— Cousin, ne me connaissez-vous pas ?
— Non, dit Oger, car vous portez les armes et l'étendard de Ripus.
— Je l'ai fait, dit Richard, pour n'être pas connu. Oger dit :
— Je veux vous voir à découvert, autrement je ne vous croirai pas.

Richard leva son casque et découvrit son visage. Oger fut fort joyeux de le voir et lui demanda ce qu'ils avaient fait de Ripus.
— Ma foi, cousin, mon frère Fa fait évêque des champs et n'a pas voulu que personne n'y mette les mains que lui.

Oger lui dit :
— Prenez garde à vous, car je vois Charlemagne. Oger s'en retourna vers le roi qui lui dit :
— Pourquoi allez-vous vers Ripus avant moi ?
— Sire, si vous n'aviez pas été si près de moi, je lui aurais tranché la tête. Mais je n'ose pour l'amour de vous. Allez vers lui, car je vous assure qu'il n'aura aucun mal.

Charlemagne lui dit :
— Je le défendrai envers et contre tous vos gens.

Alors il piqua son cheval et courut vers Richard, croyant que c'était Ripus, et il lui dit :
— Venez, mon ami Ripus ; ne craignez rien, car je vous défendrai contre tous.

Alors Richard lui dit :
— Je ne suis point le traître Ripus, mais je suis Richard, fils d'Aymon. Vous me frappâtes ce matin sur la tête et me fîtes un grand mal ; c'est pourquoi mon frère Regnaut a pendu Ripus au lieu où il voulait me pendre, avec quinze de ses compagnons. Or, je vous défie, prenez garde à moi.

Charlemagne l'entendant ainsi parler piqua son cheval contre Richard. Ils se donnèrent de si grands coups sur leurs écus qu'ils firent voler leurs lances en pièces. Ils mirent ensuite leurs épées à la main et se frappèrent si rudement qu'ils furent contraints d'abandonner les étriers. Richard se releva promptement, mit l'épée à la main et en frappa un si grand coup sur !e casque de Charlemagne que celui-ci en fut étourdi. Son épée glissa et vint sur l'épine du cheval de façon si brutale qu'il le fendit en deux et le roi tomba par terre, mais il se releva promptement et frappa Richard sur son casque avec tant de force, qu'il le fit chanceler. Alors commença un combat terrible, et le roi cria « Montjoie-Saint-Denis ». Richard, entendant cela, prit son cor et en sonna si fort que ses frères l'entendirent. Ils piquèrent aussitôt leurs chevaux et s'en vinrent en grande diligence secourir Richard. Quand il furent arrivés, Regnaut se mit à crier « Montauban, Allard Paraveine, Guichard Baïençon, Richard, Dordogne ». Alors Maugis courut contre Mongeon, seigneur de Pierrefitte, et l'attaqua si rudement qu'il l'étendit mort à ses pieds. Regnaut en frappa aussi un autre de telle manière qu'il lui passa sa lance au travers du corps et tomba par terre. Guichard en frappa un autre de son épée avec tant de force qu'il lui fendit la tête jusqu'aux dents. Allard frappa un quatrième si rudement qu'il ne l'épargna pas. Ils combattirent tous avec courage. Quand Regnaut vit que le soleil commençait à baisser et que la nuit approchait, craignant pour ses frères, il s'écria :
— Grand Dieu ! préservez aujourd'hui mes frères et moi de mort et de prison.

Comme il disait ces paroles, Charlemagne arriva et courut contre lui. Ils combattaient l'un contre l'autre avec tant de furie qu'ils firent voler leurs lances en éclat et tombèrent tous deux par terre. Ils se relevèrent promptement et chacun d'eux mit l'épée à la main. Le roi se mit à crier « Montjoie-Saint-Denis ». Il dit ensuite :
— Si je suis vaincu par un chevalier, je ne mérite pas d'être roi ni de porter la couronne.

Quand Regnaut reconnut Charlemagne, il se retira en disant :
— Hélas ! qu'ai-je fait ? J'ai jouté contre le roi. Il y a quinze ans que je lui ai parlé. Mais je le ferai maintenant quand je devrais périr.

Alors il avança vers Charlemagne et se mit à genoux devant lui, et lui dit :
— Sire, donnez-nous trêve jusqu'à ce que je vous aie parlé.
— Volontiers, dit le roi, mais je ne sais qui vous êtes ; toutefois vous jouter vaillamment.
— Sire, je suis Regnaut, fils d'Aymon. Je vous demande grâce ; ayez donc pitié de mes frères et de moi. Vous savez très bien que je suis votre vassal, mais vous m'avez chassé de votre terre et de la mienne il y a environ quinze ans, et plusieurs gens sont morts ; vous savez ce que c'est que la guerre : perdre aujourd'hui et demain gagner. Ainsi j'espère qu'au nom de Notre Seigneur vous aurez pitié de nous. Ce n'est point la crainte de la mort qui me fait parler ainsi, mais c'est pour avoir votre amitié. Sire, accordez-nous la paix et nous serons à votre service pour toujours. Je vous donnerai Montauban ainsi que mon cheval Bayard qui m'est bien nécessaire, que j'aime le plus après mes frères et mon cousin Maugis, car il n'y a pas au monde un cheval pareil au mien. Si vous ne voulez pas le faire, pardonnez à mes frères et je sortirai de France et n'y reviendrai jamais. J'irai nus pieds au Saint-Sépulcre par amitié pour vous, et je vous promets que mes frères et moi ne reviendrons jamais en France.

Charlemagne lui répondit alors :
— Vous parlez inutilement ; je ne veux pas vous accorder la paix, et vous ne l'aurez jamais de moi, si vous ne faites ce que je vous dirai.
— Sire, dit-il, que voulez-vous de moi ?
— C'est de me rendre Maugis pour en faire à ma volon­té, car je le déteste plus que personne au monde.
— Mais, sire, si je vous le rends, qu'en ferez-vous ?
— Je vous assure que je le ferai traîner à la queue d'un cheval dans Paris ; puis je lui ferai couper tous les membres et les ferai brûler et jeter les cendres au vent.
— Sire, dit Regnaut, voulez-vous accepter des villes ou des châteaux, de l'or ou de l'argent pour sa rançon ?
— Non, dit le roi. Regnaut lui dit ensuite :
— Si vous aviez mes frères prisonniers et que vous voulussiez les faire pendre, je serais fâché de vous livrer Maugis pour leur rançon.
— Taisez-vous, dit le roi, jamais nous ne serons d'accord.
— Sire, dit Regnaut, puisqu'il en est ainsi, je me défendrai le mieux que je pourrai.

Alors le roi courut sur lui mais Regnaut lui dit :
— Sire, souffrez pour lors que je mette la main sur vous. Car si je me laissais tuer par vous, je mériterais d'être blâmé.

Charlemagne lui répondit :
— Tout cela ne vaut rien, il faut vous défendre.

Alors il mit l'épée à la main et frappa sur le casque de Regnaut. Le coup tomba tellement sur l'écu qu'il en enleva une grande pièce. Regnaut, sentant ce grand coup, s'empara du roi, le prit par le milieu du corps et le mit sur le cou de Bayard pour l'emmener avec lui, mais sans vouloir lui faire aucun mal. Le roi se mit à crier « Montjoie-Saint-Denis », et dit:
— Roland, mon cher neveu, où êtes-vous ? Olivier et vous duc Naimes, vous archevêque Turpin, si vous me laissez emmener, vous n'en retirerez pas d'honneur.

Regnaut lança son cri de ralliement le plus fort qu'il put et quand il entendit Charlemagne, il dit :
— Mes frères et vous mon cousin, venez me secourir.

J'ai fait un prisonnier. Si nous pouvons l'emmener, nous aurons la paix en France.

Alors Roland, Olivier et les autres barons vinrent au secours du roi. Les frères de Regnaut et Maugis vinrent d'autre part avec quatre cents chevaliers. Quand ils furent assemblés d'un côté et de l'autre, il y eut un combat terrible et ils se tuaient les uns les autres comme des bêtes. Roland, étant arrivé dans la mêlée, courut sur Regnaut et lui donna un si grand coup sur son casque qu'il l'étourdit entièrement et lui dit :
— Vassal, vous avez tort de penser emmener notre roi de cette manière. Vous savez que c'est une bonne prise, mais vous la lâcherez avant de m'échapper.

Regnaut se voyant ainsi attaqué et sentant le coup que Roland lui avait donné, mit avec fureur l'épée à la main ; et quoique Charlemagne fut pesant sur son cheval, il courut avec précipitation sur Roland et lui dit :
— Avancez donc, vous savez comme mon épée est tranchante.

Quand Roland l'entendit ainsi parler, il courut sur lui. Regnaut, le voyant venir, quitta le roi et tomba sur Roland. Il y eut un combat terrible entre eux deux. Alors arrivèrent les frères de Regnaut qui donnèrent tant de peine à Roland qu'il fut obligé de prendre la fuite. Quand Regnaut s'aperçut que Roland et le roi s'étaient sauvés, il en fut bien fâché. Il dit à ses frères :
— Mes frères, vous avez bien mal travaillé. Si vous eussiez été avec moi, nous aurions mieux opéré, car j'avais pris le roi et nous l'aurions emmené à Montauban.
— Sire, dirent ses frères, nous en sommes bien fâchés, mais nous avons eu tant à faire autre part que nous avons eu peine d'échapper. Faites sonner la trompette pour rallier nos gens à l'entrée de la nuit et nous irons à Montauban.

Quand Charlemagne vit venir Roland et ses gens, il fut joyeux et dit à ses barons :
— Je crains qu'il ne vous arrive beaucoup de mal, car Regnaut nous a mis en fuite.
— Sire, dit Roland, vous avez eu tort d'aller combattre contre lui, car vous vous exposiez à être fait prisonnier.




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