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Philippe BARBIER
Professeur d'Histoire-Géographie, diplômé en
histoire médiévale (Université d'Orléans)

L'assassinat du Duc d'Orléans - Un crime odieux

Le 23 novembre 1407, eut lieu un événement qui devait défrayer
« les » chroniques : le meurtre de Louis d'Orléans.
Comment ce geste fut-il rapporté par les auteurs et perçu par les contemporains ?

DANS SA CHRONIQUE, Pierre de Fenin rapporte :

« En l'an mil Mlle & .VII. fut tué le duc d'Orléans frère du royja veille saint Clément et le tua Raoulet d'Octoville par le commandement de lehan duc de Bourgongne en venant de lostel du roy et ce iourcommença le grant yverqui dura. [...] et puis le duc de Bourgongne s'en alla en son pais et commença la guerre a mouvoir... ».

Même si le meurtre de Louis d'Orléans ne fit pas pleurer beaucoup de sujets du royaume de France, le fait est qu'il est malgré tout apparu dans les consciences comme surprenant et édifiant par la violence même de l'acte et qu'il a été perçu, de façon générale, comme l'élément déclencheur d'une guerre civile, d'une querelle des princes dans un royaume au pouvoir royal affaibli : « Vérité est qu'entre le duc Louys d'Orléans, frère au roy Charles, et le duc Jean de Bourgoingne, son cousin germain, y eut par pluseurs fois grandes envies et mal-talens eux deux ensemble ». Revenons sur les circonstances de ce drame afin de comprendre pourquoi les contemporains ont pu avoir une telle perception de ses conséquences.

Folie de Charles VI, Jean Froissart : Chroniques, enluminées par Antoine de Bourgogne, XVe s.

Folie de Charles VI, Jean Froissart : Chroniques,
enluminées par Antoine de Bourgogne, XVe s.

DEUX PERSONNALITÉS OPPOSÉES

On insiste souvent sur la grande éloquence du duc d'Orléans. Sa sagesse était aussi faite de piété. Il était très proche des Célestins de Paris dans l'église desquels il avait fondé la chapelle d'Orléans (démolie en 1849). Chevalier dans l'âme, il aimait les hauts faits d'armes. Cependant, cet « illustre duc », comme l'appelle Michel Pintoin, était aussi un grand joueur et aimait beaucoup les femmes, d'où également une réputation plutôt douteuse. Face à lui, Jean Sans Peur apparaît comme un prince morose et taciturne, qui est plutôt laid, qui ne sait pas bien parler. Ils ont tout de même des points communs : l'ambition et l'intelligence. Jean Sans Peur a en outre un avantage : comme son père, il sait se méfier des apparences. Et ses armes préférées sont la rumeur, la calomnie et le mensonge. Il est ainsi un maître dans l'art de propagande, s'alliant la sympathie des foules, contrairement à Louis d'Orléans qui fut toujours impopulaire.

LES « GROMMELIS » ENTRE LES DEUX DUCS

La question du Grand schisme constitue un premier sujet d'opposition entre les deux ducs : après la soustraction d'obédience au pape Benoît XIII faite en 1398 et applaudie par Philippe le Hardi, le duc d'Orléans la conteste en 1400, alors même qu'il accueille ce pape, réfugié à Paris. Se pose également un problème de droit : en effet, lors de l'« absence » royale (due à la folie du roi), qui doit gouverner ? Philippe le Hardi apparaît comme le vrai maître du royaume en tant que doyen des pairs de France, de par sa puissance et sa richesse, son âge et son expérience. Mais le duc d'Orléans est le frère unique du roi, et donc le plus proche de la couronne (le dauphin Charles meurt en 1401, âgé de 10 ans, et le nouveau dauphin Louis n'est alors âgé que de 4 ans). En 1403, Louis d'Orléans désire être le premier et exercer le pouvoir sans contrôle. C'est pourquoi il révoque les ordonnances d'avril 1403 organisant le gouvernement du royaume de façon plus collégiale et restitue l'obédience à Benoît XIII. Marquée par la mort de Philippe le Hardi, l'année 1404 constitue un tournant. Elle entraîne l'évincement du personnel bourguignon de l'administration royale (chambres des Aides et du Trésor). On assiste à l'agrandissement de l'apanage du duc d'Orléans et au mariage de la fille du roi, Isabelle, veuve de Richard II, avec Charles d'Orléans, le fils aîné de Louis. Ce dernier remet en cause la place de Jean Sans Peur qui n'est plus que fils de fils de roi. C'est alors la reine qui tente d'apaiser les deux antagonistes.

1406 : les deux ducs se partagent le pouvoir. Se préparant pour la guerre contre l'Angleterre (les hostilités ayant été relancées par Henri IV de Lancastre, successeur de Richard II, mort en 1399), le duc de Bourgogne est chargé de défendre la Picardie et la Flandre occidentale, le duc d'Orléans la Guyenne. Le 6 juin à Compiègne, ils se passent les colliers de leurs ordres respectifs (l'ordre de la Toison d'Or et l'ordre du Porc-Épic) et se promettent « l'un à l'autre d'entretenir bonne fraternité et amour toutes leurs vies ». Ceci dit, alors même que le climat de haine contre Louis d'Orléans se maintient - les plus véhéments de ses détracteurs sont l'université et le parlement de Paris qui veulent un retour à la soustraction d'obédience de 1398 -, le 28 avril 1407, il ne reste plus que des fidèles du duc d'Orléans au Conseil du roi. La situation pour Jean Sans Peur est donc désastreuse puisqu'il a perdu toute influence sur le gouvernement royal.

« On lui asséna des coups de haches, faisant jaillir sa cervelle sur le pavé »

L'équilibre de ses finances est en outre gravement compromis par la suppression brutale de la majeure partie des dons royaux. Une crise grave éclate à la mi-novembre 1407 mais elle est vite apaisée. Les deux princes se réconcilient solennellement aux alentours du 20 novembre. Pierre de Fenin dit qu'il « y eut grosses assemblées de chascune partie, pour paix trouver ». Cependant, face à la victoire indéniable du duc Louis d'Orléans, il ne restait plus comme solution à Jean Sans Peur, soucieux de reprendre sa place au gouvernement, que la voie de fait : l'attentat, le meurtre, le guet-apens.

LE GUET-APENS

Pierre de Fenin passe assez vite sur la description de l'attaque dont a été victime le duc d'Orléans, soit par un manque d'informations, soit dans un souci de concision. A l'opposé Enguerran de Monstrelet en fait un récit très détaillé, sans parler du Religieux de Saint-Denis qui ajoute un effet dramatique. Ce soir là, Louis d'Orléans se rendait à l'Hôtel Barbette pour une visite à la reine Isabeau qui avait accouché quinze jours plus tôt d'un fils Philippe (mort aussitôt baptisé). Il semble que ce soit Thomas Courteheuse, valet de la maison du roi, qui « lui dist pour le décevoir : "Sire ! le Roy vous mande que sans délay venez devers lui et qu'il a à parler à vous hastivernent, et pour chose qui grandement touche à lui et à vous" ». Le roi, malade, était à l'hôtel Saint-Pol, ce qui obligea le duc d'Orléans à passer par la rue Vieille-Temple et devant la maison à l'image Notre-Dame. C'est alors qu'une bande d'une vingtaine d'hommes l'agressa dans le but de le tuer. On nous donne des descriptions choquantes par la violence des faits : le meneur, de sa hache, trancha la main gauche du duc. L'explication nous est donnée par le Héraut Berry : en coupant la main avec laquelle il s'agrippait à sa selle, les agresseurs voulaient le désarçonner. On lui asséna d'autres coups de haches, notamment à la tête, faisant «jaillir sa cervelle sur le pavé », élément rapporté par la plupart des chroniqueurs. Nicolas de Baye comme Monstrelet s'interrogent sur la si petite escorte du duc, alors qu'il disposait d'une véritable armée de partisans à Paris. Les valets ayant pris la fuite, seul l'un d'entre eux, un page allemand, Jacob van Melkeren, perdit la vie en s'allongeant sur son maître pour le protéger. Fenin poursuit : « Après que ledict duc d'Orléans fut mon, il y eut grand desconfort des gens de son hostel, et menaient si grand due//, que c'estoit pitié de les voir; car ledict duc d'Orléans estait horriblement navré en la teste et au visaige, et si avait un poing couppé ». Nicolas de Baye, greffier du Parlement, se demande comment un tel acte a pu être commis en la capitale en la présence du roi, des princes, de son armée et de sa justice, ce pourquoi il cite tous ceux qui étaient présents ce soir-là à Paris. Dans son registre, il dessine en marge un écus-son aux fleurs de lis brisé par le haut.

Cette attaque contre celui qui assurait alors la gouvernance de l'État crée un mouvement de panique. « Et en ce mesme jour, Isabel, la myne de France, [... J conçeut si grant fraieur et horreur que [...] se fist porter à l'hostel de Saint-Pol en la chambre prouchaine de la chambre du Roy, et là se loga, pour plus grant seureté. Et mesmement la nuit que ledit maléfice fut perpétré, y eut plusieurs nobles qui se armèrent [...] non sachant quelle chose de celle besongne s'en pourrait ensuir ».

Jean Ier de Bourgogne, dit Jean sans Peur, duc de Bourgogne

Jean Ier de Bourgogne, dit Jean sans Peur, duc de Bourgogne,
comte de Flandre, d'Artois et de Charolais, comte palatin de Bourgogne,
seigneur de Mâcon, Châlons et autres lieux
(28 mai 1371 à Dijon- 10 septembre 1419 à Montereau-Fault-Yonne)

L'ENQUÊTE

A l'annonce du crime, les princes se réunissent et demandent au prévôt de Paris, Guillaume de Tignonville, nommé à cette place en 1401 par le duc d'Orléans, de mener une enquête et de retrouver les coupables. C'est par le résultat de cette enquête que les chroniqueurs puis les historiens ont pu établir les faits du 23 novembre 1407. Le prévôt fit aussitôt (soit le matin du 24 novembre) fermer toutes les portes de la ville, excepté deux d'entre elles mais qui furent très bien gardées. Les tueurs avaient été peu discrets. De nombreux témoins déposèrent devant les agents du Châtelet Bertrand Schnerb en donne un exemple, celui d'une voisine d'en face qui a assisté, impuissante, au crime. De plus, les tueurs ont jeté derrière eux des chausses-trapes afin de ralentir les poursuites, ce qui permit de suivre le trajet de leur retraite : la rue des Blancs Manteaux, la rue Saint-Martin, la rue des Oies, la rue Saint-Denis, la rue Mauconseil. Ce n'est qu'après que l'on perd leur trace.

Parallèlement l'enquête de voisinage a porté ses fruits : on apprit que les criminels étaient restés cachés pendant plusieurs jours dans la maison, qui avait été louée par un mystérieux courtier (un « homme habillé en escolier ») dès le mois de juin. Or il avait fallu faire boire leur monture et, comme ils n'avaient pu les conduire à l'abreuvoir, le prévôt convoqua 18 porteurs d'eau. L'un d'eux reconnut avoir livré l'eau à l'image Nôtre-Darne, avec l'aide d'un compagnon qui, depuis, se cachait à l'hôtel d'Artois. C'est ainsi que le prévôt fit le rapprochement entre le crime et le duc de Bourgogne.

L'AVEU

Pierre de Fenin, qui explique très bien que l'auteur de ce crime est en fait Jean Sans Peur (« le duc Jean de Bourgoingne, qui avoit faict faire ceste besongne »), ne nous raconte pas quand et comment on a su la vérité. En effet, le prévôt, qui avait rejeté l'hypothèse d'un mari jaloux, demanda au conseil du roi le pouvoir de perquisitionner les hôtels princiers. C'est à ce moment que Jean Sans Peur avoua, en particulier à son cousin roi de Sicile, qu'il était le commanditaire. Il existe alors diverses versions. Pour le Héraut Berry qui décrit très bien la scène, c'est la pâleur du duc de Bourgogne qui pousse le roi de Sicile à lui poser des questions : « Lors se print a plourer ledit duc de Bourgongne et dist que il vouldroit estre mort et qu'il estait cause d'avoir fait tuer ledit cousin d'Orléans ». Au contraire, Michel Pintoin, le Religieux de Saint-Denis, le présente comme quelqu'un qui assume son acte : « Alors le duc de Bourgogne, qui avait la conscience de son crime, ne voulant point que la punition en retombât sur des innocents, et poussé par un repentir tardif... »

Dans tous les cas, le roi de Sicile et le duc de Berry, l'oncle de Jean Sans Peur, très touchés par cette mort affreuse - nombreux sont ceux qui les présentent en larmes lors de l'aveu - ne dévoilèrent pas le secret tout de suite, voulant peut-être ainsi permettre au duc de Bourgogne de déguerpir. Pierre de Fenin évoque, comme tous les autres, le face-à-face qui eut lieu le lendemain à l'Hôtel de Nesle, entre Jean de Berry et Jean Sans Peur : « Le duc de Berry vint à l'huis de l'hostel, et dist au duc Jean : "Beau nepveu, déportez-vous d'entrer au conseil; il ne plaist my bien à chascun qu'y soyez" ». Sur ce, le duc de Bourgogne quitta précipitamment Paris, craignant pour sa liberté; il s'enfuit par le Pont-Sainte-Maxence et fit rompre derrière lui le pont sur l'Oise.

DANS LES TEXTES, L'IMAGE D'UN TRAÎTRE...

C'est ce qui est mis en avant dès le début de la chronique de Pierre de Fenin, lorsqu'il rappelle que juste avant l'assassinat les deux princes s'étaient jurés amitié et avaient notamment reçu « le corps de Nostre Seigneur ensemble, pour plus grande fiance avoir l'un à l'autre », détail noté aussi par Jouvenel des Ursins. D'autre part, Fenin reproche au duc de Bourgogne d'avoir pleuré sur le corps de son cousin lors des funérailles : Jean Sans Peur « faisait le deuil par semblant, et n'en sçavoit-on encore la vérité. En tant que portait ledict duc enterrer, le sang du corps coula parmy le cercueil à la vueïie d'eux tous, dont y eut grand murmure de ceux qui là estaient, et de tels y en eut qui bien se doubtoient de ce qui en estait; mais rien n'en dirent à présent, » Pierre de Fenin semble interpréter cet élément surnaturel comme s'il s'agissait d'un signe par lequel le corps du duc d'Orléans désignerait son coupable. Mais celui qui l'accable le plus est sans conteste le Religieux de Saint-Denis. Il qualifie Jean Sans Peur d'« implacable ennemi, non moins perfide que le traître judas ». Cependant, on insiste aussi, sans doute pour essayer, si ce n'est d'excuser, au moins d'expliquer l'acte du duc de Bourgogne, sur le fait qu'il a été conduit dans son action par une force surnaturelle et « dist que [c'est] par l'introduction du dyable [qu] il avoit fait faire cet homicide »...

... DANS LA RÉALITÉ, CELLE D'UN PROTECTEUR

En effet, malgré ce crime que beaucoup trouvent odieux par sa forme, la réputation du duc de Bourgogne ne se trouve pas entachée plus particulièrement Le duc de Bourgogne, qui a toujours su jouer de la démagogie et de la propagande, et dont les idées de réforme ont eu un indéniable retentissement, a beaucoup de soutien, notamment dans la capitale parisienne. L'Université lui est, par exemple, entièrement acquise. Ainsi peu nombreux ont été ceux ayant pleuré Louis d'Orléans, qui était très impopulaire. On l'accusait de la reprise de la guerre contre les Anglais, de l'aggravation de la pression fiscale, du désordre de l'administration et de la corruption qui y régnait. Si Paris n'aimait pas le duc d'Orléans, parce qu'elle restait attachée à son pauvre roi malade, on peut aller jusqu'à dire qu'elle prit vraiment le parti de la Bourgogne et de Jean Sans Peur. Louis, pour provoquer son cousin, avait choisi comme devise « je l'ennuie » et l'emblème du bâton noueux. Jean, en réponse, arbora le rabot et ces simples mots «je tiens». Alors, quand Louis d'Orléans fut mort, pour toute oraison funèbre, les Parisiens se disaient l'un à l'autre : « le boston noueux est plané ! ».

LA RÉACTION DU POUVOIR ROYAL

II existe très peu de sources qui évoquent les réactions du roi. Il semble qu'il sortait d'une crise. Les textes disent qu'il était malade et qu'il était logé à l'Hôtel Saint-Pol lors du crime. Le roi était fou; le duc d'Orléans était mort. Il ne restait plus que le duc de Berry et le roi de Sicile, duc d'Anjou, pour assurer la continuité du pouvoir. Quelle conduite devaient-ils adopter à l'égard de Jean Sans Peur ? Les uns voulaient lancer l'armée contre lui. Les autres, plus modérés, désiraient qu'il livre les assassins. Les plus lucides parlaient de négociations et de pardon : il fallait réclamer la paix, car l'intérêt du roi, c'était l'intérêt des princes et l'intérêt du royaume. En effet, si Jean Sans Peur était traité en ennemi ou en coupable et s'il était écarté du pouvoir et de la cour, bref si son coup d'État manquait sa cible, il ne lui restait plus comme unique solution que la révolte, sans oublier qu'il aurait pu obtenir l'appui de l'Anglais.

C'est ainsi que l'on peut expliquer les vaines larmes de Valentine Visconti, et les plaintes laissées sans réponses du duc de Bourbon qui préféra se retirer dans ses terres. Si la paix était ainsi maintenue, cette injustice, dans un monde encore très marqué par les XIIIe et XIVe siècles et les idéaux chevaleresques - justice, honneur et courage - très présents notamment dans la chronique de Pierre de Fenin - ne pouvait que se transformer en vengeance, entraînant de ce fait la guerre civile et expliquant, peut-être, l'assassinat de Montereau en 1419, comme s'il s'agissait d'une sentence à effet rétroactif.




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