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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XXX

COMMENT RICHARD DE NORMANDIE PRESENTE AU ROI LES FRERES DE REGNAUT, ET COMMENT, QUAND LE SIEGE FUT LEVE, LE CHEVAL BAYARD FUT JETE DANS LA RIVIERE. MAUGIS AVEC REGNAUT S'EN ALLERENT A JERUSALEM CONTRE LES PERSES.

Quand Regnaut fut parti, Richard et ses frères se préparèrent pour aller trouver Charlemagne. Aussitôt qu'ils furent prêts, ils sortirent de Dordonne et s'en allèrent à la tente du roi qui fut joyeux quand il les vit. Alors il ordonna à ses barons d'aller au devant d'eux, Roland dit :
— Voici les trois frères fort dolents que le duc Richard amène.

Quand ils furent devant le roi, ils s'agenouillèrent. Allard lui dit :
— Notre frère Regnaut vous salue et se recommande à vos bontés. Il vous renvoie le duc Richard de Normandie et l'a prié de nous recommander à vous, car il est allé outremer pour faire votre commandement.
— Amis, dit le roi, soyez les bienvenus. Puisque nous sommes bon amis, si je puis voir revenir Regnaut, je l'aiderai autant que mon neveu Roland, parce qu'il est de grande valeur.

Quand le roi eut parlé aux frères de Regnaut, il baisa Richard et lui dit :
— Quelle prison et quelle viande Regnaut vous a-t-il données ?
— Sire, répondit-il, je n'ai de ma vie été si bien traité.

Le roi commanda alors que chacun décampât pour s'en aller auprès de Liège. Quand il fut sur le pont de la Meuse, il fit amener Bayard, le bon cheval de Regnaut. Aussitôt qu'il le vit, il lui dit :
— Ah ! Bayard, tu m'as irrité bien des fois, mais je suis arrivé à me venger.

Alors il lui fit lier une pierre au cou et le fit jeter par dessus le pont de la Meuse, et il alla au fond. Charlemagne fut rempli de joie, mais Bayard frappa tant des quatre pieds qu'il cassa la pierre, revint au-dessus de la rivière et, à la nage, gagna l'autre rive où, après avoir henni hautement, il partit avec tant de rapidité qu'il sembla que la foudre le poussait. Charlemagne en fut très fâché, mais pas les barons (et beaucoup de gens disent que Bayard est encore vivant dans les bois des Ardennes où il ne se laisse pas approcher). Le roi donna alors congé à ses barons pour qu'ils rentrent dans leurs terres, auprès de leurs femmes et de leurs enfants.

Regnaut vint à Constantinople où il logea chez une sainte femme qui lui annonça la présence d'un autre pèlerin bien malade. Regnaut le reconnut : c'était Maugis. Il lui dit toute sa joie de le retrouver.

Alors Maugis, entendant Regnaut parler ainsi, sortit de son lit comme s'il n'était plus malade. Regnaut lui raconta comment il avait eu la paix avec Charlemagne. Ils décidèrent de partir ensemble. Ils dirent à la brave femme, qui avait soigné Maugis, qu'ils étaient cousins, mais bannis de France et obligés d'aller outre-mer avec les habits qu'ils avaient. La dame leur donna des vivres et ils se restaurèrent comme ils ne l'avaient plus fait depuis longtemps. Le jour venu, ils se mirent en chemin. Après plusieurs grandes journées, ils arrivèrent près de Jérusalem. Au moment d'entrer dans la ville, ils virent un camp : c'était des chrétiens venus pour détruire l'amiral de Perse qui tenait Jérusalem assiégée.

Un vieillard leur raconta comment les Perses, déguisés en pèlerins, s'étaient rendus maîtres de la ville avant que le roi Thomas et ses gens fussent armés. Le roi Thomas s'était sauvé avec peu de gens, puis le pays s'était soulevé, assiégeant les Perses dans la ville. Malheureusement, leur apprit le vieillard, les Perses sont nombreux et les chrétiens n'ont pas de chef.

Regnaut sourit, puis, avec Maugis ils allèrent dans l'armée des chrétiens.

Comme les Perses sortaient de la ville avec trois mille combattants, le vaillant comte de Rame vint vers les deux pèlerins qui leur apprirent qui ils étaient et comment ils étaient là. Alors le comte de Rame fut heureux et il communiqua aux barons de l'armée chrétienne la bonne nouvelle de l'arrivée des vaillants Regnaut et Maugis.

Regnaut voyant les hommages qu'on lui faisait, leur dit :
— J'accepte, sauf l'honneur du roi Thomas qui est votre roi et souverain seigneur.
— Messire, dirent les barons, nous le voulons ainsi.

Quand il l'eut reçu, le comte s'agenouilla devant lui et lui dit :
— Messire, je vous prie de m'accorder le don que vous m'avez promis.
— Messire, dit Regnaut, demandez tout ce qu'il vous plaira et vous l'aurez.
— C'est que vous veniez loger dans ma tente et que vous ne receviez rien hors de chez moi. Et si vous le voulez, je vous ferai délivrer tout ce que vous me demanderez.
— Je vous remercie, dit Regnaut, de l'honneur que vous me faites de ces beaux présents ; il ne sont certainement pas à refuser.

Le comte prit alors Regnaut par la main et le mena dans sa tente. Les barons prirent congé et s'en retournèrent chacun dans leurs tentes, louant Dieu de ce qu'il avait donné un si bon chef. Le comte fit venir de très bons chevaux, avec des habits bien fourrés et de diverses couleurs, ainsi que des hauberts, des épées, des vaisseaux d'or et d'argent, lesquels furent présentés à Regnaut mais il n'en voulut pas, sinon un cheval, un haubert et une épée. Ce qui restait, il le distribua aux pauvres chevaliers. Le comte Rame lui dit :
— Sire, prenez un autre habit car vous savez qu'il n'appartient pas à un homme comme vous de porter un si pauvre habillement.
— Celui que j'ai me plaît, répondit Regnaut, et je n'en porterai point d'autre que je n'aie baisé le saint Sépulcre où Dieu fut mis au sortir de la croix.

Le comte commanda alors que l'on servît à souper. Quand ils eurent soupe, le comte appela Galerand, Geoffroy et le comte de Jasses, à qui il dit :
— Seigneurs, pensons à louer Dieu, puisqu'il nous a envoyé le secours de Regnaut et de Maugis. Il me semble que nous devons avoir chacun en notre tente un grand cierge allumé pour louer Notre Seigneur du secours qu'il nous a envoyé.

Les barons lui dirent qu'il avait raison. Alors chacun se retira dans sa tente et y fit allumer un grand cierge ; il n'y avait rien de plus beau à voir que la grande clarté qui se répandait dans l'armée. Alors ils se mirent à danser autour de leurs tentes. Les turcs qui gardaient la tour de David, ayant aperçu une si grande lumière dans l'armée des chrétiens, en furent surpris. Alors quelqu'un d'eux l'alla dire au roi. Quand l'amiral apprit ces nouvelle, il s'écria hautement :
— Mahomet ! Qu'ont-ils donc trouvé, ces méchants pour faire une si grande fête ? Je crois qu'ils font comme les cygnes qui chantent quand ils doivent mourir ; car je réponds de leur perte, et cependant ils se réjouissent.

Il jura par Mahomet devant tous ses barons qu'il sortirait dès le lendemain, afin de détruire tous les chrétiens. Quand le roi Thomas, qui était prisonnier, vit la grande joie qu'avaient les chrétiens, il ne sut que penser, mais il se dit en lui-même :
— Qu'ont maintenant mes gens pour montrer une si grande joie ? Hélas ! ne se ressouviennent-ils point de moi ? Je crois que oui car la fête qu'ils font ne peut être sans une grande occasion.

Ceux de Rame et des environs, voyant une si grande lumière, s'imaginèrent que Jérusalem était en feu, et les autres avaient peur qu'on eût quelque grande affaire. Quand ceux de l'armée eurent fait bonne chère, on disposa une sentinelle. Aussitôt que le jour fut venu, les barons allèrent saluer Regnaut qui était dans sa tente, et lui dirent :
— Messire, que vous semble-t-il que nous devions faire ? Attaquerons-nous la ville ?
— Seigneurs, dit Regnaut, il me semble que cela est.

Ils étaient à délibérer s'ils attaqueraient la ville quand l'amiral fit ouvrir la porte et sortit avec dix mille hommes bien armés. Regnaut et les barons de Syrie coururent aussitôt aux armes. Regnaut fut bientôt armé ; ensuite il prit son casque et son épée et monta sur le cheval que !e comte Rame lui avait donné. Maugis s'arma comme lui et monta à cheval. Alors il cria :
— Barons, ne craignez rien car je promets à Dieu que je ne m'en retournerai pas être ermite avant que les Turcs ne soient vaincus.

Il dit ensuite à Geoffroy :
— Baron, tenez-vous auprès de Regnaut car si tous les chevaliers étaient comme lui, l'amiral serait bientôt vaincu.

Quand les barons furent armés, ils ordonnèrent la bataille du mieux qu'ils purent. L'amiral arriva et se mit parmi les chrétiens. Le premier bataillon sarrasin conduisait un roi nommé Margaris, qui portait sur son écusson un dragon peint avec une horrible figure. Quand Margaris vit qu'il était temps de frapper sur les chrétiens, il vint contre Regnaut qui, le voyant venir, dit aussitôt au comte de Rame :
— Voici Margaris qui vient chercher sa mort.

Alors il courut aussitôt contre lui et le frappa si durement qu'il lui perça la poitrine avec sa lance, puis il tomba par terre. Quand Regnaut eut fait ce coup, il lui dit :
— Que Dieu te punisse : marche faire compagnie à tes prédécesseurs en enfer.

Ensuite il mit l'épée à la main et frappa si rudement un Sarrasin sur son casque, qu'il le fendit jusqu'aux dents ; puis il en frappa un autre sous son étendard et lui abattit la tête. Quand il eut tué ces trois, il s'écria « Montauban ». Quand Maugis l'entendit, il se précipita à travers la mêlée et abattit mort le premier qu'il rencontra ; puis il mit l'épée à la main, se mit dans la grande foule et frappa à droite et à gauche avec tant de force qu'il abattit une quantité de Sarrasins par terre ; tous les barons et Regnaut en furent surpris. Regnaut dit alors au comte de Rame :
— Que pensez-vous de mon cousin ? Vîtes-vous jamais un si bon ermite ?
— Par ma foi, dit le comte, il mérite d'être estimé.

Heureuses te entrailles qui Font porté et l'heure où vous êtes venu en ce pays ; car maintenant je suis sûr que par votre arrivée la ville de Jérusalem sera prise et le roi Thomas délivré de prison.

Quand il eut ainsi parlé, il piqua son cheval et frappa un Turc avec tant de fureur qu'il lui passa sa lance à travers le corps. Ensuite il mit l'épée à la main et frappa tant qu'il put en disant :
— Frappez, barons, car les Sarrasins vont être vaincus si Dieu nous garde les vaillants chevaliers Regnaut et Maugis.

Les barons du pays se pressèrent et commencèrent à faire merveille d'armes contre les Sarrasins. Chacun d'eux n'osait trouver Regnaut ou Maugis tant ils étaient craints. Quand les Sarrasins virent qu'ils ne pouvaient souffrir le tort que Regnaut et Maugis leur faisaient, ils se mirent en fuite vers Jérusalem.

Quand l'amiral vit que ses gens étaient vaincus, il dit :
— Malheureux ! pourquoi me fuyez-vous ? Ne savez-vous pas que je suis votre seigneur et que je vous défendrai contre ces faux chrétiens ? Qu'est devenu Margaris ?
— Sire, dit un Sarrasin, il est mort.

Quand l'amiral entendit ces paroles, il devint enragé et dit :
— Qui est celui qui a tué Margaris ? Est-ce celui qui a la grande fourche ?
— Oui, sire ; c'est le meilleur chevalier du monde, car il a mis quantité de vos gens à mort.

L'amiral jura par Mahomet qu'il percerait le ventre au grand vilain. Quand il eut fait ce serment, il piqua des deux et se mit dans la mêlée, et le premier qu'il rencontra fut Galerand, auquel il donna sur son écu si rudement qu'il passa sa lance par derrière. Il mit ensuite l'épée à la main et se remit dans la mêlée en criant :
— Frappez, barons, frappez sur ces mauvais chrétiens, car ils seront bientôt vaincus.

Quand le comte de Jasses et Geoffroy virent qu’ils maltraitaient ainsi les chrétiens, ils se jetèrent dans la mêlée. Il y eut une grande destruction de gens de part et d'autre, mais à la fin, les chrétiens auraient été vaincus sans l'aide de Regnaut et de Maugis.




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