Après que Regnaut eut distribué tous ses biens à ses enfants, il retourna dans sa chambre et y demeura jusqu'à la nuit. Il mit ensuite une grande robe et prit son bourdon pour se défendre des chiens. Il partit du palais et s'en vint à la porte de la ville qu'il fit ouvrir. Quand le portier vit que son seigneur était si mal habillé, il lui dit :
— Sire, où allez-vous ? Je vais éveiller vos frères et vos enfants, car vous êtes en grand danger des voleurs, vu que vous ne portez rien pour vous défendre.
— Ami, dit Regnaut, n'y va pas ; j'ai espérance en Dieu. Mais tu diras à mes frères et à mes enfants que je leur souhaite salut et amitié, qu'ils pensent toujours à bien faire ; qu'ils fassent ce que je leur ai dit et que jamais ils ne me reverront : je m'en vais sauver mon âme, s'il plaît à Dieu, et mourrai quand il lui plaira ; car j'ai fait mourir bien des gens dont mon âme est chargée. Si je pouvais faire en sorte qu'elle en fût délivrée, je ne demande rien d'autre.
Alors il regarda à son doigt et vit sa bague où il y avait une pierre valant cinq marcs d'argent. Il la donna au portier, lequel le remercia de ce présent et lui dit :
— Hélas ! messire, vous faites grand tort à ce pays.
Il se mit alors à pleurer. Cependant Regnaut se mit en route en habit de pèlerin. Comme il s'en était allé, le portier suivait le pèlerin des yeux et quand il ne put plus le voir, il tomba en faiblesse et y resta très longtemps. Quand il fut revenu à lui, il se mit à pleurer comme il avait déjà fait auparavant. Quand il fut à son hôtel, il regarda l'anneau que Regnaut lui avait donné ; et le voyant si riche, il en fut content. Le lendemain, aussitôt qu'il fit jour, le portier alla trouver les frères de Regnaut et leur raconta tout ce qu'il leur mandait. Ils commencèrent tous à former des regrets de ce que Regnaut s'en était allé sans rien leur dire.
Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px
Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités