Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Légendes de Gaumes et Semois - Frédéric Kiesel

Instruments pour la magie

Les sorciers - le plus souvent - jettent des sorts par la seule pensée. Ils sont assez forts pour cela. Mais il faut faire attention à leurs paroles. «Grommeler» est menaçant, après une aumône refusée.

Mais la magie aime aussi se servir d'objets. Le plus courant symbolise la victime visée. C'est une poupée grossière, plus efficace si tachée d'un peu de sang de la personne, portant un morceau de tissu d'un de ses vêtements ou, très prisées dans les magies de nombreux pays, des rognures d'ongles. On en trouve en Ardenne comme dans le texte du Don Juan de Tirso de Molina. La figurine subit les gifles, avanies ou coups de couteau qu'elle transmet à la personne visée.

Les figurines servent ainsi de «médium» à la magie. Dans une ouverture d'un rocher, aux anciens remparts de Luxembourg, vers Eich, les bougies du «Peter Unruh» (Pierre l'Inquiet) restent populaires. Le Peter en question est, derrière la grille qui le protège, un beau gisant gothique en bois, sévère dans sa courte barbe. L'époux, l'épouse, l'amant, l'amante qui se croient ou se savent trompés font brûler près du «Peter Unruh», qui en a d'ailleurs les pieds carbonisés, une bougie hérissée d'aiguilles. Chaque fois que la flamme brûlante fait sauter une de ces aiguilles, l'infidèle ressent au cœur un vif pincement de remords. Cette pratique superstitieuse, encore utilisée, en principe « pour rire», est connue jusqu'en Gaume.

Le plus étrange des objets de magie rustique, signalé d'ailleurs rarement, est l'os qui rend invisible. À Chairière, un fermier cambriolé malgré une garde vigilante exercée avec son chien, un molosse, était sûr d'avoir été «entchaurné», ensorcelé, empêché de voir, au moyen d'un doigt d'enfant mort-né. Dans la deuxième moitié du siècle dernier, en Bavière et en Rhénanie, ce talisman était si recherché pour devenir invisible, qu'on dut, près de Spire, surveiller un cimetière où il était convoité.

Plus amusant est l'os provenant d'un chat noir. La difficulté était de l'identifier. Après avoir fait bouillir et désossé l'animal, on se plaçait devant un miroir. Il suffisait de prendre en bouche, successivement, tous les os du chat. Lorsqu'on rencontrait l'os magique, on cessait de se voir dans la glace.

Il faut croire que l'expérience n'était pas souvent tentée - ou que tous les chats ne possédaient pas l'os en question. Car, désireux de se rendre invisible, le berger Grosjean de Rochehaut en avait acheté un à un mendiant sorcier (on liait souvent les deux professions: chantage à la peur d'un côté, malveillance de l'autre). Grosjean s'en servit longtemps, content de se rendre invisible, et ses brebis avec lui, quand il les menait hors des prés de Rochehaut: un passant égaré aurait cru avoir la berlue en voyant l'herbe décroître toute seule. Grosjean s'en servait aussi pour des farces: faire voler les chapeaux des bons fermiers ou soulever les jupes des vieilles bigotes au sortir de l'église. Il n'était pas mauvais homme, et ne se serait pas servi de l'osselet pour commettre un vol dans l'impunité. Tout au plus vidait-il, invisible, une chope dans un café, pour inquiéter les clients, qui, alors, se disaient: «Je suis vraiment plus saoul que je le croyais.»

La magie, c'est amusant pendant quelque temps. Mais, à la longue, on comprend que cela dérange quelque chose, sur terre et dans le ciel. Grosjean n'osait plus se regarder dans un miroir quand il redevenait visible. Il ne savait pas très bien dans quel état il sortait du monde que l'on ne voit pas. Il avait l'impression d'être à côté de ses sabots.
- Un de ces jours, je resterai invisible pour de bon, se dit-il. Je serai Grosjean comme devant, mais seul le diable me dira encore bonjour. Je vais me débarrasser de l'osselet.

Il alla chez les ouvriers de la brasserie banale, comme il y en avait un peu partout, brassant la bière de ménage.
- Cassez-moi cet os-là en mille morceaux, et jetez-le au feu, leur demanda-t-il. C'est ce qu'ils firent. Peine perdue. Le lendemain, le talisman était revenu dans sa poche.

Cette fois, il fut vraiment anxieux. Il prit son bâton et sa besace pour aller à Charleville consulter un gromancien (un contre-sorcier). Ce vieil homme sage, expert en grimoires, lui dit:
- Tu n'en seras débarrassé que si tu le vends à un prix supérieur à celui que tu as payé. Et ton acheteur n'en sera quitte que de la même façon, et ainsi de suite.

Grosjean trouva un amateur, un bûcheron, qui accepta le marché, prévenu de la façon de refiler l'osselet à un autre mauvais drôle. Mais il ne trouva pourtant pas la paix. Était-ce le remords d'avoir dérangé l'ordre divin pendant quelques mois ou l'idée du talisman en balade qui continuait à jeter le trouble on ne sait où? Gros jean, le cœur lourd et le corps léger, car il dépérissait à vue d'œil, alla trouver un prêtre connu comme expert en confessions difficiles: sage, instruit en sciences mystérieuses et ne se fâchant pas:
- Mon fils, pour casser le sortilège, tu te rendras chaque nuit, pendant un an, à la chapelle d'Oisy. Tu te mettras en route à minuit, et tu ne te retourneras jamais, quel que soit le vacarme que tu entendras derrière toi.

C'est ce que fit Grosjean, sans manquer une nuit. Il en eut du mérite car, à chaque fois, un tintamarre infernal le suivait. Mais sachant qu'il ne faut pas se retourner vers les Enfers, il fut plus heureux qu'Orphée.

Ayant chaque fois les cheveux qui se dressaient sur la tête, il arriva au bout de son épreuve, et acheva paisiblement sa vie, le chef couronné de neige et le cerveau lavé de pensées noires.

Le docteur Delogne, à qui ce récit fut confié, le compare à ce que les frères Grimm rapportent au sujet d'un autre talisman: une petite bouteille contenant un esprit familier, qui procure toutes sortes d'avantages. Celui qui le conserve jusqu'à sa mort doit descendre avec lui aux Enfers. Il ne peut s'en délivrer qu'en le revendant, à l'inverse du conte de Rochehaut, à un prix inférieur. Ainsi l'esprit est sûr d'emmener quelqu'un chez Satan: l'acheteur l'a payé avec la plus petite pièce de monnaie ayant cours.




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