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Légendes carlovingiennes
La famille de Charlemagne
et ses descendants
CHAPITRE XXX
Compiègne la ville de Charles
Ce fut peut-être pour faire diversion à ses ennuis et sans doute aussi pour satisfaire ses goûts fastueux que Charles le Chauve édifia Compiègne.
Nous dirons d'abord un mot de ses chagrins domestiques, — car ses faits d'armes et ses entreprises ne sont pas de notre domaine.
En ce temps fut le roy Charles en grant peine et calamité de ses enfans.
Monnaie de Charles le Chauve.
Outre Louis le Bègue qui lui succéda, Charles le Chauve eut plusieurs autres fils.
Carloman entra dans les ordres, il fut diacre et pourvu de plusieurs églises et abbayes. Au lieu de se conduire en bon père vis-à-vis de ses clercs et de ses moines, il leur fit plusieurs griefz et oppressions. Les choses allèrent si loin que le roi, indigné, le fit arrêter et mettre en prison. Mais ce jeune brouillon avait des partisans parmi les grands seigneurs, et grâce à eux il trouva moyen de s'évader. Le roi, voulant le gagner par la douceur, lui fit dire de se rendre sans crainte auprès de sa personne ; mais le rebelle ne fut pas plus touché de la bonté du père que de la sévérité du souverain, et il refusa d'obéir.
Alors Charles entra dans une grande colère contre ce fils ingrat et dénaturé, il parvint à s'emparer de lui, et, n'écoutant plus que son courroux, il lui fit crever les yeux et l'enferma, pour le reste de ses jours, dans le monastère de Corbie.
Un autre se nommait Julien, et sans doute pour réaliser ce que ce nom malheureux semblait pronostiquer..... Apostata effectus erat... Un prince du sang de France apostat !... quelle honte et quelle douleur pour le cœur de Charles !
Enfin des malheurs inouïs semblaient poursuivre le pauvre roi : un troisième fils, qui s'appelait Charles, finit d'une façon tragique. Jeune et bouillant, sans calculer les suites d'une plaisanterie, il surprit un chevalier nommé Albuyn et le saisit tout à coup par derrière. Albuyn, qui avait sans doute des ennemis, s'imagina qu'on l'attaquait : alors, cuydant que ce fust quelque ung qui le voulsist oultrager, il tira vivement sa dague et, sans se retourner, il la plongea dans le corps de l'infortuné jeune prince, qui expira aussitôt.
Le désespoir du malheureux chevalier fut profond, mais plus profond encore celui du monarque déjà si éprouvé dans ses enfants.
Charles le Chauve, au milieu de ses chagrins, de ses guerres aux succès si divers et de ses ambitieux projets, trouva cependant le moyen de s'occuper des lettres. Il était très savant lui-même et favorisait les savants et les poètes. Il en attira de l'étranger dans ses États : il en vint de la Grèce et de l'Asie s'établir près de lui, et il les comblait de récompenses et d'honneurs.
Il aimait les travaux d'art et les somptueuses demeures. C'est lui qui bâtit Compiègne (1). Il commença les travaux en 876. Il voulait en faire une magnifique résidence qui rivalisât de splendeur avec la capitale de l'empire d'Orient. Il la fist édiffier à la semblance, au plus près qu'il peut, de celle de Constantinoble..... C'était un peu présomptueux de sa part et Compiègne n'a jamais été bien près de la splendeur de Constantinoble... enfin Charles avait cette prétention et il nomma la nouvelle cité de son nom, Carnopolim (ou plutôt Carlopolim), la ville de Charles. Il y fonda l'abbaye de Notre-Dame à présent dicte Sainct-Cornille, et y construisit deux superbes châteaux.
Il y a dans ce prince un mélange de grandeur et de faiblesse ou, si l'on veut, de grandes aspirations, des vues d'ambition et de grandeur qu'il n'était pas capable de réaliser. Cette figure historique attriste.
Ses malheurs, du reste, furent couronnés, si l'on peut s'exprimer ainsi, par un dernier malheur. En revenant d'Italie en France luy print une maladie de fièure. De luy estoit moult accointé ung juif qui Sedechias estoit appelé et estoit son médecin; une poudre lui bailla à boire en laquelle l’on dit, avoit poisons et luy faisoit entendant qu'elle le guériroit. Tantost qu'il l'eut beue, il se pasma et esvanouyt et perdit tout appétit. En cette manière passa les mons iusques près de Verseil en ung lieu qui a nom Nantua (2) qui est près d'ung lac, entre les montaignes qui séparent France et Lombardie. A l’Emperïere Rixant (Richilde] sa femme qui estoit en la Moriane, entre les montaignes, manda qu'elle allast à luy. Tantost qu'elle fut devers luy arrivée, il trépassa.
On ouvrit son corps et on l'embauma, mais il paraît que les embaumeurs n'étaient pas très habiles, car bientôt il commença à fleirer mal, parquoy ils l'enterrèrent en la cité de Verseil, dans l’église de Sainct-Eusèbe, où il resta sept ans, alors son fils Louis le Balbe fist apporter ses ossements à Sainct-Denys.
Le 18 octobre 1793, les profanateurs des tombes royales de Saint-Denis ouvrirent, au milieu du chœur, le sépulcre de Charles le Chauve. « On n'a trouvé, bien avant dans la terre, qu'une espèce d'auge en pierre, dans laquelle était un petit coffre qui contenait le reste de ses cendres. Il était mort de poison, en deçà du mont Cenis, sur les confins de la Savoie, dans une chaumière du village de Brios, à son retour de Rome. Son corps fut mis en dépôt au prieuré de Mantui, du diocèse de Dijon, d'où il fut transporté, sept ans après, à Saint-Denis. »
Le 7 ou le 8 du mois d'août précédent, on avait trouvé, à Saint-Denis, le tombeau en pierre de la reine Hermentrude, la première épouse de Charles le Chauve.
- En réalité Compiègne existait dès le temps des Gaulois, mais il est vrai qu'elle dut à Charles le Chauve une extension et une importance bien plus grandes.
- On dit généralement en un lieu nommé Brios, dans les Alpes. On a peut-être dit à Nantua parce qu'on a confondu ce nom avec Mantui, où Charles fut d'abord enterré.
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