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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE I

L'ombre de Romaric

Avant de retracer les exploits de Roland, nous devons, pour suivre l'ordre chronologique, présenter ici au lecteur un des paladins du grand roi. Nous sommes au temps où Charlemagne, avec ses auxiliaires, retourne en Espagne, pour y combattre encore Aygolant retranché dans Pampelune.

Pendant ce voyage militaire il se passa un fait singulier. Le héros de cette aventure merveilleuse est un des chevaliers qui accompagnaient le Roi dans son expédition.

Les troupes étaient campées près de Bayonne. L'expédition se dirigeait vers l'Espagne, envahie de nouveau par les hordes sarrasines sous le commandement du perfide Aygolant. Il s'agissait d'arracher encore une fois, et sans doute pour toujours, ces belles contrées au joug des infidèles : il fallait que la croix chassât le croissant et le reléguât enfin dans les déserts africains. Parmi les soldats franks, jeunes et vieux étaient pleins d'ardeur, ils brûlaient de se mesurer encore avec ces mécréants, qu'ils avaient déjà si souvent humiliés; ils étaient les champions de la sainte Foi, et la mort, loin de les effrayer, leur semblait glorieuse et douce, car elle leur apporterait la palme du martyre.

Tels étaient bien les sentiments et les espérances d'un vieux chevalier nommé Romaric. Il y avait soixante ans qu'il servait Charlemagne : il l'avait suivi dans toutes ses guerres en Saxe, en Italie, en Espagne. Il était heureux de pouvoir terminer sa carrière militaire en se battant pour Jésus-Christ contre Mahomet, et même, s'il le fallait, en versant son sang comme un martyr. C'était un noble coeur, un homme désintéressé et détaché des biens de la terre, tellement qu'à cet âge avancé il n'avait amassé aucun bien et il ne possédait, pour toute richesse, que ses armes et son cheval. Ce bon coursier, dont Romaric était fier, avait certes son prix; ce n'était pas là une bien grande fortune, mais c'était la seule qu'il pût léguer, et ce fut, en effet, le seul objet qui figura dans son testament.

Romaric dut le faire.

Il était malade au camp devant Bayonne. Voyant bien que c'était sa fin, il gémissait, de terminer ainsi sa vie dans son lit, lui le vieux guerrier qui avait toujours rêvé une mort héroïque sur le champ de bataille. Il regrettait surtout de ne pouvoir donner les dernières gouttes de son sang en combattant les infidèles ; mais enfin, résigné à la volonté de Dieu, il ne pensa plus qu'à se disposer à finir en bon chrétien. Il pleura ses péchés, et reçut avec ferveur, les sacrements de l'Ẻglise. Voyant qu'il n'avait pas toujours évité le mal et l'offense de Dieu, et qu'il n'avait pas fait suffisamment pénitence de ses fautes, il voulut faire quelque bien en mourant.

La seule valeur dont il put disposer, le prix de son cheval, il la destina aux pauvres et aux églises.

Il fit donc appeler à son lit de mort l'unique parent qu'il connût, un cousin soldat comme lui.

« Je vais mourir, lui dit-il, j'ai beaucoup péché en ma vie, je m'en repens et j'espère en la miséricordieuse bonté de mon juge ; en tout cas, je n'ai guère fait pénitence et je voudrais mettre quelques bonnes oeuvres dans la balance. Je ne peux pas faire de riches aumônes, je n'ai que mon bon cheval ; il se vendra bien, et je désire employer en oeuvres pies ce qu'il rapportera. Je te choisis pour exécuter mes dernières volontés : tu vendras mon cheval, tu feras deux parts de l'argent, tu remettras l'une entre les mains des prêtres qui prieront pour moi, l'autre, tu la distribueras de ton mieux à ceux que tu jugeras les plus nécessiteux. Acceptes-tu cette mission ?... feras-tu exactement ce que je désire ? »

Le cousin, tout ému, promit et jura qu'il accomplirait avec grand soin ce que Romaric venait de lui dire. Le bon chevalier, consolé et confiant, mourut en paix.

Il est probable que le parent de Romaric avait été sincère, mais quand il eut le beau cheval il ne se pressa pas de tenir ses promesses. Bientôt même il n'y pensa plus : il se dit que le bon Romaric était bien saintement, qu'il n'avait guère besoin de prières, et que son cheval lui rendrait à lui grand service et serait bien entre ses mains ; bref, il le garda.

Selon une autre version, le cousin fit pire encore, il vendit le cheval comme il s'y était engagé, mais, quand il eut palpé ainsi une somme assez ronde, il glissa les belles pièces d'or et d'argent dans sa ceinture, remettant à plus tard à les distribuer selon les intentions du défunt. Alors le démon lui souffla à l'oreille toute espèce de prétextes pour retarder encore. Un jour il eut besoin de quelque argent et il entama le legs de Romaric ; il y retourna encore une fois ; puis il était si facile, en plongeant les doigts dans la ceinture, de se procurer quelques instants de plaisir, qu'il n'y regarda plus. Comme c'est assez l'habitude de bien des gens de guerre, il fit avec ses amis de joyeuses parties, de somptueux soupers, si bien que tout y passa ; il ne resta même pas, pour les églises et pour les pauvres, un rouge liard.

Oui... mais à quelque temps de là, trente jours, d'autres disent six mois après le trépas de Romaric, une nuit, l'exécuteur testamentaire infidèle reposait paisiblement, comme s'il n'avait rien eu sur la conscience... quand un bruit lointain et confus d'abord vint le réveiller. Le bruit devient plus distinct : un fracas de chaînes !... avec cela des soupirs et des pleurs, là, tout près de sa couche !...

Enfin une vapeur rougeâtre remplit le réduit, et au milieu de cette lueur sinistre paraît une forme humaine enveloppée d'un suaire !... Grand Dieu !... le spectre écarte les plis de son drap blanc et découvre son visage... c'est Romaric... Romaric le défunt... Romaric l'air consterné, le visage pâle, mais les yeux étincelants.

« Ami perfide !... dit-il, parent sans coeur ! Homme parjure ! Qu'as-tu fait de tes promesses ? Qu'as-tu fait de l'argent que tu as touché ?... C'est plus qu'un vol que tu as commis, tu as privé les pauvres... et moi tu m'as laissé languir dans les flammes vengeresses du purgatoire. Si j'ai souffert si longtemps c'est par ta faute. Si tu avais accompli mes dernières volontés, je serais déjà hors de ces prisons et je jouirais de la béatitude. Cependant Dieu a eu égard à ma bonne volonté : mes tourments vont finir, mais les tiens vont commencer, tu ne jouiras guère du fruit de ton injustice, ta mort est proche, tu vas tomber entre les mains d'un juge irrité... »

Alors la terrible apparition s'évanouit et le coupable, appelant à son secours, put à peine raconter la vision qu'il venait d'avoir.

La punition ne se fit pas attendre. Le malheureux fut pris d'une fièvre violente, il s'humilia sous la main qui le frappait, confessa ses fautes au prêtre et bientôt il rendit son âme qui alla prendre, en purgatoire, la place du chevalier. Car, comme l'apparition le lui avait signifié, il devait ajouter à ses expiations pour ses propres péchés, le reste du temps de pénitence dont Dieu avait fait grâce à Romaric.

Suivant une autre chronique, je dénouement fut plus terrible. Le lendemain même de l'apparition du spectre, en plein jour, devant tous, une troupe de démons arriva et entoura le coupable. Ces esprits des ténèbres avaient ces formes hideuses sous lesquelles on les représentent ordinairement : un corps noir et velu comme des animaux, des cornes longues et aiguës sur la tête, des yeux verdâtres ou couleur de sang. Malgré ses prières et ses cris, le malheureux fut saisi par la bande infernales, soulevé de terre, emporté dans les airs où hurlait un vent violent, et bientôt cette troupe affreuse disparut dans les nuages épais où grondait la foudre et d'où jaillissait l'éclair.

Spectacle horrible et plus effrayant encore que la tempête qui se déchaîna alors sur la terre !



Chapitre II : Le grand géant Ferragut.
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