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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XXVII

COMMENT MAUGIS ETANT EN CHEMIN POUR ALLER VOIR REGNAUT, TUA DES BRIGANDS QUI AVAIENT VOLE DES MARCHANDS, ET ILS RETROUVERENT LEURS EFFETS.

Maugis, ayant longtemps demeuré dans son ermitage en contemplation, s'endormit et songea qu'il était à Montauban, qu'il y voyait Regnaut et ses frères qui venaient au devant de lui et se peignaient de Charlemagne qui voulait avoir Bayard ; mais Regnaut ne voulait pas le lui laisser emmener. Maugis s'éveilla en sursaut, se leva furieux et jura qu'il ne s'arrêterait de sa vie. Auparavant il entra vers quatre heures de l'après-midi dans un bois où il trouva des marchands que des brigands avaient détroussés et qui se lamentaient. Il alla vers eux et leur dit :
— Messeigneurs, qu'avez-vous donc à vous tourmenter ainsi ?
— Bon homme, dit l'un d'eux, il y a dans ce bois des brigands qui nous ont détroussés des draps que nous portions vendre, et ils ont tué un de nos compagnons parce qu'il leur a parlé trop rudement.

Maugis en eut pitié et leur dit :
— Venez avec moi et je prierai ces larrons de vous rendre le vôtre, et s'ils ne le font, je leur donnerai des coups avec mon bourdon.

Quand les marchands entendirent Maugis parler ainsi, ils se regardèrent et l'un d'eux lui dit :
— Ils sont sept ; vous êtes seul, sans armes et ils sont armés ; et d'ailleurs, à peine pouvez-vous tenir votre bâton. L'autre dit :
— Laissez aller ce sot, car il ne sait ce qu'il dit. Voyez comme il remue la tête.

Il dit ensuite à Maugis :
— Frère, passe ton chemin et laisse-nous en repos sinon je te donnerai un tel coup que tu le sentiras.

Maugis lui répondit :
— Frère, tu as grand tort de m'injurier ainsi, mais je ne te peux faire du bien par force.

Maugis quitta ensuite les marchands et marcha tant qu'il trouva les brigands, alors il leur dit :
— Seigneurs, je vous prie de me dire pourquoi vous avez pris le bien de ces marchands. Vous savez qu'il ne vous appartient pas, aussi je vous prie de me remettre leurs marchandises.

Quand les larrons entendirent Maugis parler ainsi, ils furent irrités. Alors le capitaine des larrons lui dit :
— Retire-toi, mon ami, ou bien je te donnerai un tel coup de pied, que je te crèverai le ventre,

Quand Maugis vit que ce larron ne le craignait pas, il en fut fâché, il prit alors son bourdon et le frappa si fort qu'il le fit tomber. Quand les larrons virent que leur maître était mort, ils coururent tous sur Maugis pour le tuer ; mais il les mit en tel point avec son bourdon, qu'il en tua cinq, et les deux autres prirent la fuite parmi les bois. Quand il vit cela, il les poursuivit et leur cria :
— Eh ! mauvais larrons, faites demi-tour et rendez le larcin.

Les marchands qui entendirent crier Maugis accoururent aussitôt vers lui et trouvèrent les larrons morts. Alors ils se dirent l'un à l'autre :
— Voici un bon pèlerin.

Ils vinrent vers Maugis, s'agenouillèrent devant lui, lui demandant pardon de ce qu'ils l'avaient blâmé à tort.
— Levez-vous, leur dit-il, prenez vos balles et partez. Mais avant de partir, je vous prie de m'informer si Charlemagne a pris Montauban et les quatre fils Aymon qui étaient dedans.
— Sire, dirent les marchands, il a pris Montauban, mais non pas les quatre fils Aymon ni leurs gens, car ils s'en sont allés par une cave sous terre à Dordonne. Là, il les a assiégés de nouveau et ne veut leur accorder ni paix ni accord.

Maugis, entendant ces paroles, leur dit :
— Adieu, marchands.

Alors il prit le chemin de Dordonne et arriva à l'armée de Charlemagne. Il vint vers la ville et feignit de tomber en faiblesse, s'appuyant sur son bourdon. Quand les gens de Charlemagne virent Maugis, ils se dirent l'un à l'autre :
— Ce pèlerin paraît bien malade ; il ne pourrait pas aller bien loin.
— Par son serment, dit un autre, ce pourrait bien être Maugis qui €st ainsi-déguisé pour nous tromper.
— Non, dirent-ils, il est mort.

Tandis qu'ils disaient ces paroles, Maugis s'approcha de la porte et il trouva le moyen d'entrer en demandant la charité.

Quand il fut dedans, il s'en alla au palais et trouva Regnaut qui tenait sa cour. Il entra aussitôt dans la grande salle où il était avec ses frères, dame Claire, les deux enfants et 'les autres chevaliers qui étaient assis pour dîner. Maugis se mit contre un grand pilier qui était au milieu de la salle, devant Regnaut et ses frères qu'il aimait plus que le reste du monde. Le sénéchal aperçut Maugis ; il crut que c'était un ermite. Alors il lui fit donner à manger pour l'amour de Dieu, et on lui donna du pain, de la viande et du vin. Quand il vit cela, il dit :
— Seigneurs, je vous prie de me faire donner du pain noir et de l'eau dans un hanap de bois, alors cela sera comme il faut, car je ne mangerai point de viande.
— Lorsqu'il eut tout ce qu'il avait demandé, il prit son pain noir et en fit de la soupe dans le hanap de bois et en mangea de bon appétit. Regnaut voyant ce pauvre homme si maigre et si pâle en eut pitié ; il prit un plat de gibier et l'envoya par, un de ses serviteurs qui le présenta à Maugis en disant :
— Tenez, prud'homme (1), voici ce que le duc vous envoie.
— Merci, dit Maugis.

Alors il le prit et le mit devant lui, mais n'en mangea point. Regnaut voyant que Maugis ne voulait point manger, s'en alla s'armer pour se mettre en défense. Quand il vit que chacun s'en était allé, il vint à Maugis et l'embrassa en lui disant :
— Messire, je vous prie de me dire si vous êtes Maugis ou non, car vous lui ressemblez.

Maugis ne put se cacher et lui dit hautement :
— Mon cousin, je le suis sans doute, et je suis bien satisfait de vous voir en bonne santé. Regnaut lui dit :
— Cousin, je vous prie d'ôter cette chape que vous portez, car je ne veux point voir de si pauvres habits.

Alors Maugis dit :
— Cousin, ne vous déplaise, vous savez bien que j'ai fait vœu de ne manger jamais que du pain et des herbes sauvages, et de ne boire que de l'eau. Je ne m'habillerai pas autrement, car je veux porter la haire (2) pour sauver mon âme.

Quand il entendit ainsi parler Maugis, il commença à le; regarder et ne l'eut pas reconnu si ce n'eût été une petite plaie qu'il avait près de l'œil. Quand il1 l'eut bien reconnu, il lui fit une grande fête. Alors il appela ses frères et leur dit :
— Venez voir notre cousin Maugis.

Quand Allard, Guichard et Richard ouïrent ces paroles, ils tressaillirent de joie ; ils coururent vers Maugis et l'embrassèrent. Quand la duchesse sut que Maugis était venu, elle alla aussitôt l'embrasser. On apprit l'arrivée de Maugis de par toute la ville et plusieurs vinrent le voir. Il était si changé que c'était pitié de le voir. Regnaut dit à sa femme :
— Chère épouse, allez chercher du linge. Maugis dit :
— Sire, je vous prie de ne point me donner de linge ni d'habit, mais faites-moi donner un chaperon, une écharpe de serge et un bourdon fourré ; je vous serai obligé si vous me donnez cela, et je m'en retournerai. Je ne suis venu ici que pour vous voir.

Regnaut (ut fâché d'entendre parler ainsi Maugis.
— Cousin, lui dit Maugis, cessez votre chagrin, car je me suis donné à Dieu pour sauver mon âme ; je retournerai au Saint-Sépulcre pour servir Dieu, et j'y passerai ma peine et viendrai vous revoir. Ensuite, je me rendrai à mon ermitage où je vivrai de racines comme je vivais avant que je vinsse ici.

Regnaut lui dit :
— Cousin, prenez un bon cheval avec de l'argent, car j'en ai assez.
— Grand merci, dit Maugis, je n'en prendrai point ; et quand j'aurai du pain, ce sera assez. Je vous prie qu'il vous plaise de me laisser retourner sain et sauf.

Maugis alla le lendemain matin entendre la messe, ensuite il prit congé de tout un chacun et s'en alla. Regnaut le conduisit jusqu'à la porte de la ville et l'embrassa en pleurant. Maugis partit, et un peu après il fut environné des gens de Charlemagne qui dirent entre eux :
— Voici l'ermite que nous avons vu passer hier.
— Il est mieux habillé qu'il n'était, dit l'un d'eux, et j'en suis content.
— Ce pourrait bien être Maugis qui nous a trompés, dirent les uns.
— Certes, dirent les autres, c'est sûrement lui ; tuons-le et nous ferons bien.
— Nous ne le ferons pas, dirent plusieurs d'entre eux, car celui qui a cent ans passés doit être prud'homme et doit vivre saintement comme fait un bon ermite.

  1. «Prud'homme», dans l'ancienne langue signifiait « homme d'honneur et de valeur, sage et loyal ».
  2. Dans le parler francique, « harja » signifiait «vêtement grossier fait avec du poil», puis apparut le mot « haire »: petite chemise faite d'une grossière étoffe de poils de chèvre ou de crin, portée à même la peau par esprit de mortification et de pénitence.



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