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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XV

Saint Denis apparaît à Charlemagne

Ces choses faictes, Charlemaigne quy estoit moult afloibly, tant pour les travaulx qu'il avait prins que pour le dueil et ennuy qu'il avoit de Roland, partit de Laon et s'en alla en Dauphiné, accompagné de l'archevêque de Reims. Turpin s'arrêta à Vienne, où il demeura presque mourant par suite des coups et des blessures qu'il avait reçus. Charlemagne se sépara de lui et vint à Paris.

Là il s'occupa de faire réunir, à Saint-Denis, un concile d'évêques et de prélats. Au milieu d'eux, il remercia Dieu des insignes faveurs qu'il en avait reçues et de l'assistance que la divine bonté lui avait accordée dans sa dernière expédition d'Espagne, reconnaissant que c'était au Tout-Puissant qu'il devait d'avoir pu humilier et subjuguer les infidèles. Il donna d'abord à la basilique des Saints Martyrs quatre besans d'or(1) pour affirmer et reconnaître que c'était de Dieu seul et de saint Denis qu'il tenait le royaume de France; puis il enrichit le trésor de vases précieux et de pierreries, il conféra à l'église de grands privilèges et la juridiction sur toute l'étendue du royaume. Il imposa à tout propriétaire l'obligation de payer quatre deniers par an pour la reconstruction du saint temple. Bien plus, il affranchit les serfs qui payeraient volontairement la même somme de quatre deniers pour le même objet.

Ces royales libéralités accomplies, le grand empereur alla se prosterner devant la châsse contenant le corps de saint Denis et il pria avec grande ferveur. Il pria d'abord pour le salut de ceux qui concoureraient de bon cœur à l'œuvre sainte de l'embellissement de la basilique, puis pour l'âme de Roland, des chevaliers, des soldats qui avaient péri en Espagne, où ils avaient exposé leur vie afin d'anéantir la puissance du Croissant et de conquérir la palme du martyre.

La nuit suivante, Charlemagne sommeillait paisiblement dans un appartement de l'abbaye, or il eut un songe ou plutôt une sainte vision ; il lui semblait qu'il était encore dans la basilique devant le chœur. Un bruit soudain part des châsses des grands martyrs, les châsses s'ouvrent et il en voit sortir saint Denis, accompagné de saint Rustique et de saint Éleuthère. Les saints s'avancent vers le roi émerveillé. Saint Denis paraissait revêtu d'une tunique cramoisi-violet, recouverte d'un rochet de fin lin parfilé d'or; par-dessus il portait une chape couleur d'azur avec mille broderies d'argent. Une mitre de satin rouge, semée de pierres précieuses, ornait sa tête; il s'appuyait sur son bâton pastoral ; sa crosse d'or recourbée en haut en forme de colombe, émaillée d'argent avec des raies d’émail noir. Les deux autres saints portaient de tuniques bleues, des aubes avec des fines broderies et des dalmatiques de soir écarlate.

Charles admirait ce beau spectacle et quand les saints ce furent approchés, il' se prosterna en joignant les mains et en répétant plusieurs fois : Sancti Martyres, orate pro nobis.

Saint Denis le visage souriant, bénit le pieux monarque en faisant au-dessus de sa tête le signe de la Croix ; puis, d'une voix grave, mélodieuse et douce, il lui dit :

« Tu as bien mérité de Dieu et de nous, le Sauveur m’envoie vers toi avec des paroles d'encouragement et d'amour. 0 roi des Francs, tu as agi avec vigueur, tu as combattu pour la foi, tu as vaincu les Sarrasins, et ton expédition finie, au lieu d’aller aussitôt chercher le repos dans ton palais, malgré la douleur que t'a fait éprouver la perte de ton neveu, tu es venu ici, à mon tombeau ; tu as répandu de nouvelles largesses sur mon temple et sur cette maison religieuse ; tu as voulu même assurer sa prospérité à venir par les avantages dont tu as doté ceux qui, maintenant et dans suite des âges, soutiendront la splendeur de Saint-Denis par leurs aumônes. Dieu a été touché de tes sentiments et de tes actes; il veut t'en récompenser. — Sache donc que j'ai obtenu du Très-Haut, pardon pour tous ceux qui suivront ton exemple, pour quiconque ira combattre les Sarrasins. Pas de plus sûr moyen pour obtenir la rémission de ses péchés passés et la persévérance dans la grâce que de prendre les armes contre ces infidèles. Dieu promet aussi la guérison de leurs blessures à tous ceux qui contribueront de leurs deniers à l'achèvement et à l'embellissement de cette sainte basilique. »

Alors saint Denis étend encore la main sur la tête du roi pour le bénir, et tandis que Charles, toujours prosterné, remercie avec effusion et abondance de larmes, les saints reprennent le chemin des reliquaires et disparaissent, en laissant les parvis tout embaumés de l'odeur la plus suave.

Le lendemain, Charles, comme c'était son devoir, s'empressa de raconter son étonnante vision.

Dès qu'on sut ce qui avait été dit au roi par saint Denis, on accourut en foule à l'église, et ceux qui vinrent ainsi spontanément présenter leur offrande furent appelés Francs de saint Denis, car, suivant la volonté du roi, ils étaient affranchis de toute servitude.

C'est de ce moment, disent les légendaires, que cette terre, ce royaume sur lequel s'étendait, comme nous l'avons déjà vu, la juridiction de saint Denis, mua son nom de Gaule en celuy de France, c'est-à-dire terre libre du servage.

  1. En numismatique, le besant est une pièce byzantine d'or ou d'argent. Le terme était souvent employé en Occident (« besant d'or ») pour désigner le solidus, sou d'or de 4,48 grammes appelé aussi hyperpère ou hyperpérion. Besant est l’abréviation de Byzantius nummus, c’est-à-dire monnaie de Byzance.


Chapitre XVI : Les fils et les filles.
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