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Esprits des forêts et de la nuit

Les nutons

Sites et récits

Petits génies des forêts et des champs, les nutons (de l'ancien français netun : sorte de démon, et du wallon nutt' : nuit) habitaient les grottes et les failles des rochers. Tantôt cordonniers, tantôt forgerons ou rétameurs, ils étaient très habiles en toute espèce de métiers. Parfois commis à la garde d'un trésor, leur force physique exceptionnelle en faisait des êtres redoutés.

Susceptibles et rancuniers, ces nains châtiaient durement ceux qui les provoquaient. Il était donc dans l'intérêt des hommes d'entretenir avec eux des relations de bon voisinage. Pour s'attirer leur bienveillance et rétribuer leurs services, les campagnards leur faisaient des dons en nature (des œufs, du pain, du lait, du beurre...), lesquels étaient généralement déposés à proximité de leur habitat. Ces offrandes perpétuent-elles le souvenir d'une dévotion? Les nutons sont-ils les successeurs d'anciennes divinités entrées dans le folklore?

Malgré l'existence de nutonnes, ces nabots s'amourachaient facilement des jeunes villageoises et se rendaient parfois coupables de substitutions d'enfants nouveau-nés. Pour se débarrasser des nutons, ou faire éclater leur supercherie, les villageois usaient d'un stratagème à base de coquilles d'œufs, lequel vexait les petits hommes ou les démasquait. Répandus dans toute l'Ardenne sous différentes appellations (nutons, lutons, sotês, massotês...), ces nains jouissent encore d'une certaine popularité auprès des campagnards.

La Maison des nutons

En Haute-Lesse, entre les villages d'Anloy et de Glaireuse, le Bois de Cuy est clairsemé d'éboulis, d'affleurements schisteux, de blocs moussus dont certains ont roulé jusque dans la rivière. Dans ce site sauvage, plusieurs cavités, dont un bel auvent rocheux appelé la Maison (ou le Trou) des nutons, auraient abrité ces nains capricieux et folâtres du légendaire ardennais.

A quelques pas de là, au bord des rapides de la Lesse, gît une grande pierre couverte de petits évidements circulaires qui, d'après la tradition, servaient d'assiettes et de tasses aux nutons lors de leurs repas nocturnes. On montre aussi, sur une roche voisine, un plat et un fauteuil dont l'usage était, paraît-il, réservé au patriarche des petits hommes.

Les nutons de Cuy fabriquaient des outils. En échange de ce travail, ils venaient s'approvisionner en nourriture à Anloy. Un jour, une femme de ce village se rendit à la Maison des nutons pour soigner un nain tombé malade. Pour la récompenser de son dévouement, le nuton lui prit son tablier et y fourra quelque chose. En le lui remettant plié en quatre, il insista pour qu'elle ne l'ouvre pas avant d'être rentrée chez elle. Mais, en chemin, poussée par la curiosité, elle déplia le tablier et vit une multitude de flocons d'avoine s'envoler avec le vent. Pensant que c'était une bien maigre obole qui lui échappait, la femme continua sa route, se promettant à l'avenir de ne plus aider les petits hommes. Mais, de retour à sa maison, elle remarqua qu'une pièce d'or était accrochée à son tablier. Espérant que les autres flocons d'avoine s'étaient eux aussi transformés en or, elle retourna à l'endroit où elle les avait perdus. Malheureusement, elle ne trouva rien et se repentit longtemps de sa curiosité.

Assiettes des nutons à Anloy

Assiettes des nutons à Anloy.

Le Trou des lutons

Au sud du village de Bras, dans le Bois de Hambeau, une ancienne fosse d'extraction s'ouvre, en partie comblée, le long du ruisseau de la Barrière. C'est le Trou des lutons. Ceux-ci étaient d'adroits chaudronniers. Travaillant tout le jour dans leur officine souterraine, ils voyageaient la nuit et fréquentaient les fermes d'alentour. Ils appréciaient beaucoup les œufs que leur offraient les ménagères comme rénumération de leur travail.

Un jour, une fille de Grupchy (lieu-dit voisin dont le sol recouvre les substructions d'une importante villa gallo-romaine) fut envoyée par sa mère chez les lutons pour y reprendre un chaudron. Mais un nain retint la pauvre fille pour en faire sa femme. De leur union naquirent plusieurs enfants ne portant qu'un seul œil placé au milieu du front.

Quelque temps plus tard, passant près du trou, des bûcherons entendirent des gémissements qui semblaient sortir de terre. Ils avancèrent vers le quartier de roche qui obstruait le trou et reconnurent la voix de la pauvre jeune fille. Armés de leviers, ils firent rouler l'énorme bloc. «Vite, vite, s'écria la prisonnière, le nain ne va pas tarder à rentrer. » Les hommes se hâtèrent de la délivrer. Puis, avant de quitter la caverne, ils disposèrent autour du foyer des coquilles d'œufs contenant chacune une petite bûchette et prirent soin, en sortant, de replacer la grosse pierre sur l'orifice du trou.

Aussitôt après leur départ, le luton arriva. Du bout de son petit doigt, il souleva la roche et pénétra dans son repaire. Là, tout émerveillé devant le petit ménage qui entourait le feu, il s'écria : «J'ai vu Freyr plain champ et Bastogne plain bois, mais je n'ai jamais vu tant de louches mélangeantes!»

La Roche des nutons

A l'est du village de Libin, dans la vallée du Serpont, affluent de la Haute Lomme, un rocher solitaire occupe le bois de Contranhé. Debout au milieu d'un vaste éboulis, on le croirait jailli du sol par une pression formidable. D'après la tradition, cette roche, véritable curiosité géologique, était autrefois habitée par des nutons.

Les gens de Libin venaient volontiers leur confier des chaudrons à rétamer. Les petits hommes se faisaient payer en nature : ils raffolaient des œufs. Se montrant rarement le jour, ils attendaient la nuit pour sortir de leur trou. Devant le rocher, les cendres d'un grand feu témoignaient de leur activité nocturne. Un soir, entre chien et loup, des gens de Libin étaient venus déposer autour de ce foyer une série de coquilles d'œufs, puis s'étaient cachés dans les alentours. A la nuit noire, les nutons surgirent l'un après l'autre, et le plus âgé d'entre eux, apercevant les écales, s'écria : «Quand j'étais jeune, j'ai vu Belègne (lieu-dit circonvoisin alors boisé) plein de campagne, mais jamais autant de petits pots autour du feu!»

Une autre fois, des hommes de Libin qui n'avaient pas froid aux yeux décidèrent de capturer un nuton. Un soir, ils se cachèrent près du rocher et, lorsqu'un nain se hasarda hors du trou, ils fondirent sur lui. Le petit homme était fort, et ses adversaires, malgré leur nombre, eurent bien du mal à le maîtriser. Une fois ligoté, ils le ramenèrent au village. Là, ils enfermèrent le nabot dans la brassine d'une ferme dont la porte de chêne et les barreaux des fenêtres étaient à toute épreuve, puis allèrent se coucher. Mais, le lendemain, quelle ne fut pas leur surprise de constater que le nuton avait filé par une fenêtre, les barreaux de celle-ci n'ayant pu résister à sa force herculéenne.

La Grotte des lutons

Non loin de Hives, à l'endroit où le vallon de Naoufwé rencontre celui de Nabléry, un rocher noirâtre et moussu, troué comme un gruyère, fait mauvaise figure dans le sous-bois. Au pied du rocher s'ouvre une cavité profonde, plus grande que les autres orifices : c'est la Grotte des lutons.

Excellents savetiers, les lutons étaient aussi d'habiles forgerons. Lorsqu'un cheval devait être ferré, son propriétaire venait le soir attacher l'animal à un arbre situé dans le voisinage de la caverne. Le lendemain, il retrouvait son cheval au même endroit, avec les quatre sabots garnis de fers tout neufs. Pour prix de leur travail, les lutons recevaient du beurre, des œufs et du pain.

Un jour, un problème inquiétant se posa dans une famille très respectable de la localité. Depuis des semaines, un luton poursuivait de ses assiduités la fille de la maison. Tous les soirs, à la veillée, le nain venait s'asseoir devant l'âtre flamboyant. La fête du village étant proche, les ménagères préparèrent quelques bonnes tartes aux fruits. De nombreux œufs furent employés à la réalisation de la pâte. La cuisson terminée, les coquilles furent soigneusement disposées en plusieurs ronds concentriques à l'âtre. Dans chacune des écales : un bout de brindille long de deux pouces. Lorsque le nain amoureux se présenta et voulut prendre sa place près du feu, il s'arrêta stupéfié et dit : «J'ai vu Bastogne haut bois, Freyr plain champ, mais je n'ai jamais vu autant de petits pots mélangeants. » Après quoi, il disparut, et jamais personne ne le revit.

Le Trou des nutons

A Givroulle, les nutons habitaient un trou encastré dans la crête rocheuse qui domine, à l'est de la localité, le ruisseau de Givry. Il y a bien longtemps de cela, une nutonne avait changé son bambin avec celui d'une femme du village. Comme l'enfant ne grandissait pas, la villageoise, très inquiète, alla consulter une vieille de sa connaissance, rusée et finaude, qui lui suggéra le stratagème suivant : sous les yeux de l'enfant, accroupie sur le fumier dans une position incongrue, la jeune femme devait, tout en mangeant une tartine, tourner avec un bâtonnet dans des coquilles d'œufs alignées devant elle.

Rentrée à sa maison, la villageoise sortit le berceau devant le fumier et suivit à la lettre le stratagème prescrit. La tartine n'était pas achevée que le bambin s'écria : «C'est ce que je n'ai jamais vu, j'ai vu Freyr plain champ, Bastogne haut bois, mais je n'ai jamais vu autant de petits récipients mélangeants ni de femme qui mangeait et ch...» La villageoise furibonde administra une formidable raclée au petit nuton et réclama son fils.

Le lendemain, au point du jour, un nuton lui ramena l'enfant, lequel avait bien grandi. Quant au changelin, en douce, il avait regagné ses pénates.

Le Trou des nutons à Givroulle

Le Trou des nutons à Givroulle.

Les Nutons du Cheslé de Bérisménil

En amont de La Roche, le Cheslé (de castellum : petit château) de Bérisménil occupe un promontoire rocheux de la vallée de l'Ourthe. Cette vaste fortification, d'une superficie de douze hectares, est datée de l'Age du Fer. On prétend que son puits renferme un trésor. Mais malheur à celui qui le convoite, car il est gardé par des nutons.

Un jour pourtant, deux habitants de Nadrin, bien décidés à s'emparer du trésor, se rendirent au Cheslé à la nuit tombante avec tout le matériel nécessaire à leur besogne. Arrivés près du puits, ils trouvèrent un petit vieillard dont la figure joufflue était toisonnée d'une longue barbe grise. Le nuton leur reprocha leur cupidité, mais attendri par leurs supplications et par la prétendue misère dans laquelle étaient plongées leurs familles, il consentit à les laisser creuser. Le trésor serait à eux à condition toutefois qu'ils achevassent l'opération sans lâcher une parole.

Les deux hommes se mirent donc à l'œuvre et travaillèrent avec une telle ardeur qu'au bout de quelques heures le trésor fut dégagé. C'était une énorme caisse de fer remplie de pièces d'or, et si lourde qu'il fallut l'assistance de l'obligeant nuton pour la hisser au bord du puits. S'apprêtant à la détacher de la corde, l'un des hommes dont les yeux brillaient comme des escarboucles s'écria : «Pour le coup, nous le tenons!» A ces mots, le coffre lui échappa et retomba au fond du puits. Ce ne fut pas le seul châtiment infligé à nos chercheurs de trésors : des mains invisibles les saisirent et les houspillèrent de telle façon, qu'à grand-peine ils purent rentrer chez eux pour se mettre au lit.

La Roche des massotês

A l'ouest de Logbiermé, dans le vallon du ruisseau de Mont-le-Soie, la Roche des massotês, ou Roche Michelot, élève sa masse stratifiée, profondément fissurée, au-dessus d'un bel éboulis. A l'extrémité la moins élevée du rocher, une cavité de bonne dimension-(3 mx3 m), de même que des failles et d'autres anfractuosités servaient d'habitation aux massotês. Ceux-ci étaient d'excellents cordonniers, et les paysans les aimaient autant qu'ils les craignaient.

Tout allait donc pour le mieux entre les deux communautés jusqu'au jour où un massotê s'amouracha d'une jeune villageoise. Durant tout le temps que le nain s'employa à faire sa cour, la famille de la jeune fille s'enrichit mystérieusement. Mais, voulant finalement se débarrasser de son petit amoureux, la fille, à l'arrivée de celui-ci, s'accroupit sur le fumier, une tartine dans la main, et se laissa aller à la plus naturelle des fonctions. La voyant dans cette posture, le massotê, froissé, dit en faisant allusion à la fortune si fraîchement acquise : «Tu es venu épi par épi et tu retourneras gerbe par gerbe.» Quelque temps plus tard, et tout aussi mystérieusement qu'elle s'était enrichie, la famille de la fille redevint pauvre comme Job.



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