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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Vie de Charlemagne par Eginhard

par Eginhard

1° partie

La cour à l'époque des Mérovingiens

La famille des Mérovingiens, dans laquelle les Francs avaient coutume de se choisir des rois, passe pour avoir duré jusqu'à Childéric, déposé, rasé et confiné dans un monastère par l'ordre du pontife romain Étienne. On peut bien, il est vrai, la regarder comme n'ayant fini qu'en ce prince; mais depuis longtemps déjà elle ne faisait preuve d'aucune vigueur et ne montrait en elle-même rien d'illustre, si ce n'est le vain titre de roi. Les trésors et les forces du royaume étaient passés aux mains des préfets du palais, qu'on appelait maires du palais, et à qui appartenait réellement le souverain pouvoir. Le prince était réduit à se contenter de porter le nom de roi, d'avoir les cheveux flottants et la barbe longue, de s'asseoir sur le trône, et de représenter l'image du monarque. Il donnait audience aux ambassadeurs de quelque lieu qu'ils vinssent, et leur faisait, à leur départ, comme de sa pleine puissance, les réponses qui lui étaient enseignées on phitàt commandées. À l'exception du vain nom de roi et d'une pension alimentaire mal assurée, et que lui réglait le préfet du palais selon son bon plaisir, il ne possédait en propre qu'une seule maison de campagne d'un fort modique revenu, et c'est là qu'il tenait sa cour, composée d'un très-petit nombre de domestiques chargés du service le plus indispensable et soumis à ses ordres.

S'il fallait qu'il allât quelque part, il voyageait monté sur un chariot traîné par des bœufs et qu'un bouvier conduisait à la manière des paysans; c'est ainsi qu'il avait coutume de se rendre au palais et à l'assemblée générale de la nation qui se réunissait une fois chaque année pour les besoins du royaume; c'est encore ainsi qu'il retournait d'ordinaire chez lui. Mais l'administration de l'État et tout ce qui devait se régler et se faire au dedans comme au dehors étaient remis aux soins du préfet du palais.

Pepin le Bref

Pépin le Bref. Amiel, XIXe siècle.

Pépin le Bref. Amiel, XIXe siècle.

Lors de la déposition de Childéric, Pepin, père du roi Charles, remplissait, pour ainsi dire, par droit héréditaire, les fonctions de préfet du palais. Et en effet son père Charles, celui qui purgea la France des tyrans qui partout s'en arrogeaient l'empire, défit, dans deux grandes batailles, l'une à Poitiers en Aquitaine, l'autre sur les rives de la Berre, près de Narbonne, les Sarrasins qui voulaient s'emparer du royaume, les força de se retirer en Espagne, et occupa glorieusement cette même charge que lui avait laissée son père, nommé aussi Pepin. Cet office honorable, le peuple était dans l'habitude de ne le confier qu'à des hommes distingués au-dessus de tous les autres par l'illustration de leur naissance et la grandeur de leurs richesses. Pendant quelques années, Pepin, père du roi Charles, partagea, sous, le monarque qui on vient de nommer, avec son frère Carloman, çette place que leur aïeul et leur père leur avaient, transmise; tous deux vécurent dans la plus parfaite union.

Carloman, sans qu'on sache bien par quel motif, mais, à ce qu'il paraît, enflammé de l'amour de la vie contemplative, abandonna les pénibles soins du pouvoir temporel, se rendit à Rome pour y vivre en repos, y prit l'habit monastique, construisit un couvent sur le mont Soracte auprès de l'église du bienheureux Silvestre, s'y renferma avec quelques religieux qui s'étaient joints à lui, et y jouit pendant plusieurs années de la tranquillité, seul objet de ses vœux. Cependant comme beaucoup de nobles, partis de la France, se rendaient solennellement à Rome pour s'acquitter de leurs vœux, et, ne voulant pas manquer de témoigner leurs respects à leur ancien maître, troublaient par de fréquentes visites la vie paisible dans laquelle se complaisait Carloman, ils le forcèrent ainsi à changer de demeure. Reconnaissant en effet que cette foule de gens le détournait du but qu'il se proposait, il quitta le mont Soracte, se retira dans le Samnium, au monastère de Saint-Benoît, situé près du Mont-Cassin, et y consacra aux exercices de la vie religieuse les restes de son existence dans ce monde.

Pepin qui, de préfet du palais, avait été fait roi par l'autorité du pontife romain, mourut à Paris [en 743] d'une hydropisie, après avoir régné seul plus de quinze ans sur les Francs, et fait, pendant neuf ans de suite, la guerre en Aquitaine contre Waïfer, duc de ce pays. Il laissait deux fils, Charles et Carloman, qui, par la volonté divine, succédèrent à sa couronne. Et en effet, les Francs, réunis en assemblée générale et solennelle, se donnèrent pour rois ces deux princes, sous la condition préalable qu'ils se partageraient également le royaume; que Charles aurait, pour la gouverner, la portion échue primitivement à leur père Pepin, et Carloman celle qu'avait régie leur oncle Carloman.

Tous deux acceptèrent ces conventions, et chacun reçut la partie du royaume qui lui revenait d'après le mode de partage arrêté; l'union se maintint entre eux quoique avec une grande difficulté; plusieurs de ceux du parti de Carloman tentèrent en effet de rompre la concorde, et quelques uns méditèrent même de précipiter les deux frères dans la guerre; mais il y eut dans toute cette affaire plus de méfiance que de danger réel; l'événement le prouva, lorsqu'à la mort de Carloman, sa veuve, avec ses enfants et plusieurs des principaux d'entre les grands attachés à ce prince, s'enfuit en Italie, et manifestant, quoique sans aucun prétexte, son éloignement pour le frère de son mari, alla se mettre ainsi que ses enfants sous la protection de Didier, roi des Lombards. Quant à Carloman, il mourut de maladie [en 771] après avoir administré pendant deux ans le royaume conjointement avec son frère.

Roi des Francs

Après la mort de ce prince, Charles fut établi seul roi, du consentement unanime des Francs. On n'a rien écrit sur sa naissance, sa première enfance et sa jeunesse; parmi les gens qui lui survivent, je n'en ai connu aucun qui puisse se flatter de connaître les détails de ses premières années; je croirais donc déplacé d'en rien dire, et laissant de coté ce que j'ignore, je passe au récit et au développement des actions, des mœurs et des autres parties de la vie de ce monarque. Cette tâche, je la remplirai de manière à ne rien omettre de nécessaire ou de bon à savoir, d'abord sur ce qu'il a fait au dedans et au dehors, ensuite sur ses mœurs et ses travaux, enfin sur son administration intérieure et sa mort.

De toutes ses guerres, la première fut celle d'Aquitaine, entreprise, mais non terminée par son père; il croyait pouvoir l'achever promptement avec l'aide de son frère, alors vivant, dont il avait sollicité le concours. Quoique celui-ci, malgré ses engagements, ne lui fournît aucun secours, Charles exécuta courageusement l'expédition projetée, et ne voulut ni abandonner ce qu'il avait commencé, ni prendre de repos qu'il n'eût, par une persévérance soutenue, amené son entreprise à un résultat complet.

Charlemagne Empereur d'Occident

Charlemagne.

Il contraignit en effet à quitter l'Aquitaine, et à fuir en Gascogne, Hunold, qui, après la mort de Waïfer, avait tenté de s'emparer de l'Aquitaine, et de renouveler une guerre déjà presque assoupie. Décidé à ne pas même souffrir Hunold dans cet asile, Charles passe la Garonne après avoir élevé le fort de Fronsac, somme, par des envoyés, Loup, duc des Gascons, de lui livrer le fugitif, et, s'il ne le remet sur-le-champ, le menace d'aller le lui demander les armes à la main. Mais Loup, écoutant les conseils de la prudence, rendit Hunold [en 769], et se soumit lui-même, ainsi que la province qu'il commandait, à la puissance du vainqueur.

Les guerres lombardes

Cette guerre finie, et les affaires d'Aquitaine réglées, Charles, après la mort du frère avec lequel il partageait le royaume, porta ses armes en Lombardie, sur les prières et les instantes supplications d'Adrien, évêque de Rome.

Son père, Pepin, à la demande du pape Étienne, avait fait précédemment une pareille expédition, mais non sans de grandes difficultés; plusieurs des principaux d'entre les Francs, dont ce prince était dans l'usage de prendre les conseils, poussèrent en effet la résistance à ses volontés au point de déclarer hautement qu'ils l'abandonneraient et retourneraient chez eux. Cette guerre contre le roi Astolphe eut cependant lieu, et fut promptement terminée. Mais quoique celle qu'entreprit Charles en Lombardie et celle qu'y soutint son père parussent avoir une cause semblable, ou plutôt tout-à-fait la même, les fatigues de la lutte et les résultats différèrent certainement beaucoup.

Pepin [en 755], après avoir assiégé quelques jours la ville de Pavie, força le roi Astolphe à donner des otages, à restituer les places et châteaux enlevés aux Romains, et à s'obliger par serment de ne rien reprendre de ce qu'il avait rendu. Mais Charles tint Didier assiégé longtemps, et, la guerre une fois commencée [en 773], ne s'en désista qu'après avoir contraint [en 774] ce roi de se rendre à discrétion, chassé du royaume de son père, et de l'Italie même, son fils Adalgise, vers qui les Lombards paraissaient tourner toutes leurs espérances, remis les Romains en possession de tout ce qu'on leur avait pris, accablé Rotgaud, duc de Frioul, qui machinait de nouvelles révoltes, subjugué toute l'Italie, et donné son fils Pepin pour roi au pays conquis.

J'aurais pu décrire ici les immenses difficultés que les Francs, à leur, entrée en Italie, trouvèrent à passer les Alpes, et les pénibles travaux qu'il leur fallut supporter pour franchir ces sommets de monts inaccessibles, ces rocs qui s'élancent vers le ciel, et ces rudes masses de pierres; mais mon but, dans cet ouvrage, est de transmettre à la postérité plutôt la manière de vivre de Charles que les détails de ses guerres. Celle-ci se termina par la soumission de l'Italie, l'exil et la captivité perpétuelle de Didier, l'expulsion de son fils Adalgise hors de l'Italie, et la restitution à Adrien, chef de l'église romaine, de tout ce qu'avaient envahi sur elle les rois de Lombardie.

Les guerres contre les Saxons

Cette affaire finie, la guerre contre les Saxons, qui paraissait comme suspendue, recommença [775]. Aucune ne fut plus longue, plus cruelle et plus laborieuse pour les Francs. Les Saxons, ainsi que la plupart des nations de la Germanie, naturellement féroces, adonnés au culte des faux dieux, et ennemis de notre religion, n'attachaient aucune honte à profaner ou à violer les lois divines et humaines.

Une foule de causes pouvaient troubler journellement la paix; à l'exception de quelques points où de vastes forêts et de hautes montagnes séparaient les deux peuples et marquaient d'une manière certaine les limites de leurs propriétés respectives, nos frontières touchaient presque partout, dans le pays plat, celles des Saxons; aussi voyait-on le meurtre, le pillage et l'incendie se renouveler sans cesse tant d'un côté que de l'autre. Les Francs en furent si irrités qu'ils résolurent de ne plus se contenter d'user de représailles, et de déclarer aux Saxons une guerre ouverte.

Une fois commencée, elle dura trente-trois ans sans interruption, se fit des deux parts avec une grande animosité, mais fut beaucoup plus funeste aux Saxons qu'aux Francs. Elle eût pu cependant finir plus tôt, si la perfidie des Saxons l'eût permis. Il serait difficile de dire combien de fois, vaincus et suppliants, ils s'abandonnèrent aux volontés du roi, promirent d'obéir à ses ordres, remirent sans retard les otages qu'on leur demandait, et reçurent les gouverneurs qui leur étaient envoyés.

Quelquefois même, entièrement abattus et domptés, ils consentirent à quitter le culte des faux dieux, et à se soumettre an joug de la religion chrétienne; mais autant ils se montraient faciles et empressés à prendre ces engagements, autant ils étaient prompts à les violer; si l'un leur coûtait plus que l'autre, il serait impossible de l'affirmer; et en effet, depuis l'instant où les hostilités contre eux commencèrent, à peine se passa-t-il une seule année sans qu'ils se rendissent coupables de cette mobilité. Mais leur manque de foi ne put ni vaincre la magnanimité du roi et sa constante fermeté d'âme dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, ni le dégoûter de poursuivre l'exécution de ses projets. Jamais il ne souffrit qu'ils se montrassent impunément déloyaux; toujours il mena son armée ou l'envoya, sous la conduite de ses comtes, châtier leur perfidie et les punir comme ils le méritaient.

À la fin, ayant battu et subjugué les plus constants à lui résister, il fit enlever, avec leurs femmes et leurs enfants, dix mille de ceux qui habitaient les deux rives de l'Elbe, et les répartit çà et là en mille endroits séparés de la Gaule et de la Germanie. Cette guerre, qui avait duré tant d'années, finit alors à la condition prescrite par le roi et acceptée par les Saxons, savoir que ceux-ci renonceraient au culte des idoles et aux cérémonies religieuses de leurs pères, embrasseraient le christianisme, recevraient le baptême, se réuniraient aux Francs, et ne feraient plus avec eux qu'un seul peuple.

Quoique cette guerre se soit continuée pendant un très longtemps, Charles ne combattit l'ennemi que deux fois en bataille rangée, d'abord près du mont Osneg, dans le lieu appelé Theotmel [Dethmold, dans l'évêché d'Osnabrück], ensuite sur les bords de la hase, et cela dans un seul mois et à peu de jours d'intervalle [en 783].

Dans ces deux actions générales, les Saxons furent tellement défaits et taillés en pièces qu'ils n'osèrent plus ni provoquer ce prince ni l'attendre et lui résister, à moins qu'ils ne se vissent protégés par quelque position forte. Comme les Saxons, les Francs perdirent beaucoup de leurs nobles et plusieurs hommes revêtus des plus hantes et plus honorables fonctions.

Mais enfin cette lutte cessa dans sa trente-troisième année. Pendant qu'elle durait, de si nombreuses et si grandes guerres furent en même temps suscitées aux Francs dans diverses parties de la terre, et dirigées par l'habileté de leur monarque, que les témoins même de ses actions pourraient justement douter si c'est de sa patience dans les travaux ou de sa fortune qu'on doit le plus s'étonner; et en effet, deux ans avant que la guerre se fit en Italie, celle de Charles contre les Saxons commença; et quoiqu'elle se continuât sans interruption, on ne ralentit en rien celles qui avaient lieu en quelque endroit que ce fût, et on ne cessa nulle part de combattre avec les mêmes succès.

Le roi qui, de tous les princes dont les nations reconnaissaient alors les lois, était le plus distingué par la prudence et le plus éminent par la grandeur d'âme, ne se laissait ni détourner par la crainte des fatigues, ni rebuter par l'horreur des dangers dans aucune des choses qu'il devait entreprendre ou exécuter; mais habile à subir et à porter comme il le fallait chaque événement, jamais il ne se montrait ni abattu par les revers ni ébloui par les faveurs de la fortune dans les succès.



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