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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XI

Plaintes de Charlemagne sur la mort de Roland

Les troupes avançaient à grands pas ; Charles marchait le premier entouré de leudes ; il gardait le silence, et personne, autour de lui, n'osait le rompre. Quand le grand rocher de Marboré apparut dans la vallée, l'empereur enfonça les éperons dans les flancs de son coursier et arriva le premier au pied de la roche.

Hélas! tout espoir est perdu. Roland est étendu sans vie sur le gazon au pied du grand arbre, les bras en croix, sur la poitrine. Ses traits ont la pâleur ce la mort, mais ils ne sont pas décomposés : Ils ont cette quiétude, cette paix qui semblent comme le cachet de la sainteté laissé par l'âme du prédestiné en quittant son enveloppe mortelle.

Charlemagne jeta un grand cri, se précipita de cheval, et, les bras tendus, il courut vers son héroïque neveu. Il se laissa cheoir sur Iuy, et par moult de fois le baisa, et moult griefvement commença à plorer et gémir.

Tous les chefs, tous les leudes se pressaient autour de lui, pleurant et gémissant comme lui. La douleur du prince ne connaissait plus de bornes, et la majesté du roi disparaissait devant le désespoir de l'homme et du père. Charles poussait des soupirs, des gémissements et même des rugissements de colère infinis. Il se tordait les mains, se déchirait le visage avec ses ongles, s'arrachait les cheveux et la barbe ; il appelait Roland comme s'il eût pu l'entendre, maudissait les traîtres, menaçait d’extermination les Sarrasins. Personne ne pouvait le calmer ou le consoler. Quand enfin il fut revenu à un peu de calme, quand il put parler autrement que par interjections indignées et phrases entrecoupées, il invoqua le ciel, demandant à grands cris la mort, priant Dieu de ne pas le laisser survivre à un neveu si cher, à un ami si dévoué ; puis il s’écria :

« O Roland, mon doux neveu, bras droit de ma puissance, honneur de la France, épée de justice, prouesse égale à Judas Machabée, semblable à Samson le fort, comparable à Saül et à Jonathas, par fortune de mort en bataille, chevalier très sage et très aimé, défenseur des chrétiens, destructeur de la gent sarrasine, lignée royale, guide et conduicte des ostz et batailles, défenseur des veuves et des orphelins, sage en jugement, pourquoi t'ai-je amené dans ces contrées? pourquoi ne suis-je mort avec toi?... Tous les jours de ma vie je devrai pleurer ta grande âme, bien qu'elle soit avec les anges et en la compagnie des saints martyrs. »

Tout le monde sanglotait; les leudes engagèrent le roi à se soumettre à la volonté de Dieu et à prendre quelque repos, car le jour tirait à sa fin, les ombres descendaient sur ces lieux témoins d'un si grand désastre. Le silence de la nuit et celui de la mort s'étendaient sur l'armée, du milieu de laquelle s'élevait à peine le faible bruit de quelques paroles échangées à voix basse.

Charles fit dresser là ses pavillons, il ne put goûter à aucun mets, et, au lieu de dormir quelques heures, il s'occupa de faire embaumer le corps du héros avec de la myrrhe et de l'aloès. Richement paré, revêtu de son armure, le corps fut déposé sur un brancard orné de feuillage et de fleurs ; on fit brûler autour l'encens et les parfums ; les prêtres étaient là, priant et psalmodiant les matines des morts. Des nuées de vapeurs embaumées montaient vers le ciel, une infinité de flambeaux et de torches, de grands feux allumés sur la lisière des bois, projetaient leurs reflets sous les rameaux des arbres et sur les flancs brillants des rochers. Ainsi se passa la nuit presque entière ; vers la fin chacun put reposer un peu, et Charles s'efforça, mais en vain, sous sa tente, d'oublier, par quelques instants de sommeil, ses cuisantes douleurs.

On était impatient de retrouver les morts.

Quelques guerriers et des prêtres restèrent autour du corps de Roland, et dès l'aube on se mit en devoir d'aller, en armes, jusqu'au lieu du combat à Roncevaux. L'aurore teignait le firmament, bientôt les premiers rayons du soleil illuminèrent les cimes couronnées de neige des plus hautes montagnes. Le ciel azuré, la fraîche brise, le chant des oiseaux, les teintes rosés de la lumière matinale sur les feuillages et les flancs des collines, semblaient faire de ce jour un jour de fête..... et c'était un jour de deuil : il allait éclairer le champ du carnage et les cadavres mutilés des chrétiens.

Au bout du pré, non loin de l'endroit où avait expiré Roland, le premier qu'on trouva mort ce fut le noble et vaillant Olivier. Spectacle épouvantable et qui arracha des larmes à Charlemagne et à tous les siens !... Olivier était à terre étendu en croix, étroitement lié de fortes cordes attachées à des pieux fichés en terre. Les barbares l'avaient écorché depuis la tête jusqu'aux ongles des pieds et des mains, avec des couteaux très aigus. Tout son corps était percé de coups de lance et d'épée, hérissé de flèches, broyé avec des bâtons et des masses de fer. L’histoire dit que Roland le veit mourir, quy fust une chose où il eust moult de regret pour ce qu'il ne le povoit rescourre.

Puis les guerriers se dispersèrent, courant dans le val de Roncevaux à la recherche de leurs parents, de leurs amis. La terre au loin était couverte de sang et de débris d'armures, jonchée de cadavres ou de blessés dont la plupart étaient près d'expirer. On trouva là une multitude de princes, de nobles chevaliers, et c'était pitié d'entendre les cris et les lamentations des guerriers retrouvant, parmi les morts, des frères, des fils, des neveux, des cousins, d'intimes amis. Car tous ieunes bacheliers françois qui désiroient valoir et paruenir à honneur, suyvoient Roland pour la grant proesse et cheualerie qui estoit en luy.

On recueillit, entre autres, les corps d'Egyhard, grand maître d'hôtel du roi, et d'Anselme, comte du palais (1).

Le deuil, le désespoir, la pâleur, les adieux déchirants, les cris de douleur, les pleurs remplissaient la vallée et les bois; chacun versait des larmes sur un ami ou un frère et sur tous les compagnons d'armes.

Charlemagne, les yeux rougis par les pleurs, contemplait en silence cette triste scène. Puis tout à coup, en face du cadavre d'Olivier, tirant sa redoutable épée et l'élevant vers le ciel, il jura, par le Dieu tout-puissant, qu'il allait poursuivre les païens et qu'il ne cesserait de leur courir sus jusqu'à ce qu'il les eût remontrés et tous détruits.

  1. Eginhard — Vita Caroli Magni chap. XI.


Chapitre XII : Le soleil s'arrête trois jours.
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