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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE VI

Un Traître

Hélas ! ce cor de Roland faisait entendre là ses avant-derniers sons. Dans la famille de Charlemagne il n'y avait pas que des braves et des fidèles, il s'y trouva un traître.

Après la mort de Ferragut, après les brillants exploits qui lui avaient soumis l'Espagne, le roi s'acheminait vers la France. Comme il était campé près de Pampelune il lui vint des doutes, doutes bien fondés, en effet, sur la fidélité de deux princes maures qui lui avaient juré soumission et obéissance. C'étaient deux frères : Marsillon et Belligant (Marsile et Belvigand), qui régnaient à Saragosse. Ils avaient été autrefois envoyés de Perse par le Soudan de Babylone pour défendre les possessions espagnoles des Sarrasins contre Charlemagne. Se voyant les plus faibles, ils avaient fait alliance avec le puissant vainqueur, avaient promis de lui être soumis, et feignaient de lui demeurer fidèles. Mais Charles ne se fiait qu'à demi à ces hommes restés musulmans. Il chercha à obtenir d'eux d'autres garanties, il leur fit dire qu'il ne pouvait souffrir qu'il demeurassent dans la contrée conquise par lui, s'ils ne devenaient chrétiens et ses tributaires.

Il leur expédie donc un de ses neveux Ganes (ou Gannelon), de Mayence, chargé de leur intimer les volontés du maître et de les amener à les exécuter.

Ganes n'était point ce cœur franc et loyal de Roland; il ne rêvait pas, comme lui, uniquement à la gloire de Dieu, à la grandeur de la patrie, à la puis­sance de son prince ; surtout il ne faisait pas, comme lui, passer la vertu et l'honneur avant les richesses et les brillantes positions. C'était un am­bitieux mécontent de son rôle secondaire et qui aurait voulu régner ; c'était une âme avide à qui il fallait de l'or.

Ganes fut reçu non seulement avec les égards dus à un proche parent du monarque, mais encore avec des honneurs inusités, avec des marques d'es­time et d'affection trop exagérées pour être sin­cères, mais qui éblouirent le vaniteux et surtout fascinèrent l'ambitieux. Ces caresses intéressées enchaînèrent, dès l'abord, l'indépendance que doit conserver un ambassadeur loyal et dévoué en tout aux intérêts de son souverain. Il était sur le chemin glissant qui mène à la tra­hison.

Ganes exposa d'abord aux deux princes le but de sa mission et les désirs de son oncle. Les rusés musulmans ne firent aucune objection, se montrant tout disposés à payer tribut au roi des Franks et à embrasser la foi chrétienne.

« Nous serons heureux, dirent-ils, de vivre en bonne intelligence et en affectueuses relations avec le chef que Charlemagne donnera à l'Espagne pour gouverner, sous sa suzeraineté, ce grand et riche pays, car nous savons que Charles veut donner un roi aux Espagnols.... n'est-ce pas son inten­tion ?
— Oui, vous êtes bien informés.
Nous savons même qu'il destine cette couronne à un membre de sa famille, à un de ses neveux ; c'est sans doute vous, prince, qu'il a choisi, et maintenant que nous vous connaissons et que nous pou­vons vous apprécier, nous nous réjouissons grande­ment de l'honneur qui vous attend; nous aurons en vous un ami et comme frère. »

Ganes fronça les sourcils rougit et pâlit tour à tour. La colère, la jalousie, la haine se lisaient clai­rement sur ses traits; les émirs avaient touché la corde sensible et ils le savaient bien.

« Seigneurs, dit Ganes, c'est ici que votre pers­picacité est en défaut... Non ce n'est point à moi que le trône est destiné, mon oncle a d'autres ne­veux qui lui font une cour plus assidue et qui savent mieux que moi trouver le chemin de son cœur. Moi je me contente de le servir, d'exposer pour lui ma vie dans les batailles; mais je ne suis pas un flatteur, je suis trop fier pour m'abaisser à des cour­bettes intéressées.
— Qui donc mériterait mieux que vous l'affection de Karl ?
— Qui ?.... Eh ! le beau Roland, le merveilleux paladin, le mielleux courtisan.
— Roland..... ce vantard, ce sonneur de cor?.....
— Lui-même.
— Eh bien! souffrez que nous vous le disions, si vous êtes supplanté par ce damoiseau c'est que vous le voulez bien.
— Comment! qu'y puis-je?... Charles, infatué de sa gloire et de sa puissance, tient à ses idées, personne ne le ferait changer.
— Eh !... Dieu est grand et l'homme est fort quand il le veut. Lorsque qu'un obstacle se dresse sur sa route, il peut toujours l'écarter, le broyer, s'il le faut.
— Ah !... si je le pouvais....
Le voulez-vous? voulez-vous que nous vous aidions à briser le fantôme qui se place entre vous et le trône d'Espagne «...nous sommes tout à vous.»

Ganes saisissait avec avidité ces paroles perfides ; pourtant il ne répondait pas et semblait réfléchir et hésiter.
— Remarquez, reprit Marsillon, que nous ne vous proposons pas de trahir votre oncle, de tendre des embûches à son armée ; nous ne le voulons et d'ailleurs nous ne le pouvons pas, mais que Roland et Ogier avec quelques troupes soient séparés du roi et du gros de l'armée, et nous nous chargeons d'anéantir ceux que vous n'aimez pas et qui sont le seul obstacle qui vous empêche de régner.
— Hum !... j'aimerais mieux un autre moyen, car enfin....
— Il n'y en a pas d'autre... et, voyez, être roi... c'est bien beau.
Éh bien ! soit.... ma haine pour Roland est pro­fonde et ancienne; faut-il encore qu'il vienne se dres­ser sur mon chemin....! qu'il périsse, j'y consens. »

Ganes venait de se livrer au démon; un pacte infâme fut conclu, et pour lier à jamais l'ambitieux, les émirs lui offrirent en secret de magnifiques présents outre ceux qu'ils envoyaient au roi. Ganes reçut vingt chevaux chargés d'or et d'argent, de vê­tement précieux et de soie, et jura d'exécuter le plan conçu par les deux infidèles.

Il s'agissait d'abord de tromper Charlemagne. Le traître Ganes s'en retourna, et dit à son oncle que Marsillon desiroit moult estre chrestien et qu'il s'ap­pareilloit pour venir après lui en France pour baptesme recevoir. Il ajouta que les deux princes se dis­posaient à faire au roi hommage de leurs terres, et pour preuve il lui remit de leur part les dons splendides qu'il avait reçu d'eux ; ce devait être comme un payement anticipé du tribut qu'ils acquitteraient chaque année. Ces dons consistaient en trente chevaux chargés d'or, d'argent et autres richesses.

De plus, il y avait des présents destinés à toute l'armée, car, pour les fourbes émirs, il fallait encore sédaire les soldats, ou plutôt les entraîner à des excès qui briseraient leurs forces et leur cou­rage. Ganes amena donc avec lui, pour l'armée, soixante chevaux chargés de très pur vin d'Espaigne et aussi tous les auxiliaires de désordres que pou­vaient faire naître les ennemis des chrétiens secondés par l'infâme Gannelon.

Enfin il s'agissait de tendre un piège dans lequel tomberaient le héros Roland, son frère et l'élite des braves. Charlemagne, confiant et dé­sormais tranquille, ne pensait plus qu'au retour et il ordonna comment il passeroit les ports de Césarée. Le voyant dans ces dispositions, Ganes dit au roi que l'important était de pourvoir à sa sécurité au passage des Pyrénées, que pour cela, il fallait une arrière-garde d'hommes d'élite, des plus solides et des plus braves commandés par des capitaines choi­sis et par un chef de premier mérite ; qu'il n'en connaissait pas de plus digne de cette mission que l'illustre Roland. — Et le perfide se mit à faire l'éloge du preux qu'il voulait perdre.

Charles, ne se doutant de rien, et flatté d'entendre ainsi vanter son bien-aimé neveu, accepta vivement ce plan et donna ses ordres en conséquence.



Chapitre VII : Le Cor de Roland.
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