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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE III

Premiers exploits de Ferragut

Ferragut arrivé en Espagne s'était établi avec son armée, non loin des lieux où campait Charlemagne avec toutes ses forces.

Sur une éminence s'élevait un château dont s'empara Ferragut pour en faire sa demeure. Ses vingt-deux mille hommes avaient dressés leurs tentes sur les pentes de la colline et à sa base. Les turbans bleus ou blancs, les uniformes de mille couleurs, les étendards portant le croissant d'argent, les cimeterres d'acier poli brillaient aux rayons du soleil et semblaient, par tout ce faste oriental, défier les bataillons, couvert de fer, des guerriers franks.

Charles s'était avancé vers les infidèles; il avait établi son camp non loin d'eux, et il se préparait à une attaque, à une bataille décisive.

Mais ce n'était pas ainsi que l'entendait Ferragut. Il envoya des messagers vers le roi, pour lui dire qu'il n'était pas nécessaire d'exposer tant de monde, de faire couler tant de sang, que lui seul Ferragut combattrait de son côté contre le chevalier frank que voudra bien lui envoyer Charlemagne, et, s'il y avait lieu, contre tous ceux qui se présenteraient successivement.

Charles ne pouvait refuser; il consentit, mais ce combat singulier l'inquiétait et l'attristait... Exposer ainsi les plus braves de ses paladins contre ce monstre à face humaine!... Indépendamment de sa force et de sa taille prodigieuse, Ferragut était doué d'une adresse incroyable. Outre qu'il ne redoutait, ni lance ni trait, ni les coup d'aucune arme, Ferragut gettoit et dardoit une lance comme ung aultre homme feroit une sajette.

Charles troublé, il redoutait l'issue de ces combats corps à corps; pourtant il songea au jeune David, le petit berger, qui, protégé par le Dieu tout-puissant, resta vainqueur de Goliath. Lui, il a mieux qu'un jeune pâtre à opposer au descendant du géant Philistin: il enverra ses plus fort et ses plus braves guerriers, et surtout il va implorer le secours du ciel.

C'est ce que fait, en effet, le bon roi, avec grande ferveur et abondance de larmes, il supplie Dieu de prendre en main la protection de ses braves.

Alors il pense à choisir un illustre et vigoureux champion pour l'opposer le premier à Ferragut. Son choix s'arrête sur le fameux Ogier le Danois.

C'était un preux depuis longtemps rallié à Charlemagne après un moment d'oubli, un héros qui s'était signalé dans maintes batailles et maintes aventures. Otger, ou plutôt Auctaire (Ogier comme nous le nommons habituellement), s'était immortalisé d'abord pas ses exploits dans les régions lointaines d'Ethiopie. Après bien des faits d'armes, il avait soumis ces contrées et y avait établi la religion chrétienne. Il avait donné un roi à ces peuple en choisissant Jehan, fils du roi de Frise, et l'on sait qu'en mémoire de ce premier monarque, le souverain de l'Ethiopie s'appelle toujours le prêtre Jean. Plus tard Ogier avait soutenu les jeunes prétendants fils de Carloman. Après leur défaite, il s'était réfugie chez Didier de Lombardie; c'est lui qui, du haut d'une tour, montrait à Didier terrifié les innombrables bataillons des Franks qui arrivaient. Assiégé dans Véronne par Charlemagne, il s'était soumis enfin et était rentré dans les bonnes grâces du grand roi; il le servait maintenant avec zèle et fidélité (1).

Ogier fut fier du choix qu'on avait fait de lui; il ne trembla pas, s'arma de toutes pièces et s'avança au-devant du géant.

Cependant la vue de ce monstrueux personnage pouvait bien ébranler les plus grands courages. Il attendait fièrement, le sourire ironique aux lèvres, ceux qui allaient se présenter. Sa longue et large barbe noire, ses yeux flamboyants, ombragés d'épais sourcils, son nez busqué comme un bec de vautour, avaient un aspect effrayant. Sa tête était couverte de son casque damasquiné, sans visière et aussi gros qu'un muid. Ses bras et ses jambes étaient couverts de fer, sa poitrine emprisonnée dans une cuirasse d'acier à écaille, telle enfin qu'on représente, dans la sainte Écriture, l'armure de Goliath son ancêtre.

Ogier était pour lui un pygmée. Ferragut fit un pas en avant, et au lieu de saisir son grand cimeterre, il prit la main d'Ogier, l'attira à lui, l'embrassa comme on fait à un enfant, puis, le soulevant de terre comme un roseau, il le mit sous son bras, l'emporta ainsi tout armé sans hâter le pas et alla le déposer dans son château aux grandes tourelles. Ogier était prisonnier.

Ce fut un moment de grand étonnement et de vive émotion dans le camp français. Vingt chevaliers se présentèrent demandant à grands cris à aller combattre et à essayer de délivrer Ogier. Ce fut Regnault d'Aubespine qui fut désigné. En vain arriva-t-il vers son ennemi l'épée dégainée pour n'être pas surpris comme Ogier. Ferragut étendit son grand bras, brisa l'épée, saisit Regnault, malgré sa résistance, et comme la première fois, il emporta le paladin dans son château. Les sarrasins trépignaient d'aise, la colline et les échos du castel retentissaient des insolentes acclamations des infidèles.

Ce fut le tour de deux illustres princes: Constantin l'empereur d'Orient (2), et le comte Olivier.

Ils allèrent tous deux ensemble vers le terrible fils de Goliath. Celui-ci ne parut pas s'en émouvoir, il sourit avec dédain, étendit ses deux larges mains qui s'appesantirent sur Constantin et sur Olivier, lesquels Ferragut emporta tout armés, l'ung de ça l'autre de là. Et comme il aurait fait de deux tourterelles, il les montrait dans chaque main à ses gens et les alla déposer dans son manoir.

Les chrétiens ne se découragèrent point cependant. Les autres jours on recommença l'épreuve; mais, hélas ! Avec les mêmes résultats. Il y alla successivement jusqu'à vingt chevaliers qui tous furent emportés par Ferragut et déposés dans les cachots de son donjon.

La consternation était dans le camp. Charlemagne ne savait plus à quel parti s'arrêter; il ne voulait plus envoyer personne. En vain d'autres preux s'étaient offerts: « Non, répondait-il, je ne veux plus exposer âme qui vive; mes plus braves compagnons sont déjà les prisonniers de ce montre à figure humaine, et plaise à Dieu que leur vie soit en sûreté dans ce repaire de brigands infidèles !

Personne n'ira plus affronter la colère du géant. Ne nous occupons plus de lui. Tâchons d'aller délivrer nos captifs en nous rendant maîtres du château. Il faut, un élan victorieux, que toute l'armée assaille le camp infidèle, balaye les pentes de la colline et arrive jusqu'à la forteresse. Sous l'effort de nos bataillons, Ferragut, s'il reste derrière ses ramparts, qu'il soit enseveli sous les décombres. »

Et le roi allait prendre toutes ses dispositions pour une grande bataille et ensuite pour l'assaut du castel.

Mais l'intrépide Roland son neveu, le fils de Milon d'Angers (ou plutôt d'Angleria), brûlait du désir de combattre et de vaincre l'insolant Ferragut; il se présenta tout armé devant son oncle. Fléfissant le genou et baisant la main du roi, il le supplia de lui permettre de s'avancer contre le géant, ce serait la dernière épreuve que l'on tenterait, et Roland avait bon espoir qu'elle serait couronnée de succès.

Non, j'ai juré de ne plus exposer personne. Après avoir perdu tant de braves chevaliers, faudrait-il encore que je me vois privé des princes de ma famille, de vous surtout, Roland, dont la valeur et la prudence me sont si utile ?... D'ailleurs permettez-moi, beau neveu, de vous dire ce que Saül répondait au jeune David: « Auprès de ce colosse vous n'êtes qu'un enfant, vous ne pourrez jamais résister à ce Philistin. »
- Et moi je répondrai, ô roi, que Saül avait tort comme l'événement le prouva, et qu'il finit par céder aux prières de David. De même que David, je ne mets pas ma confiance dans ma force ou mon adresse, je la mets dans la protection de Dieu et de son apôtre saint Jacques, qui vous a promis son secours dans les grandes occasions. Bien que je puisse, comme David, parler de mes exploits passés et que je puisse dire, comme lui, que j'ai terrassé non point des ours et des lions, mais des ennemis encore plus redoutables que des bêtes féroces, ce n'est point sur mes forces et mon courage éprouvés que je me fie, c'est sur le Tout-Puissant, et je crierai, ainsi que David, à ce fils des Philistins: « Je viens à toi au nom du Seigneur des armées, du Dieu des bataillons d'Israël que tu insultes tous les jours. Le Seigneur te livrera à ma main, je te frapperai, je te couperai la tête... afin que tous sachent qu'il y a un Dieu pour les chrétiens. »

Charles écoutait avec attendrissement ces nobles paroles, heureux et fier de trouver tant de vaillance dans un prince de son sang. Il embrassa Roland avec des larmes de joie dans les yeux.

« Eh bien ! soit... c'est sans doute Dieu qui vous inspire; allez, cher fils, et que le Ciel vous en aide. »

  1. Ogier finit par renoncer au monde et embrassa, avec Benoit son intime, la vie monastique dans l'abbaye de Saint-Faron. Les deux amis y moururent très saintement dans la seconde moitié du IXe siècle. - Notons que la renommée du paladin devint populaire: c'est lui qu'on a placé dans le jeu de carte, comme valet de pique, sous son nom d'Ogier.
  2. En réalité Constantin, prévôt de Rome.


Chapitre IV : Première rencontre de Roland et de Ferragut.
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