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«Noyé l'Poyou», Magonette et Géna, bandits restés légendaires

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Frédéric Kiesel

Aujourd'hui encore, dans le Centre et le Nord de l'Ardenne, il arrive qu'on traite un jeune garnement de «Magonette» ou d' «espèce de Magonette et Gêna». Une telle survivance étonne, les brigands en question ayant sévi avant 1830. Ils sont le type même de personnages réels devenus légendaires de leur vivant, symbolisant le banditisme qui, notamment dans la région de l'Ourthe et de la Baraque de Fraiture, terrorisa les populations rurales depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu'au régime hollandais. Le phénomène s'atténua à mesure qu'on s'éloignait des drames de l'époque française(1). À la fin du règne autrichien de Marie-Thérèse, on en trouve des traces dans des édits impériaux.

Mais l'âge des grandes violences eut pour cause les troubles amenés par la Révolution française et surtout par les réfractaires à la conscription au temps des guerres de Napoléon. Ils ont jeté dans les «maquis» forestiers de la région des centaines de jeunes gens. Certains survivaient grâce à la complicité des villageois. D'autres par les moyens du bord, le vol et le pillage.

«Noyé l'Poyou», chef de bande

En marge de ces aventuriers malgré eux, d'authentiques bandits ont accompli leurs méfaits, en faisant une véritable profession. Ils avaient un poil dans une main et un couteau dans l'autre. C'était le cas d'un redoutable chef de bande, chez qui Magonette s'initia au «métier»: François Joseph Willem, né vers 1783 près de Bihain, connu sous le surnom de «Noyé (on ignore pourquoi) l'Poyou» (le dépouilleur).

Tisserand dans sa jeunesse, Noyé l'Poyou se montra d'abord bon travailleur. Mais il était vindicatif. Amoureux éconduit, ayant eu une rixe avec le «galant» qui lui fut préféré, il le tua. C'est ce qui le précipita dans le brigandage. Il s'enfuit dans la Fagne, du côté des Petites Tailles, près de la Baraque de Fraiture. Refusant le risque d'être enrôlé dans les armées de l'occupant français, il s'acoquina avec une troupe de chenapans, dont des réfractaires. Il avait quelque chose d'un justicier. Attaquant un jour, dans un raidillon près de Francorchamps, une diligence qui transportait trois voyageurs, dont le comte Cavens, fondateur de l'hospice de Malmedy, il reconnut celui-ci, et lui dit: «Vous passerez, Monsieur Jean-Hubert, vous avez été bon pour ma mère.»

Par contre, sous la menace de son revolver, il rançonna de cent écus les deux compagnons du comte, exigeant des pièces d'or de l'un d'eux en lui disant: «C'est toi qui fais jeter dehors les honnêtes gens en retard de loyer!»

Noyé (ou Noé) n'est pourtant pas un Robin des Bois. Il commande une bande de détrousseurs opérant surtout dans les Fagnes, la vallée de l'Ourthe, et, dit-on, jusqu'aux Bois du Comte, près de Liège. Un jour, non loin d'Esneux, il rencontre un malheureux en guenilles qui semble malade. Il lui vient en aide et lui conseille d'aller se rafraîchir dans la rivière: Noé surveillera le baluchon du pauvre homme. Mais quand celui-ci revient, Noé a disparu avec le baluchon!

Pour divers méfaits, il est appréhendé et condamné en 1809 à quatorze ans de travaux forcés. En 1816, il obtient du roi des Pays-Bas une remise de peine.

Henri-Joseph Theis, dit «Magonette»

Dans la bande du Poyou, on voit bientôt s'enrôler un certain Henri-Joseph Theis. Cadet d'une famille originaire de l'actuel grand-duché de Luxembourg, il fut orphelin de père à dix ans. C'est pour cette raison, estime son biographe W. Vandevoir(2), que le jeune homme, né en 1790 à Wibrin près de Houffalize, fut connu sous le nom de famille de sa rude mère, une Magonette. Ce fut son surnom, mais il signa toujours Theis. Chose rare pour l'époque, il savait écrire. On possède un exemple de sa signature au bas de son recours en grâce.

Il était très robuste, assez beau, intelligent, courageux, mais violent. C'était surtout un fils de la période chaotique de l'occupation française, détestée par les populations rurales catholiques. Les prêtres non assermentés à la République étaient pourchassés par les sans-culottes. Ensuite, on le sait, les citoyens furent révoltés par la meurtrière conscription napoléonienne. Si l'on revenait des armées, c'était souvent estropié. Certes, l'Ancien Régime ne laissait pas de grands regrets dans le peuple, mais les villages n'étaient pas devenus pour autant patriotes français ou hollandais.

Devant une autorité récemment établie par la force, il arrivait que des jeunes gens instables foncent dans l'illégalité et la violence. Magonette et ses compagnons n'avaient reçu qu'une éducation rudimentaire (jadis dispensée par des curés villageois). Leurs destins, bientôt criminels, furent le résultat de ces dures circonstances.

L'aventure d’Henri-Joseph Theis, dit Magonette, commence sous le signe de Noyé l'Poyou. En 1816, au début du régime des Pays-Bas réunis par le traité de Vienne, il fait partie, avec vingt-cinq voyous de Wibrin et des Tailles, de la bande du Poyou à peine libéré par le roi Guillaume.

Magonette était accompagné par plusieurs membres de sa famille: son frère Jean-Hubert, sa sœur Marie-Sibille, et l'époux de celle-ci. Presque tout le village de Wibrin, par sympathie, ou par peur si l'on enfreignait la loi du silence, était complice de la bande. L'un ou l'autre y trouvait des abris précaires, voire des alibis en cas d'enquête judiciaire.

Avec, longtemps, la nonchalance des autorités et l'insuffisance des effectifs mobilisés pour traquer les bandits (seulement deux gendarmes à Houffalize, en pleine zone de la bande!), cette complicité locale fera durer les méfaits. La «garde bourgeoise» appelée en renfort se montra plus bourgeoise que martiale. Bientôt une psychose se développa dans les populations de tout le Nord de l'Ardenne. On détroussait, sous la menace, les voyageurs qui se hasardaient sur les chemins traversant les forêts de la région. La victime se voyait exiger son argent, souvent caché dans une ceinture. Si elle refusait, sur un signal, elle était passée à tabac par des bougres surgissant des taillis. De tels guets-apens(3) étaient fréquents.

L'autre activité de Magonette était le pillage de fermes de cinsis (fermiers) réputés aisés. Ils étaient dûment repérés, leurs habitudes observées, et les vols en leur présence (on parlerait aujourd'hui de «home-jacking») portaient sur de l'argent, souvent obtenu en brutalisant les propriétaires. On les forçait à déposer dans des cachettes leurs rares bijoux (surtout des montrés) et des victuailles: du jambon, du lard...

Les malandrins allaient parfois jusqu'à brûler les pieds des victimes - la technique des «chauffeurs». Le climat de terreur entretenu par la bande facilitait le «travail». Quand on examine les témoignages, on reste étonné par la disproportion entre la brutalité des moyens employés et la relative modestie des butins. Des malfaiteurs pauvres volaient de moins pauvres qu'eux, car les riches étaient rares en la rude Haute-Ardenne.

C'est ainsi que, remarqué pour sa grande force physique et sa hardiesse, le fameux Magonette «fit ses classes», depuis le chapardage de poule, jusqu'au vol de cuir de cordonnier, de vin, de rhum, de tabac, d'amidon, de savon, de beurre, tous commis chez Louis Piquet à Trois-Ponts.

Si la victime résistait, le cambriolage s'accompagnait de violences sanglantes. Comme chez le vieux et encore robuste Daco de Wibrin. À septante ans, il tenta de se défendre contre la dizaine d'énergumènes, déguisés et masqués, entrés chez lui en cassant une fenêtre. Il prit le couteau de l'un d'eux, se le fit arracher, et couper les doigts. À l'enquête, il n'osa pas désigner Magonette, fils d'une de ses voisines, pourtant reconnaissable à sa taille herculéenne. Cette agression était grave. Mais le roi Guillaume refusa d'envoyer des militaires pour «nettoyer» la région qui devenait une «zone de non-droit».

Pourtant, lors d'une rafle, pendant l'hiver 1817, deux brigadiers de Houffalize, aidés de «gardes bourgeois» devenus plus hardis, parvinrent à arrêter Noyé l'Poyou. Plusieurs arrestations suivirent. L'Poyou, incarcéré à Neufchâteau, fut condamné aux travaux forcés à perpétuité et marqué au fer rouge à l'épaule. Le frère de Magonette, Jean-Hubert Theis, écopa de vingt ans de fers. Mais Magonette lui-même put disparaître. Passé entre les mailles du filet, bien entraîné, musclé, portant une belle moustache rousse tombante, il allait prendre la succession de Noyé, sans réunir une vraie bande.

Magonette, le chef

La nouvelle «carrière» de Magonette commença par deux échecs.
La justice n'avait pas de preuves formelles contre lui à cause de la loi du silence. Malgré de lourds soupçons, Magonette logeait donc souvent chez lui à Wibrin. Sa maison, située à l'écart, était signalée par une enseigne rouillée qui grinçait au vent: celle d'une ancienne auberge.

Un soir, un marchand de vaches, revenant de la foire de Saint-Hubert avec son grand chien y demande l'hospitalité.
-J'héberge les hommes, pas les bêtes, lui répond, bourru, le patron moustachu.
Je payerai pour les deux. J'ai de quoi. J'ai fait de bonnes affaires à Saint-Hubert.

Ceci change tout. L'étrange patron sourit. Il machine déjà dans sa tête une affaire qui n'a rien à voir avec l'hôtellerie. Le marchand monte se coucher dans la soupente qui lui est désignée comme chambre. Sa méfiance est en éveil. Il entend des étrangers au rez-de-chaussée, perçoit les échos d'un conciliabule. Les nouveaux arrivants s'en vont bientôt. Ils ne sont pas des clients mais ressemblent à des complices. Son intuition fait deviner au marchand qu'il est dans un coupe-gorge. C'est ce que sent son chien, qui ne cesse de gronder. L'homme se barricade, n'ose s'endormir, regarde par la fenêtre. Il voit des hommes s'assembler, des armes luire au clair de lune. Cette fois, il n'a plus de doute, ouvre la lucarne et, revolver au poing, se laisse glisser sur le toit de chaume qui atteint presque le sol. Tirant dans le groupe suspect, il s'enfuit à toute allure, frôlé par plusieurs balles.
Le voilà sauvé de justesse, bientôt rejoint par son chien, blessé, qu'il croyait avoir perdu dans l'aventure. Il n'ose pas porter plainte...

Pour Magonette, toute prise est bonne, qu'elle soit modeste ou importante. Il cherche quelque occasion de larcin à la foire de La Roche, en 1818. Après avoir distrait par quelques marchandages un vendeur de tissus et de lingerie, il se fait prendre à voler une douzaine de grands mouchoirs rouge et blanc. Magonette tente en vain d'acheter le silence d'un témoin avec une bouteille de «goutte». Il est arrêté et condamné, pour ce menu délit, à trois ans de prison. On ne plaisantait pas avec la propriété! Sans doute, il ne «payait» pas seulement pour les mouchoirs, mais pour sa réputation de brigand, déjà colportée par la rumeur publique.

Gêna entre en scène: l'utilité des préaux de prison

À la maison d'arrêt de Namur, où Magonette est conduit, à pied, à petites journées, entre deux gendarmes à cheval, son dossier porte la mention «haute surveillance». Pourtant, après un mois, il s'évade. Et n'a pas perdu son temps: au préau de la prison, il a noué alliance avec un autre détenu, auquel son destin va rapidement le lier, Jean-Henri Gêna. Son cadet de quatre ans, né à Heid, dans le canton de Durbuy, est mouleur de sable en fonte(4) dans la sidérurgie ardennaise, encore active. Gêna ne possède pas l'exceptionnelle robustesse de Magonette. Il porte une barbe aussi rousse que les moustaches de son aîné. Il est inculte, illettré, mais d'une ruse phénoménale. Le front bas, la peau grêlée de petite vérole, l'air timide, il n'a ni la stature ni le statut de «patron», mais il dépasse son aîné en astuce. Dans les interrogatoires, on l'entendra toujours «finasser», comme il le fit à propos du cheval de Malaise.

Gêna est incarcéré pour le vol de celui-ci. Il avait feint de discuter avec ledit Malaise les qualités et l'achat éventuel d'une monture avec bride et selle. S'éclipsant de la chambre où l'on marchandait, sous prétexte d'aller se soulager «dri la haye» (derrière la haie), il était allé discrètement chercher à l'écurie la bête, objet de la discussion, et s'était enfui avec elle. Il fut pris et reconnu à cause d'une imprudence typique de gens de sa trempe: partir sans payer la goutte qu'il buvait dans une auberge. À l'audience qui devait juger le vol, il plaida le malentendu. Prétendant avoir payé le cheval, il faillit faire tourner en bourrique Malaise, le propriétaire de la bête. Débrouillant ses mensonges, le tribunal le condamna à un an, le tiers de la peine de Magonette pour quelques mouchoirs. Ce n'était pas la seule bizarrerie de la jurisprudence.

Première victime du duo Magonette-Géna: le vieux curé des Tailles

Bientôt réunis, Magonette et Gêna, en fuite ensemble, ne devaient pas attendre longtemps avant de se signaler par des hauts faits qui impressionnèrent les populations.

Le pauvre village des Tailles, sur la pente menant de Houffalize à la Baraque de Fraiture, avait un brave vieux curé, l'abbé Nicolay. Généreux, il passait pour avoir quelques économies (on était facilement considéré comme riche dans la pauvre Ardenne!).

Le soir du 18 mai 1819, Catherine, sa ménagère - d'un âge canonique - est inquiète. Un gamin lui a dit qu'on a vu Magonette dans les parages. Sans en toucher mot au prêtre pour ne pas troubler son repos, elle lui demande de l'aider à porter les paniers de linge au grenier: - Là ils seront plus en sécurité que dans la buanderie.
- Ne vous faites pas de souci, ils ne sont pas en danger.
Je suis fatigué. Nous veillerons à cela demain, répond le révérend Nicolay. Je vais dormir.

Le curé est au lit depuis une demi-heure quand Catherine, qui vient de monter se coucher, entend des coups frappés le long de la façade. Puis, après quelques minutes de silence, le bruit d'une vitre volant en éclats. Des pas gravissent l'escalier. Un inconnu est là qui apostrophe grossièrement le prêtre qu'il a réveillé en le secouant. - Dis-moi où est ton argent. Je sais que tu en as.
- Mais je l'ai prêté à un malheureux, il ne me reste ici que quelques francs dans une tasse dans la cuisine...
- Je n'en crois rien. Tu caches ton magot quelque part. Dis-moi où, sinon gare à toi!

Un deuxième malandrin, masqué comme l'était le premier, est là, suivi bientôt d'un troisième. Entrant dans la chambre de la ménagère, il la tire du lit par les cheveux en l'injuriant. Elle a le temps, bien que terrorisée, de reconnaître une barbe rousse trahissant Gêna. Pendant que les trois brigands retournent tout le ménage, éventrent le coffre et ne trouvent que les quelques pièces de monnaie dans le pot de la cuisine, l'abbé Nicolay, tremblant, est assis, en chemise de nuit, au pied de son lit. Un des complices le bâillonne, l'étouffant à demi.

Si tu ne nous donnes pas ta bourse, nous te coupons le cou, crie Magonette - car c'était lui! - faisant luire la lame d'un coutelas...

Comme il ne découvre rien de précieux, il assomme d'un coup de crosse le pauvre révérend qui vient de reconnaître son agresseur à ses favoris noirs. Mais, longtemps, il n'osera pas le désigner.

Le trio se retire bientôt en jurant, emportant seulement des serviettes et la croix d'or, fierté de la ménagère pour les jours de fête...
La brutalité de toute cette affaire au bien mince profit scandalisa les villageois, venus le lendemain inspecter les dégâts.
Le «crime des Tailles» fut le début d'une série de sinistres exploits commis par le duo Magonette-Géna, parfois aidé de comparses.

Un des procédés de la petite équipe était classique: rançonner, par chantage au meurtre, des fermiers supposés riches. Ils devaient déposer une bourse garnie sous une certaine pierre, ou dans le creux d'un arbre. Tout villageois quelque peu aisé, ou tel marchand ou maquignon ayant fait de bonnes affaires, était mis en coupe réglée.
Autre truc: profiter du climat d'insécurité pour «protéger», moyennant finances, un voyageur isolé. Ça, c'était une idée de Gêna. Les archives ne parlent pas d'une quelconque tentative des autorités de tendre un piège en surveillant le butin caché au lieu convenu.

Les débuts de Gêna: Waterloo, les louis d'or de Stembert, le cheval perdu en fagne

Jean-Henri Gêna avait, on le sait, commencé sa vie active comme honnête ouvrier dans une forge ardennaise. Mais, sonnant le glas de Napoléon, la bataille de Waterloo marqua, en 1815, le début de son existence de marginal. Au lendemain de la grande tuerie, il est parmi la centaine de personnages qui détroussent les cadavres, fouillant les poches pour récupérer quelque monnaie, coupant des doigts afin d'en arracher les alliances. C'est pour lui une révélation: des gains sont possibles sans un travail régulier...

Tout en restant ouvrier, il commet des larcins: un vol à la tire d'un mouchoir et d'une bourse contenant neuf louis d'or, à Stembert en octobre 1816. Encore maladroit, il est pris et condamné à treize mois de prison, qu'il purge à Saint-Léonard, à Liège. Il ne sait pas encore que ce sera, plus tard, son dernier logis avant la mort. À l'expiration de sa peine, il prend le large et travaille en Prusse, puis revient au pays chez un maître de forges de Ciney. C'est alors qu'il vole le cheval de Malaise et, condamné, fait en prison la connaissance de Magonette, qui l'aide à s'évader avec lui, et devient son maître en truanderie.

Les deux compagnons vivent souvent dans les bois, changent de logement chaque nuit, allant d'un complice à l'autre. Ils sont recherchés pour avoir volé du bétail et des chevaux. Mais ils ne parviennent pas à constituer une vraie bande. Alors, pour régner par la terreur, ils font croire à un retour - mythique - du terrible Noyé l'Poyou. Ils imposent ainsi la loi du silence et forcent certaines complicités.

L'audace des deux chenapans est souvent payante. Avec son aplomb habituel, Gêna se prétend propriétaire d'un cheval, portant un sac d'écus, qu'on avait trouvé égaré dans la fagne de Fraiture, et ramené au maire de la commune... Il mentait évidemment. L'animal avait été acheté peu auparavant par un marchand de vins.

Hardis (et coureurs de jupons), Magonette et Gêna ont l'audace de reparaître aux Tailles, où chacun, sans oser le dire à la justice, les accuse de l'agression du vieux curé, alors à peine remis des violences subies.

Le cas du gendarme Poncin. Les fusils des gardes

Malgré leur aplomb, les deux brigands doivent pourtant se cacher. Un soir, avertis de ce que Magonette se dissimule à Lignely chez la veuve Daco, deux gendarmes, Lefèvre et Poncin, exigent d'entrer chez elle. Elle refuse d'ouvrir à des inconnus. Poncin ne l'est pas pour Magonette, qu'il a naguère arrêté lors du vol des douze mouchoirs à la foire de La Roche.

Poncin fait le tour de la maison et va se poster près de la fenêtre donnant sur le jardin. Lefèvre entend la femme quitter la cuisine. Une fenêtre s'ouvre. Immédiatement un coup de feu claque. En courant, Lefèvre fait le tour de la petite ferme, rattrape Magonette, armé, qui se sauve dans le verger. Les deux hommes luttent corps à corps durant tout un quart d'heure. Ils sont robustes tous les deux.

- Scélérat, tu es Theis (c'est, on s'en souvient, le vrai nom de Magonette).
- Oui, c'est moi, et il tire un coup de revolver à bout portant, heureusement dévié par le coude de Lefèvre. Finalement, Magonette a le dessus et se sauve, abandonnant son fusil et une arme de poing. Lefèvre perd sa trace et, inquiet du sort de son compagnon, revient à la maison de la veuve. Là, il trouve, près d'une fenêtre, son collègue Poncin mourant, la tête touchée par une balle. Un gamin, trouvant dans l'herbe, le revolver abandonné par Magonette, constate qu'il est encore chaud: il vient de servir. Ceci signe le crime.

Hormis un revolver de réserve, Magonette a perdu ses armes dans la bagarre. Sa façon d'en retrouver montre bien sa hardiesse. À Fontenaille, il rencontre le garde champêtre Therer, de Mont. Il commence par le distraire et l'agacer avec la proposition -imaginaire - d'aller animer comme «violoneux» un bal de la région. Puis, admirant le fusil du garde, il le prend en mains sous prétexte de regarder de plus près les beaux motifs gravés sur la crosse. Gardant l'arme, il se sauve à toutes jambes. Comme Therer commence à le poursuivre, il le menace de lui brûler la cervelle. Effrayé, désarmé, le garde capitule, piteux. «J'ai préféré, dira-t-il, perdre mon fusil que la vie. »

Le soir du même jour, Magonette se rend chez un collègue de Therer, le garde de Wibrin, qui est seul chez lui à fumer la pipe. Bien que suspect, il essaie de lui emprunter son fusil pour quatre ou cinq jours. Durant la discussion qui suit, un petit homme se glisse sans bruit dans la chambre, prend le fusil et se sauve dans un grand éclat de rire. C'est Gêna.

Dûment réarmés, deux jours plus tard, les deux brigands réussissent un de leurs plus beaux coups, agressant la ferme Pauly à Fontenaille, à une heure de Houffalize. Ils emportent, sous la menace, un important magot de pièces d'argent et d'or. Ils ont enfin dévalisé de vrais riches, la denrée rare qu'ils ont tant cherchée.

Changer d'air mène à «éternuer dans la sciure»

Le roi Guillaume de Hollande s'est enfin décidé à faire venir l'armée dans la zone des exploits de Magonette et Gêna. Le signalement des deux truands est distribué dans le Luxembourg et au pays liégeois (ce qu'ils ignorent). La confiance revient et des témoins osent parler. Notamment le curé Nicolay, des Tailles.

Les deux compères sentent le besoin de changer d'air. Fuyant vers Liège, ils font la noce, se faisant remarquer par leurs dépenses, avec une imprudence étonnante. C'est ainsi que Magonette et Gêna seront localisés et bientôt arrêtés après encore quelques mauvais coups et actes de grivèlerie. La nouvelle se répand de l'arrestation des deux malandrins, incarcérés à Liège à la prison de Saint-Léonard (détruite dans la deuxième moitié du XXe siècle). L'angoisse des villageois s'estompe.

L'aventure se terminera par une étrange procédure d'assises (sans jury ni public lors des interrogatoires) qui se déroule en deux temps.
Magonette est d'abord condamné, pour le meurtre du gendarme Poncin, aux travaux forcés à perpétuité, la mort n'étant prévue que pour un assassinat accompagné de vol avec cinq circonstances aggravantes...

Une heure de pilori sur une place publique marque le caractère infamant de la peine. Sur une estrade, Magonette est exposé, la tête dans un carcan, un écriteau indiquant le motif de sa condamnation. Il est marqué au fer rouge à l'épaule gauche des lettres TP (travaux à perpétuité). Les vols, qui motiveront la peine capitale, feront l'objet d'un deuxième procès, à charge cette fois de Gêna également. Il ne s'agira que de ceux des Tailles, chez le curé Nicolay, et de Fontenaille, chez Pauly. Ses alibis et ceux de Magonette s'écrouleront pour la plupart, les témoins cessant décidément d'avoir peur. Les victimes de toutes les exactions et des chantages demanderont que l'exécution ait lieu à Wibrin, mais le spectacle, lugubre et très prisé, restera prévu à Liège.

Chacun dans une des sépulcrales cellules des condamnés à mort, dans le sous-sol humide de Saint-Léonard, attendit la décision du roi de Hollande sur les recours en grâce. Qui furent rejetés. Pendant ce temps, l'athlétique Magonette parvint à faire sauter les verrous de sa cellule, dans une tentative désespérée d'ultime évasion, prétendant avoir voulu parler à son ami Gêna. Il refusera obstinément les secours de la religion. Gêna, lui, finit par accepter le prêtre devint par la suite évêque de Namur.

Finalement, à la Cour des Mineurs, c'est devant une foule considérable, dont de nombreux Ardennais venus spécialement en diligence, que les deux brigands « éternuèrent dans la sciure » comme on disait en une plaisanterie sinistre. Magonette ne cachait pas sa peur devant la mort, à trente ans. Gêna se montra serein. Il avait vingt-six ans...

La guillotine qui servit aux deux exécutions est conservée au Musée de la Vie wallonne, tandis que le crâne de Magonette et le moulage de sa tête se trouvent aux Archives du palais de justice de Liège. On n'y garde aucun reste de Gêna.

La fin des deux complices marqua celle du grand banditisme dans toute la Haute-Ardenne. Ils y furent les derniers criminels célèbres de ces temps troublés sans lesquels ils auraient sans doute mené des existences plus normales.

  1. Des faits analogues sont signalés en Rhénanie et dans la vallée du Main.
  2. Magonette et Gêna, les brigands ardennais, Publications ardennaises, Aywaille, 1926, 3e édition en 1970.
  3. Ils justifient, au sud de la zone du Poyou, à la sortie de Bastogne vers Arlon, l'invocation à Notre-Dame de Bonne Conduite (à travers les périls de la forêt d'Anlier). Mais c'est plus au nord, vers Liège ou Barvaux, qu'opérait la redoutable bande.
  4. Les moules des taques et autres plaques de fonte étaient en sable compact, qu'il fallait encadrer à la dimension voulue pour y imprimer en creux un modèle en bois de la pièce à fondre. Du travail de précision.

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