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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XXIII

COMMENT REGNAUT COMBATTIT CONTRE ROLAND, ET COMMENT MAUGIS EMPORTA LE ROI TOUT ENDORMI A MONTAUBAN, DESSUS BAYARD.

Quand Roland vit le jour, il se leva et alla entendre la messe, puis se fit armer et monta à cheval. Alors Charlemagne lui dit :
— Je vous recommande à Dieu ; qu'il vous ait en sa sainte garde et veuille vous garder de mort et de prison ; car vous savez que Regnaut a raison et que nous avons tort. Aussi je ne voudrais pas pour la moitié de mon royaume qu'il vous arrivât aucun mal.
— Sire, dit Roland, il est trop tard pour vous repentir. Puisque vous saviez avoir tort, vous ne deviez pas accepter la bataille ; mais puisque la chose est si avancée, je ne puis la laisser sans me déshonorer. Or, que Dieu m'ait en sa bonne et sainte garde, par sa divine miséricorde.

Roland trouva Regnaut qui l'attendait, auquel il cria :
— Regnaut, vous avez à faire aujourd'hui à moi. Regnaut lui dit :
— Roland, il n'appartient pas à un cavalier tel que vous de me menacer. Voulez-vous la paix ou la bataille ?
— Choisissez, Regnaut, dit-il. Je ne suis pas venu ici pour la paix ; méfiez-vous de moi, vous ferez mieux.
— Prenez aussi garde à moi, dit Regnaut, car aujourd'hui j'abaisserai votre orgueil

Alors ils piquèrent leurs chevaux et se donnèrent de si grands coups, qu'ils brisèrent leurs lances, et s'entre-heurtèrent si rudement sur leurs écus, qu'il fallut que Regnaut tombât à terre la selle entre deux cuisses. Le combat devint si terrible entre eux qu'ils se déchirèrent leurs hauberts en plus de mille pièces, si bien que les barons qui les regardaient eurent pitié d'eux. Quand le duc Naimes eut longtemps regardé le combat, il s'écria :
— Ah ! Charlemagne, maudite soit votre cruauté ; car par votre haine, vous causez la mort des deux meilleurs chevaliers du monde, et vous pourrez en avoir besoin un jour.

Regnaut, voyant qu'aucun ne pouvait gagner, dit à Roland :
— Si vous voulez m'en croire, nous combattrons à pied, afin de ne pas tuer nos chevaux, car nous ne pourrions jamais en trouver d'aussi bons.
— Vous avez raison, dit Roland.

Quand ils furent descendus, ils coururent l'un contre l'autre comme deux lions. Roland, voyant qu'il ne pouvait vaincre Regnaut courut contre lui et l'empoigna. Regnaut lui demanda la lutte. Ils se retournèrent longtemps et ne purent se faire tomber ni l'un ni l'autre. Voyant qu'ils ne pouvaient se renverser, ils se laissèrent aller et se reculèrent pour respirer, car ils étaient bien fatigués. Leurs écus, hauberts et casques étaient tous brisés et la terre où ils s'étaient battus était aussi foulée que si on y eût battu du blé. Charlemagne voyant que l'un ne pouvait pas vaincre l'autre et qu'ils étaient très mal en point, eut peur pour Roland. Il se mit alors à genoux, éleva les mains au ciel et dit en pleurant :
— Grand Dieu ! qui créâtes le monde, le ciel et la terre, qui délivrâtes la grande sainte Marguerite des dents de l'horrible dragon, et Jonas du ventre de la baleine, je vous prie de bien vouloir délivrer mon neveu Roland et faire cesser la bataille. Daignez m'inspirer de quelle manière il faut agir pour l'un et pour l'autre.

Les frères de Regnaut le voyant ainsi fatigué, eurent grande peur pour sa personne. l's se mirent à prier le Seigneur de vouloir préserver leur frère de mort et de prison.

Notre Seigneur, à la prière du roi, fit voir un beau miracle, car il fit paraître une si grande nuée que l'un ne pouvait voir l'autre. Roland dit alors à Regnaut :
— Où êtes-vous ? car, ou il est nuit, ou je ne vois rien.
— Sûrement, dit Regnaut, ni moi non plus.
— Regnaut, dit Roland, je vous prie de me faire une courtoisie ; une autre fois j'en ferai bien autant pour vous, si vous me le demandez.

Alors Regnaut lui répondit :
— Je le veux bien, mon honneur est sauvé.
— Grand merci, dit Roland, de votre bonne volonté ; sachez que la chose que j'exige de vous, c'est de me conduire à Montauban.
— Roland, dit Regnaut, si vous voulez le faire, j'en serai content.
— J'irai sur ma foi, dit Roland.
— Messire, lui dit Regnaut, que Dieu vous rende l'honneur que vous me faites, car je ne l'ai pas desservi envers vous.

Roland après avoir dit cela, recouvra la vue et vit aussi clair qu'auparavant ; il aperçut Mellentier son cheval et monta dessus. Pareillement, Regnaut sur Bayard. Le roi, voyant cela, fut très surpris et s'écria :
— Seigneurs, regardez ! Je ne sais ce que tout cela veut dire, car Regnaut emmène Roland. On verra si vous le laisserez emmener.

Quand les barons de France entendirent le roi parler ainsi, ils coururent tous après Regnaut, et Charlemagne les suivit jusqu'aux portes de Montauban. Alors il s'écria :
— Regnaut, tout ce que vous avez fait ne vaudra rien ; tant que je vivrai, vous n'aurez pas la paix.

Il s'en retourna à son armée qui était vers Montauban. Ses gens le voyant venir, allèrent au devant de lui et lui dirent :
— Sire, qu'avez-vous fait de Roland ?
— Seigneurs, dit le roi, il est allé à Montauban. Je vous recommande à tous qu'incontinent et sans retard, que mon siège soit transporté tout auprès de Montauban. Olivier portera l'oriflamme et Richard de Normandie conduira notre armée.

Il eut à peine ordonné que chacun, sans le contredire, se mit en devoir de démonter les tentes pour camper devant Montauban. Toute l'armée décampa. Richard de Normandie vint auprès du gué de Balençon avec dix mille combattants pour garder le passage jusqu'à ce que l'armée fut passée. Cependant, le roi était avant pour savoir où il poserait son siège. Quand l'armée fut arrivée devant Montauban, le roi fit aussitôt dresser sa tente au devant de la porte. Quand l'armée fut campée, celui qui faisait le gué sur la tour, s'en vint vers Maugis et lui dit :
— Sachez que le roi est arrivé avec son armée et l'a fait camper devant la porte.
— Ne vous inquiétez pas, dit Maugis ; il cherche sa perte et la trouvera plus tôt qu'il ne pense.

Il alla vers Regnaut et lui raconta que le roi était venu camper son armée devant Montauban. Regnaut dit alors à Maugis :
— Cousin, je vous prie de faire bon guet cette nuit, car nous sommes exposés.

Après que tout fut couché, Maugis s'en alla dans l'écurie, détacha Bayard, monta dessus, sortit de Montauban et alla à la tente du roi qu'il charma ainsi que tous ceux de l'armée. Il prit le roi et le mit sur Bayard, l'emmena dans Montau­ban et le coucha dans son lit. Il alluma un flambeau qu'il mit au milieu de la chambre de Regnaut, auquel il dit :
Cousin, que donneriez-vous à celui qui remettrait le roi entre vos mains ?
— Par ma foi, répondit Regnaut, il n'y a rien que je ne donnasse si on me l'amenait ici.
— Cousin, dit Maugis, me promettez-vous qu'il ne souffrira aucun mal et je vous le ferai voir.
— Je vous le jure, dit Regnaut.

Alors Maugis le mena dans sa chambre et vit le roi qui dormait. Il recommanda à Regnaut de bien le garder ; ensuite il le quitta, prit une écharpe et un bourdon (1) et sortit de Montauban.

  1. Ici, « bourdon » signifie : long bâton de pèlerin.



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