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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XXI

Jeunes Prélats

I

Les papes avaient consenti à la nomination des évêques par les rois de France, en se réservant, bien entendu, la vraie nomination, c'est-à-dire l'institution canonique, à peu de chose près comme aujourd’hui. Charlemagne usait de cette faculté, il désignait ainsi, suivant son bon plaisir, les chefs des diocèses ; mais, sur la fin de son règne, considérant les abus qu'il pouvait y avoir et qu'il y avait en effet, il rendit au clergé et au peuple l'élection des évêques, faisant seulement présider les assemblées électives par ses commissaires royaux.

Il avait bien, il est vrai, tâché de préparer par une bonne éducation, dans les écoles fondées par, lui, les candidats à ces saintes et graves fonctions.

Nous avons vu que les deux vendeurs de science avaient été préposés : Jean Mailors à l'école de Pavie, et Clément à celle de son palais.

De retour après une longue absence, Charles voulut juger des progrès qu’on avait faits dans cette dernière école. Il se fit amener les élèves et les mit en demeure de donner un spécimen de leur savoir.

Il y avait dans les écoles, si vous vous souvenez de ce que nous avons dit au chapitre XVIIIe, des jeunes gens de tout rang. Or ceux de basse ou moyenne condition répondirent parfaitement et dépassèrent les espérances du roi; au contraire, les fils des nobles ne lui offrirent que médiocrité.

Alors Charles fit placer les premiers à sa droite, les seconds à sa gauche; c'était comme au jugement dernier, et lui, juge impartial, s'adressa à ceux de droite:
« Louange à vous, mes fils, d'avoir si bien secondé mon zèle. Appliquez-vous à vous perfectionner, et je vous donnerai de riches évêchés, de magnifiques abbayes, et je songerai toujours à vous. »

Se tournant ensuite vers ceux placés à gauche, il leur dit d'un air irrité et d'une voix tonnante :
« Quant à vous nobliaux, délicats et tous gentils, qui fiers de votre naissance, négligez mes ordres et préférez à la gloire de l’étude la mollesse, le jeu, l’oisiveté, les occupations frivoles, oui, — et Charles fit un geste terrifiant, — oui, par le Roi du ciel! vous admire qui veut. Pour moi, je ne fais pas le moindre cas de votre naissance et de votre beauté ; sachez que si vous ne vous hâtez pas de réparer le temps perdu par une application constante, jamais vous n'obtiendrez rien de Charles. » La réprimande porta-t-elle ses fruits ?

II

Malgré tout le soin qu'il y apportait, ce choix des évêques par le prince était parfois assez étrange, comme nous allons le voir par les deux anecdotes suivantes. Laissons-leur toute leur saveur, en donnant ici le naïf récit du bon moine de Saint-Gall.

« Charlemagne fit l'un des élèves de l'école de son palais, qui était pauvre, chef et écrivain de la chapelle. Un jour qu'on annonça la mort d'un certain évêque au très prudent Charles, il demanda si ce prélat avait envoyé devant lui, dans l'autre monde, quelque portion de ses biens et du fruit de ses travaux. « Pas plus de deux livres d'argent, seigneur, » répondit le messager. Le jeune homme dont il s'agit, ne pouvant contenir dans son sein la vivacité de son esprit, s'écria malgré lui, en présence du roi :

« Voilà un bien léger viatique pour un voyage si grand et de si longue durée ! » Après avoir délibéré quelques instants en lui-même, Charles, le plus prudent des hommes, dit au jeune élève : «Qu'en penses-tu ? Si je te donnais cet évêché, aurais-tu soin de faire de plus considérables provisions pour ce long voyage? » L'autre, se hâtant de dévorer ces sages paroles comme des raisins mûrs avant le terme et qui seraient tombés dans sa bouche entr’ouverte, se précipita aux pieds de son maître, et répondit : « Seigneur, c’est à la volonté de Dieu et à votre puissance à en décider. Cache-toi, reprit le roi, sous le rideau tiré derrière moi, et tu apprendras combien tu as de rivaux pour ce poste honorable. »

Dès que la mort de l'évêque fut connue, les officiers du palais, toujours prêts à épier les malheurs ou tout au moins le trépas d'autrui, impatients de tout retard, et s'enviant les uns les autres, firent agir, pour obtenir l'évêché, les familiers de l’empereur. Mais celui-ci, ferme dans son dessein, les refusa tous, disant qu'il ne voulait pas manquer de parole à son jeune homme.

À la fin la reine Hildegarde envoya les grands du royaume, et vint ensuite elle-même solliciter cet évêché pour son propre clerc. Le roi reçut la demande de l'air le plus gracieux, assura qu'il ne pouvait ni ne voulait lui rien refuser, mais ajouta qu'il ne se pardonnerait pas de tromper son jeune clerc. A la manière de toutes les femmes, quand elles prétendent faire prédominer leurs désires et leurs idées sur la volonté de leurs maris, la reine dissimulant sa colère, adoucissant sa voix naturellement forte, et s'efforçant d'amollir, par des caresses, l'âme inébranlable de Charles, lui dit : « Cher prince, mon seigneur, pourquoi perdre cet évêché en le donnant à un tel enfant? Je vous en conjure, mon aimable maître, vous ma gloire et mon appui, accordez-le a mon clerc, votre serviteur dévoué.»

A ces paroles, le jeune homme, à qui Charles avait enjoint de se placer derrière le rideau auprès duquel lui-même était assis, et d'écouter les prières que chacun ferait, s'écria d'un ton lamentable, mais sans quitter le rideau qui l'enveloppait : « Seigneur roi, tiens ferme; ne souffre pas que personne arrache de tes mains la puissance que Dieu t'a donnée. »

Alors ce prince, ami courageux de la vérité, ordonna à son clerc de se montrer et lui dit : « Reçois cet évêché ; mais apporte tes soins les plus empressés à envoyer devant moi et devant toi-même, dans l'autre monde, de grandes aumônes et un bon viatique pour le long voyage dont on ne revient pas. »

III

Enfin, le moine de Saint-Gall raconte un autre petit fait amusant et original.

Un autre prélat étant mort, Charles lui donna pour successeur un certain jeune homme. Celui-ci, content, se préparait à partir. Ses serviteurs lui amenèrent, comme il convenait à la gravité épiscopale un cheval qui n'avait rien de fringant, et lui préparèrent un escabeau pour se mettre en selle. Indigné qu'on le traitât comme un infirme, il s'élança de terre sur sa bête si vivement, qu'il eut grande peine à se retenir et à ne pas tomber de l’autre côté. Le roi voyant ce qui se passait de la balustrade du palais, fit appeler cet homme, et lui dit: « Mon brave, tu es vif, agile, prompt, et tu as bon pied. La tranquillité de notre empire est, tu le sais, sans cesse troublée par une multitude de guerres ; nous avons besoin, dans notre suite, d'un clerc tel que toi. Reste donc pour être le compagnon de nos fatigues, puisque tu peux monter si lestement à cheval. »

J’en connais qui n'auraient pas manqué leur évêché, en pareille circonstance, qui n’auraient pas, et pour cause, dédaigné l'escabeau, voire même une échelle.



Chapitre XXII : Le pouce du Diable.
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