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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE IX

Mort de Roland

I

Cependant le bruit du cor d'ivoire alla bien plus loin encore. L'ange gardien du chevalier mourant s'élance dans les airs, et rassemblant, sur ses blanches ailes, les ondes sonores, il les entraîne, comme un fleuve invisible, jusqu'au lieu où est parvenu le roi des Franks (1) .

Charles était déjà éloigné de plus de huit lieues de Roncevaux; il avait passé les ports (les défilés) et, avec son armée, il s'était arrêté vers la Gascogne, dans un vallon qui encore est appelé le Vau de Charlemaigne.

C'est là que le bruit de la trompe d'ivoire retentit tout à coup à son oreille.
« C'est le cor de Roland, dit-il, et quels sons éclatants et haletants aussi!... C'est comme un appel .... il se passe là-bas quelque chose d'extraordinaire; mon neveu est peut-être attaqué, il a besoin d'aide, retournons et courons à son secours. »

Mais Judas était là..... Ganes le traître ne connaissait que trop le danger où pouvait être Roland, lui qui avait préparé cette catastrophe ; il vit bien que les chrétiens étaient tombés dans l'embuscade, qu'ils étaient vaincus et dispersés, Roland blessé sans doute et expirant ; mais il voulait que le désastre fût complet. « Oh! dit-il, ce n'est rien..... ce cor est celui des bergers qui rappellent leurs troupeaux. »

Mais les sons du cor recommencèrent plis bruyants et plus saccadés.
« Ce ne sont pas des bergers qui sonnent ainsi de la trompe, s'écrie encore Charlemagne..... c'est Roland.
— Peut-être..... mais, sire roi, ne vous inquiétez pas tant pour Roland; vous savez bien qu'il sonne du cor pour la moindre chose, quelquefois même sans cause aucune, et qu'il s'amuse souvent à souffler dans sa trompe des journées entières.
— Oh ! Roland peut se divertir parfois en temps de paix; mais aujourd'hui, en commandant l'arrière-garde, certes il ne s'amuserait pas ainsi; d'ailleurs ces sons ne me semblent pas être une fanfare joyeuse.
— Si ce n'est pas une fanfare, soyez sûr, seigneur, que c'est un signal donné pendant une chasse. Tout se sera bien passé; arrivé dans la vallée par des bois, Roland aura voulu poursuivre quelques isards sur les roches ou quelques fauves dans les fourrés. Votre neveu serait bien étonné et sans doute peiné de vous voir revenir et perdre un temps précieux pour aller le rejoindre, croyez-le bien.
Tu as sans doute raison, Ganes ; restons donc et ne fatiguons pas les troupes par une marche forcée qui ne servirait qu'à nous retarder. D'ailleurs nous saurons bientôt à quoi nous en tenir, puisque nous allons dresser ici nos tentes et donner à l'arrière-garde le temps de se rapprocher. »

Le traître Gannelon applaudit à ces paroles et eut en même temps un sourire sinistre qui aurait frappé un observateur attentif.

II

Cependant Roland se voyant toujours seul, et ne voulant pas que Durandal devînt la proie des infidèles, continue d'essayer encore de la briser. Il en frappe, à deux mains, les rochers qui bordent le chemin; mais l'épée les partage en deux, et chaque éclat de roche, roule en bondissant et écrase les cadavres des guerriers amoncelés de tous côtés. Roland, désespéré, continue sa route frappant à droite et à gauche, mais toujours avec le même résultat. Il fend les rocs, coupe des corps avec leurs armures de fer, tranche des arbres énormes qui tombent avec fracas. Enfin il plonge la pointe du glaive dans la plus dure des roches, l'y enfonce profondément et casse enfin cette lame invincible, dont la moitié reste dans le rocher et il jette au loin le tronçon qui tient à la garde d'ivoire.

Mais il était brisé de fatigue, il vomissait le sang par la bouche et les narines, et ses plaies s'étaient rouvertes. La perte de son sang, les efforts qu'il avait faits pour sonner du cor l'avaient épuisé; au pied du grand arbre, il n'avait, pour dire, plus que le souffle, et une soif ardente le fermentât. C'est là, du reste, on le sait, un des supplices des blessés. Comme le riche de la parabole évangélique, il aurait désiré qu'une goutte d'eau tombât entre ses lèvres desséchées.

Enfin Baudouin son frère sortit des halliers, s'avança vers lui et tâcha de le réconforter par ses tendres paroles. Roland, qui ne pouvait presque plus parler, lui fit comprendre par des signes qu'il mourrait de soif. Aussitôt Baudouin courut tout autour cherchant une source on un filet d'eau laissé par les pluies; mais il ne put en trouver.

Le désespoir dans l'âme il revint vers le héros, qui lui fit signe de s'éloigner au plus vite de ces lieux. Baudouin, les larmes aux yeux, bénit Roland, lui adressa ses adieux et pour ne pas tomber entre les mains des Sarrasins avant d'avoir pu avertir Charlemagne, il prit le cheval de son frère mourant et il s'élança par le chemin suivi par Charles et ses troupes afin de leur porter cette triste nouvelle.

A peine avait-il disparu que l'ami de Roland Thierry (Thédéric) arriva.
Il se mit à fondre en larmes, et à adresser à son frère d'armes les plus tendres exhortations ; il l'engagea à faire sa profession de foi et luy dist qu'il garnist son corps et son âme de confession à Dieu.

Ce jour même au matin, avant de se mettre en marche, le pieux Roland s'était confessé et avait reçu le corps de Jésus-Christ, la mort ne le prenait point à l'improviste.

Lors Roland leva les yeulx vers le ciel, à Dieu se confessa et crya mercy, disant tout haut ce qu'il avait fait, disant aussi ce qu'il avait souffert pour propager la sainte foi chrétienne. Il ajouta, avec force larmes, qu'il était un grand pécheur, mais qu'il priait Dieu de le préserver de la mort éternelle ; connaissant la miséricorde divine qui avait bien voulu pardonner aux Ninivites, à la femme adultère, à saint Pierre, au bon larron, il avait aussi, disait-il, l'espoir d'obtenir le pardon de ses fautes et de passer à une meilleure vie. Enfin il se recommanda aux prières de Thierry, à celles de ses compagnons d'armes et surtout à celles de l'archevêque Turpin.

Puis, se frappant la poitrine et le cœur avec ses deux mains, il fit des actes de foi, accompagnés de pleurs et de gémissements, traçant en même temps sur sa poitrine et sur tous ses membres le signe sacré de la croix. Enfin, tendant ses mains suppliantes vers le ciel, il demanda à Dieu qu'il roulât bien pardonner à tous les chrétiens tués pendant cette campagne et les faire entrer dans la paix du royaume des cieux.

Et poussant un profond soupir, Roland rendit son âme à son créateur.
Scène touchante et sublime d'un guerrier chrétien en face de la mort ! Elle se reproduira, bien des siècles plus tard ; Bayart blessé et mourant, au pied d'un arbre, le visage tourné aussi vers l'ennemi rappellera Roland.

  1. Bruient il mont et li vauls resona ;
    Bien quinze lieues li oïes en ala.


Chapitre X : L'âme de Roland.
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