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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE VII

Le Cor de Roland

I

Charles laissa vingt mille hommes pour former l'arrière-garde. Roland la commandait, et il avait avec lui Olivier, puis Thierry et Baudouin, ainsi que plusieurs autres vaillants capitaines. Roland était fier de cette mission de confiance ; c'était à lui qu'était dévolu l'honneur de protéger la marche de l'armée franque vers la frontière, d'assurer la retraite et de protéger la vie si précieuse de son oncle.

Mais, hélas ! la protection de Dieu aurait été encore plus nécessaire, et Dieu avait été gravement offensé par les guerriers chrétiens. Les dons per­fides des deux princes de Sarragosse avaient eu leur effet prévu par ces infidèles. Le vin avait été distribué aux soldats et surtout aux chefs ; des orgies sans nom avaient signalé ces jours d'égarement, et semé parmi les fidèles l'énervement des courages, l'épuisement des forces, la mort même et surtout la mort des âmes. Beaucoup de chefs et de soldats avaient payé de leur vie leurs excès, et un plus grand nombre encore avaient appelé sur leurs têtes l'indignation du Ciel. La vengeance de Dieu les attendait.

Parmi les vingt mille hommes de l'arrière-garde beaucoup en étaient là. Roland et les plus illustres des chefs s'étaient préservés de ces souillures et avaient gémi des turpitudes des autres.

Charlemagne, confiant et tranquille, passa sans encombre, avec le gros de l'armée, les défilés, ce que les chroniques appellent les ports de Césarée. Alors l'arrière-garde s'engagea à son tour dans ces gorges qui ne semblaient avoir d'effrayant que leurs aspérités naturelles. On s'enfonçait dans des chemins creusés dans les roches vives. A des centaines de pieds s'élevaient, de chaque côté, comme des remparts de pierres où s'échelonnaient les pins, beaux bouleaux d'un vert pâle. Des torrents venus des neiges éter­nelles qui couronnent le sommet des montagnes y serpentaient ; des précipices y bordaient la route et recevaient dans leurs profondeurs les gaves impétueux formés par ces eaux. L'on ne ren­contrait là d'autre trace de vie que la pré­sence de troupes d'isards qui s'enfuyaient en bon­dissant de roche en roche, à l'approche des batail­lons franks.

Rien n'avait encore troublé la paix de ces soli­tudes, et la longue ligne des troupes se déroulait à travers les rocs comme un énorme serpent de bronze. On approchait des vallées de Ronceveaux, quand, des flancs des rochers, des crevasses de ces défilés, s'élancent des bandes de soldats musulmans: c'étaient les troupes de Marsillon et de Belvigand, qui descendaient comme des filets d'eau pour aller former un torrent humain. Soixante mille hommes, conduits par les deux princes sarrasins, sont là di­visés en deux corps de trente mille combattants.

Les chrétiens, stupéfaits d'abord, reprennent courage. Roland et Olivier sont à leur tête et font face au choc de la première des deux troupes. Un combat acharné se livre, les montagnes et les vallons retentissent des coups d'épée, de la voix des chefs, des cris des mourants. Après une lutte prolongée, les chrétiens ont le dessus, les Sarrasins s'enfuient et regagnent les gorges des défilés. Roland et les siens restent maîtres du champ de bataille. Mais ils ont dû déployer toutes leurs forces pour oppo­ser vingt mille hommes à trente mille, et ils ont en­core devant eux les trente mille Sarrasins qui n'ont pas donné.

Les soldats de Roland étaient épuisés de fatigue, car ils avaient combattu depuis le matin jusques à heure de tierce. Les Sarrasins, frais et dispos, se ruèrent sur eux. Lassés par le premier combat, les soldats de l'avant-garde ne sauraient résister à ce nouveau choc, arrêtés encore qu'ils sont par les aspérités du chemin, écrasés par les quartiers de roche qu'on précipite sur eux du haut de la mon­tagne et percés de flèches lancées par les Sarrasins de leur retraite aérienne. « Outre le désavantage de leur position, les guerriers franks avaient contre eux !a pesanteur de leur armure, qui gênait leurs mouvements, tandis que leurs ennemis, armés à la légère, sa portaient rapidement de tous côtés, attaquaient, frappaient, fuyaient en même temps, et échappaient aux coups de leurs adversaires par leur étonnante agilité. »

D'ailleurs Dieu, irrité des excès des soldats franks, s'était retiré d'eux ; ils furent défaits tous, excepté les deux compagnies de Baudouin et de Thierry. Les fuyards purent trouver un asile dans les bois voisins. Mais ces fuyards furent en petit nombre, car beaucoup furent faits prisonniers et la férocité sarrasine leur infligea de cruels supplices. Les uns furent pendus aux branches des arbres ; d'autres, attachés à demi nus au tronc des pins, servirent de but aux flèches des barbares ; plusieurs garrottés, furent écorchés vifs, et leurs suprêmes clameurs portèrent l'épouvante dans le cœur de leurs compagnons cachés dans la forêt. Enfin on jeta dans des bûchers amoncelés à la hâte un grand nombre de prisonniers, et pendant que l'écho des rochers retentissait de leurs cris, une épaisse et nauséabonde fumée s'éparpilla dans les ravins et les vallons, chassée par le vent violent des monta­gnes.

II

Roland, la tristesse dans l'âme, voyant la plupart des siens morts ou en fuite, brisé lui-même de fatigue, se retira dans un bois. Au milieu s'élevait un haut mamelon à la cime dépouillée ; Roland monta sur ce pic, d'où il pouvait voir l'ennemi. Les bataillons encore innombrables des Sarrasins étant à quelque distance, le héros ne pensa point à rester caché pour éviter la mort.

Il saisit son puissant cor d'ivoire et se mit à le faire retentir avec force. En entendant ces sons bien connus, quelques preux, qui s'étaient enfoncés dans les halliers épais, arrivèrent au pied du rocher. Bientôt Roland se vit entouré de cent braves com­pagnons résolus comme lui à faire subir de rude pertes aux ennemis et à mourir s'il le fallait. Il les appela près de lui sur le faîte de la colline.

« Braves amis, dit-il, vous voyez nos barbares vainqueurs, ils sont nombreux et nous sommes bien peu: pas même un contre deux cents... qu'importe !.. que Dieu soit avec nous, et vendons chère­ment notre vie ! Je veux frapper avant de mourir un grand coup et immoler le prince perfide qui est cause de tout ce désastre. Avec vous, je m'ouvrirai un passage jusqu'à Marsillon, et cette épée invin­cible lui percera la poitrine ; sa mort mettra le désordre parmi les infidèles et assurera ainsi la sécurité du roi et de son armée. »

Des bravos lui répondirent.

« II s'agit de trouver l'émir, ajouta-t-il, mais je crois avoir un moyen d'y arriver. »
Roland et ses compagnons descendent du mame­lon. Le héros se dirige vers un endroit du bois où il avait fait attacher à un arbre un prisonnier Sarrasin.
Écoute, dit-il au captif en faisant briller la lame de son épée, tu vas nous suivre toujours enchaîné, tu me montreras Marsillon; si tu refuses je te perce de ce glaive; si tu consens, lorsque tu m'auras désigné Marsillon, je te laisserai aller sans te faire aucun mal, tu seras libre. »

Le Sarrasin, qui n'attendait que la mort, saisit avec transport le moyen de l'éviter.
« J'y consens, ô prince, je vais te montrer l'émir, c'est celui qui sera monte sur ung cheval rouge, avecque ung escu rond.
— Bien..... mais avance, et désigne-le-moi du doigt..... l'aperçois-tu ?....
— Oui..... regarde ce grand et fier cavalier, au riche costume, vois le cheval rouge avec sa selle brodée d'or, vois le bouclier rond..... c'est lui.
— Bien..... je tiens ma promesse, tu es libre, va-t'en. »
Le prisonnier ne se le fit pas dire deux fois ; il se rejeta dans les fourrés et disparut.

Roland alors s'élança, avec ses intrépides amis, sur les phalanges sarrasines, surprises de cette brusque attaque. Le héros choisit d'abord un cavalier plus grand que les autres ; il va droit à lui et d'un seul coup de Durandal le pourfendit de la teste jusques à la selle, tellement qu'il couppa tout oultre, luy et le cheval, de sorte que moitié tomba à droite, moitié à gauche. Quand Sarrasins virent ferir si grant coup, ils restèrent muets et frappés de stupeur, puis, ne se souciant pas de se mesurer avec un pareil champion, chacun détala de son côté, fuyant Roland comme si c'eût été un démon ; ils luy firent voye, mais pas assez vite pour qu'il n'en occît un bon nombre. Le preux et ses compa­gnons s'avancent ainsi comme un coin de fer et s'approchent de Marsillon. En voyant un pareil massacre, l'émir eut peur aussi, comprenant bien d'ailleurs que c'était à lui surtout qu'on en voulait, il donna le signal de la retraite et se mit à fuir de toute la vitesse de son cheval rouge.

Mais il était trop tard ; Roland, de vertueux et grant couraige, arriva jusqu'à lui. En vain l'émir brandit-il son cimeterre d'une main, et se cache-t-il de l'autre, derrière son escu rond; Roland, d'un seul coup de sa Durandal, lui fendit le casque et le crâne. Marsilion roula à terre et expira.

Pendant cette lutte, des centaines de Sarrasins furent tués aussi; mais les infidèles étaient si nom­breux que les cent braves succombèrent à la fin, il n'en resta pas un. Roland lui-même fut navré de quatre lances et griefvement féru de perches et pierres. Mais toutes voyes, par l'ayde de Nostre-Seigneur, il eschappa. vif d'entre les Sarrasin.



Chapitre VIII : Devant la Roche de Marboré.
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