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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE IV

Première rencontre de Roland et de Ferragut

Quel était-il donc ce Roland qui se lançait, de si grand courage, dans cette périlleuse aventure ?

Ce jeune prince, ce neveu du roi, n'était pas le premier paladin venu, et il ne se vantait pas trop lorsqu'il parlait de ses prouesses d'autrefois. Roland, comte des Marches de Bretagne, n'avait obtenu ce poste, qui consistait à garder les fron­tières de France du côté de l'Armorique, qu'après de grandes et périlleuses entreprises militaires.

Il avait guerroyé en Syrie,sans doute pendant et après l'expédition de Charlemagne en Palestine. Roland, champion de la croix et mandataire du grand monarque son oncle, avait parcouru en vain­queur la Syrie, le pays de Sidon, la Samarie et la Judée, soumettant tout à sa puissance. Toutes les contrées voisines de la terre d'Israël l'avaient vu passer courant et imposant partout sa loi. Plus rapide que le vent qui courbe la tête des palmiers de ces belles campagnes, il avait conquis le pays des Philistins, les rochers de Moab, les déserts de l'Idumée. Des rivages de Tyr aux limites de l'Egypte, on avait reconnu son autorité et accepté le joug du souverain des Franks.

Quand il revint vers son oncle, celui-ci pensa à lui décerner une récompense plus magnifique encore que le commandement des forteresses des fron­tières bretonnes.

Lorsque Charles aura soumis l'Espagne, quand la grande guerre de la Péninsule sera terminée heureusement, le puissant monarque aura une cou­ronne à poser sur la tête de son neveu : Roland sera roi de l'Espagne. Voilà le rêve de Charlemagne, qui, hélas ! ne peut lire dans l'avenir. Le ciel prépare une autre couronne au fier chrétien qui combat pour la foi : Roland le martyr ne régnera pas sur la terre.

Roland n'avait pas la prestance d'un géant, mais, malgré sa taille très ordinaire, il était doué d'une grande vigueur; il avait, avec cela, une physiono­mie pleine de noblesse, une tournure élégante et une bonne grâce singulière lorsqu'il montait son blanc coursier.

Le jeune paladin, revêtu de sa brillante armure, s'avança à cheval, sonnant du cor, comme c'était sa coutume. En entendant ces sons bien connus, l'armée franque et l'armée sarrasine comprennent que c'est le preux Roland qui va combattre ; il se fait un grand silence, chacun regarde curieuse­ment, et l'on attend avec anxiété l'issue de la lutte. Les deux adversaires, sans se presser, se dirigent l'un vers l'autre, au petit pas de leurs che­vaux. Toujours le même sourire dédaigneux sur les lèvres du colosse à la vue de Roland, qui re­garde avec calme et fierté son orgueilleux ennemi. Quand il fut arrivé à portée, Ferragut étendant son immense bras, print Roland de sa main dextre et le tyra sur son cheval devers luy. Le chevalier n'eut pas le temps de se revoir; soulevé comme une plume et placé en travers, sur la selle, maintenu par un poignet de fer, il était emporté, comme les autres, vers le château. Un cri d'hor­reur partit des rangs français, tandis que les infi­dèles faisaient entendre de bruyantes exclama­tions. Ces clameurs allèrent au cœur de Roland, il se recommanda à Dieu et, confiant dans la protec­tion d'en haut, il fit un brusque mouvement, saisit Ferragut par le menton avec tant de force et d'im­pétuosité qu'il le jeta en bas de son cheval et roula à terre avec lui.

Ce fut l'affaire d'un instant, les deux combat­tants se relevèrent, et se remirent en selle. Alors Roland, tirant sa bonne épée, se précipita avec fougue sur le géant et lui porta un terrible coup de tranchant; mais le glaive glissa sur la cuirasse du Philistin et retomba de tout son poids sur le cheval, qu'il fendit en deux. Les applaudissements ne, manquèrent pas pour saluer ce grand coup d'épée. Ferragut lui-même laissa échapper des exclamations d'étonnement, et pendant quelques secondes, il contempla Roland, car il estoit moult esmerveillé que ung si petit corps avoit frappé ung si grant et merveilleux coup. Puis se voyant à pied et son cheval mort, Ferra­gut, outré de dépit, entra dans une grande colère. Ayant secoué la poussière de son armure, avec un bruit formidable de ferraille, il tire son large cime­terre et le lève sur le casque de Roland. Les spec­tateurs terrifiés, le croient mort, mais le héros frank, qui suivait de l'œil tous les mouvements de son ennemi, le prévient et lui donne sur le bras un si rude coup de sa Durandal que le cimeterre alla voler à terre à plus de dix pas. Sans s'émouvoir, Ferragut lève son poing fermé et veut l'abattre, comme un marteau, sur la tête du paladin. Celui-ci, par un brusque mouvement, esquive encore le coup; mais le gantelet d'acier retombe d'un tel poids sur le front du cheval de Roland que le noble animal est renversé et reste mort sur le sable.

Roland se relève et, en donnant une larme à son fidèle et malheureux coursier, il provoque son ad­versaire à une lutte toute nouvelle. Car le cime­terre de Ferragut s'est brisé, et Roland n'aurait jamais consenti à tirer son invincible glaive contre un adversaire désarmé. Ce fut d'abord à coups de poing que le combat se rengagea. Lourds et reten­tissant comme les marteaux sur l'enclume, les poings garnis de fer tombaient sur les cuirasses avec un fracas terrible; la plaine et la montagne, la forêt et les murailles du château en résonnaient au loin.

Elles résonnèrent encore bien plus quand, lasses de se battre à coups de poing, les champions de­ mandèrent chacun un bâton. Celui de Ferragut était à sa taille : il ressemblait plus à une poutre qu'à un bâton, c'était le tronc d'un jeune chêne dépouillé de son écorce. Celui de Roland était moins long, mais plus dur : c'était une branche de sorbier polie et passée par le feu. Jamais on n'entendit pareil cliquetis d'armes. Il faut croire que l'acier des casques et des cuirasses avait été trempé et retrempé à Damas. Pourtant les coups redoublés n'avaient aucun résultat, les deux combattants s'épuisaient en efforts inutiles. Impatientés et déjà las, ils jettent leurs bâtons et saisissent des pierres.

Les balistes et les catapultes antiques faisaient moins de fracas, avec leurs quartiers de grès, sur les remparts que les moellons lancés ici sur les cuissards et les brassards. Ferragut soulevait et jetait des pierres presque aussi grosses que des meules de moulin ; Roland, qui les évitait savam­ment, y répondait par une véritable grêle de cail­loux. Jamais, depuis la fronde de David, depuis les pierres dont Hercule écrasait les géants Albion et Ligur dans la lande de la Crau, jamais on n'avait vu un duel semblable. Les heures passaient ra­pides. A la fin, les combattants, suant sous leurs armures, étaient essoufflés, et l'énorme Ferragut le premier s'arrêta et demanda un moment de trêve. Roland fut heureux de l'accorder... Après quelque repos, on reprendra la lutte.

Débouclant leur cuirasse, les deux champions s'assirent sur le sable, mais bientôt Ferragut sen­tit ses paupières se fermer ; il invita Roland à faire comme lui et à aller s'étendre sous le parasol d'un grand chêne. Roland l'y suivit, et comme deux amis, ils se mirent à dormir côte à côte. Les échos retentirent bientôt du formidable ronfle­ment de Ferragut, auprès duquel celui de Roland n'était qu'un petit souffle. C'était comme le doux murmure des feuilles auprès du fracas du ton­nerre.

Les deux armées étaient toujours là, curieuses et attentives, désirant impatiemment le réveil des héros pourvoir l'issue de la bataille.

Enfin Ferragut, poussant un vigoureux soupir, ouvrit, en bâillant, une bouche large comme l'en­trée d'une caverne. Quand il se mit sur son séant, son casque alla heurter les branches du chêne. Roland, au bruit de cette masse recouverte de fer qui s'agite, se réveille aussi. Les deux ennemis se regardent sans colère et ils se mettent à discourir un peu. Mais Ferragut, ressentant ,une soif ar­dente, propose à Roland de boire ensemble un coup de vin généreux. On roule alors jusqu'à eux un tonneau de ce vin exquis que produisent les co­teaux de Malaga. Une coupe d'argent fut présentée à Roland ; celle de Ferragut était une énorme bassine de cuivre qui reçut la moitié du tonneau. Ferragut la vida d'un trait et y retourna. Alors ses gros yeux brillèrent d'un éclat inaccoutumé, un sourire de satisfaction détendit ses grandes lèvres, et sa langue se délia merveilleusement. Roland en profita; il vanta la force surprenante du Philistin.

« Ta taille si extraordinaire ne m'explique pas encore ta vigueur..... comment es-tu si fort?..... et quelle intrépidité tu montres !
— Oh! s'écrie Ferragut, on est toujours fort et intrépide quand on n'a rien à craindre.
— Rien à craindre !... mais, malgré ta force, avec de l'adresse et de bonnes armes on peut te tuer.
— Me tuer!... non, jamais, » reprend Ferragut auquel les vapeurs du vin enlèvent toute pru­dence.

Et le Philistin, comme fol, dist qu'il ne povoit estre navré ne tué que par le nombril.

Roland ne fit pas semblant d'avoir entendu, il parla d'autres choses, il demanda des nouvelles d'Ogier et de ses autres compagnons d'armes faits prisonniers ; il pria le géant de les bien traiter.
« Ils sont bien traités, dit celui-ci, est-ce que tu craindrais qu'il en soit autrement ?... est-ce que tu prendrois mon châtel pour une spelonque de lar­rons?... Sois tranquille sur eux, si tu es vainqueur tu les trouveras sains et saufs au château; si je triomphe de toi, je leur rendrai la liberté.

Roland le remercia, et finalement il lui demanda s'il était disposé à reprendre le combat.

Ferragut répondit qu'ils avaient besoin l'un et l'autre de repos et qu'il serait plus expédient d'at­tendre au lendemain. Roland accepta de grand cœur. On convint donc de recommencer la lutte le jour suivant. Roland s'éloigna, enchanté d'avoir surpris le secret du Philistin, d'avoir appris où il devait diriger ses coups.



Chapitre V : Dernier combat.
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