Accueil --> Liste des légendes --> Chapitre 12.


Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XII

Le soleil s'arrête trois jours

VISITE A MARBORÉ

Au son des trompes tous les guerriers accourent autour du roi et reformèrent leurs rangs.

Avertis par tout ce bruit et par les récits de leurs éclaireurs, les Sarrasins avaient commencé à fuir et à mettre le plus de distance possible entre eux et le gros de l'armée franque qui allait les poursuivre. Ils ne s'arrêtèrent et ne se crurent assez loin et en sûreté que sur les bords de l’Ebre. Ils pensaient que la nuit arrêterait la marche de Charlemagne.

En effet, l'armée franque avançait vivement, mais elle n'avait pas encore aperçu l'ennemi. Le soleil était déjà au plus haut de sa course, et, selon toute apparence, on ne pourrait atteindre ce jour-là les Sarrasins, qui auraient le temps de se dérober et de courir plus loin, grâce aux ténèbres.

Mais Dieu se déclara en faveur de Charles et voulut lui donner le temps de punir la félonie des mécréants, de leur infliger une éclatante défaite. Le soleil s'arrêta immobile au haut du firmament, à ce point précis où il brille à midi. Des acclamations et des actions de grâces s'élevaient de tous les rangs des bataillons franks lorsqu'on s'aperçut du prodige. Le soleil ne bougeait plus et les heures lumineuses se succédaient sans lin : pendant l'espace de trois jours les rayons de l'astre éclairèrent la marche de Charles et le brillant combat qui eut lieu.

Car on aperçut enfin l'ennemi. Il était campé non loin de Saragosse, sur les bords de l'Ebre. L'armée chrétienne fondit comme un torrent, du haut des collines, sur les Sarrasins. Ne croyant plus sans doute être poursuivis, ils étaient sans défiance, étendus sur l'herbe, prenant joyeusement leur repas. A la vue des colonnes franques, c'est à peine s'ils eurent le temps de s'armer à la hâte, à peine s'ils purent reformer leurs rangs. Ils ne se défendirent que mollement, ils étaient découragés, le ciel se déclarait évidemment contre eux, puisqu'il n'y avait plus de nuit. Le combat ne dura guère et la fuite commença. Cependant il y eut lutte, plusieurs des chrétiens s'en aperçurent, entre autres l'archevêque Turpin, qui, ne s'épargnant pas plus que les autres, reçut bien des coups et de rudes blessures.

Enfin les Sarrasins furent écrasés, taillés en pièces, égorgés; les rives de l'Ebre furent teintes de sang. Ceux qui essayèrent d’échapper, en se jetant dans les eaux du fleuve, y trouvèrent la mort; trente mille infidèles furent ainsi anéantis. Charlemagne tua de sa main le roi maure, le perfide Belligant, il s’empara de Saragosse, qui ne fit pas de résistance, et soumit tout le pays d’alentour.

Ce fut l'affaire d'un jour, d'un jour, il est vrai, de soixante-douze heures. Alors l'armée victorieuse reprit le chemin de Roncevaux.

Là on ramassa les morts et les blessés. On transporta dans les chariots ceux qui vivaient encore, on mit sur des brancards les cadavres des défunts et l'on retourna à l'endroit où était le corps de Roland, dans la prairie que domine la tour de Marboré.

II

Arrêtons-nous un instant dans ce lieu célèbre, et, avec un voyageur contemporain, évoquons les souvenirs, contemplons cette vallée, ces cascades, ces monts fameux, cette nature grandiose des sites pyrénéens.

« Je me propose de vous parler du cirque et de la cascade de Marboré.

« Après cinq heures de marche à travers la gorge de Gavarnie, au sein d'une nature tour à tour riante et sévère, gracieuse et sauvage, le petit vallon tant désiré se montra devant nous. Arrivés aux premières maisons du village, nous remarquâmes en passant la cascade que forme le torrent sous le pont Barigny ; l'eau s'engouffre en mugissant au milieu des rocs dont son lit est hérissé. Ailleurs nous nous serions arrêtés plus longtemps à contempler ce spectacle, mais des tableaux d'un autre ordre nous appelaient à Gavarnie. Le cirque du Marboré, la grande cascade, les magnifiques phénomènes de la nature étaient à quelques pas de là, tout prêts à se déployer à nos yeux. Nous allons voir tout un monde de merveilles, nous étions ivres de joie. Le ciel, sans être rayonnant, brillait derrière nous d'un éclat assez pur ; l'horizon naguère menaçant semblait s'être éclairci... Nous gravissons le monticule qui surgit à l'entrée du village et nous levons les yeux : quelle est notre surprise ! Au levant se dresse devant nous un fantôme gigantesque; mais ce fantôme est voilé d'un manteau de brouillards. C'est le cirque du Marboré!.,. Près de nous passe un paysan, nous lui demandons si le brouillard restera toute la journée sur l'amphithéâtre: Quelquefois, nous répondit-il, dans la belle saison, le nuage se dissipe au souffle du vent d'Espagne ; nous ne devons pas désespérer encore.

En effet, nous jetons les yeux sur le cirque : il commence à se dessiner un peu. Le vent d'Espagne se lève, le nuage agité rampe sur les gradins de l'amphithéâtre, la cascade se présente comme une longue traînée d'écume, les glaciers du Marboré font étinceler leurs galeries bleuâtres, le mont Perdu lui-même montre son front ; la toile tombe, la scène ; s'ouvre avec tout son panorama de prodiges : le brouillard a disparu. Nous assistons au réveil d'un nouveau monde !

« Le Marboré semble à deux pas de Gavarnie. Son élévation trompe la vue. Du village au cirque il n’y a pas moins d'une heure et demie de trajet. Nous laissâmes à notre droite le chemin du port d’Espagne, et, nous enfonçant dans la prairie qui se dirige à l’est, vis-à-vis l'amphithéâtre, nous nous mîmes à côtoyer le torrent de la cascade. Après avoir passé le petit pont qui joint les deux rives à l’extrémité de la plaine, nous entrâmes dans un bassin assez spacieux et couvert de verdure. On y remarque ça et là quelques fragments de rochers, triste empreinte des déchirements dont ce lieu fut jadis le théâtre. C'est ici qu'on laisse ordinairement ses chevaux sous la garde de quelque enfant de Gavarnie. Au sortir du bassin, on monte le long d’un sentier pénible, rocailleux, dont les zig zags multipliés finissent par fatiguer le voyageur. L’amphithéâtre qu'on avait perdu de vue au fond du plateau, commence à reparaître et même, à vrai , c'est là qu'il se dessine bien.

« Sur la rive gauche du torrent se présente une montagne secondaire, qui de loin masque l'ouverture de l'amphithéâtre et qu'on prendrait aisément pour le premier étage du Marboré. Elle faisait autrefois partie de la niasse que traverse à présent le sentier de la cascade. L'enceinte du cirque était alors fermée de toutes parts. Ce fut à la suite de quelque grande révolution de la nature que ce mont se brisa, que la barrière qui retenait captives les eaux du lac, se rompit. Les flots, libres d'entraves, profitèrent de cette issue et s'y creusèrent un lit; le lac fit dès lors place au torrent. Près de sa base, cette montagne vous offre une ceinture d'arbustes et de pelouse, et de là jusqu'à sa cime, une masse entièrement nue ; des sapins rabougris couvrent son front... Enfin... nous arrivâmes dans l'enceinte de l'amphithéâtre, au centre du bassin.

« Remarquez ce vieux pic qui se tient accroupi sur le couronnement du Marboré ! Sentinelle silencieuse au sommet de sa tour, le mont Perdu a l'air de se pencher vers l'Espagne, comme s'il attendait l'arrivée d'un nouveau preux. Car ces lieux, tout solitaires que vous -tes voyez, ont eu leurs jours de combat : ces lieux ont été témoins de grands coups d'épée, de beaux faits d'armes. Ils ont vu des armées se battre à leurs pieds, ils ont vu le neveu de Charlemagne, l'invincible Roland, voler comme la foudre avec son palefroi sur la crête voisine et y laisser, comme monument impérissable, l'empreinte glorieuse de son passage. une nature aussi extraordinaire il fallait des actions extraordinaires , des prodiges d'intrépidité et d'héroïsme, des souvenirs merveilleux; il fallait que le prince des paladins vînt franchir en courant ces cimes orgueilleuses», tes pourfendît de son épée, et qu'un jour, à l'aspect du Marboré, de la cascade et du mont Perdu, le voyageur pût dire encore : Voici la brèche de Roland!

« Lorsqu'on se place au centre du bassin, le Marboré vous présente cinq étages ; vous apercevez sur toutes ces galeries différents blocs de neige, à peu de distance les uns des autres. Quant à la cascade, elle ne dépare point le cadre qui l'environne : elle tombe de douze cents pieds de hauteur. C’est la plus belle cascade de l'Europe, si l'on considère l'espace qu'elle parcourt dans sa chute...

«La cascade se brise à douze pieds de sa course et se traîne ensuite sur la rapide inclinaison du rocher qui lui sert de lit; en heurtant contre ses aspérités, elle rejaillit en pluie d'écume et forme alors des jets qui ne sont pas sans grâce. A peu près à.la moitié de sa chute se trouve, du côté do nord, un petit bassin perpendiculaire d'où la cascade se précipite, après avoir fait un circuit et toujours en suivant la pente du rocher...

«... Puis la cascade s'enfonce sous un pont de neige qu'on ne fera pas mal de traverser, si l'on veut bien jouir du spectacle de la chute; on passe alors sur un plateau situé au sud-ouest du cirque, mais cette couche de frimas disparaît quelquefois. Pour moi, je vis le bassin entièrement dépouillé de neige, le pont dont j'ai parlé, était fondu.

«...Je m'assis sur un vaste bloc de rocher, à vingt pas environ de la cascade. Vu de cette position, le cirque n'offre que trois étages. La grande cascade tombe du plus élevé; les cinq petites qui se trouvent à sa gauche et celle qu'on remarque à droite, s'élancent de l'étage inférieur. — J'y respirais un air glacé.

« La surface du bassin était sillonnée par les eaux qui descendaient de l'amphithéâtre, et couverte de pierres tranchantes et aiguës qui roulaient sous nos pieds et embarrassaient nos pas. Nous vîmes un oiseau bleu qui faisait entendre son petit cri monotone dans ce morne désert, et un contrebandier espagnol qui, pour échapper à la douane, renterait dans son pays par la brèche de Roland.

Après avoir longtemps admiré ce beau spectacle, nous saluâmes de nos adieux le cirque et tous ses prodiges, et nous revînmes en nous écriant avec l'orateur chrétien :

« Dieu seul est grand! » (1)

  1. (1) M. Fourcade. — Musée des familles. — année 1833, pages 141 et 142.


Chapitre XIII : Les funérailles des braves.
Retour à la liste des légendes
Retour à la page d'accueil

Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px

Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités flux rss