Nom en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève - Frédéric Kiesel

La danse de Saint-Guy

Toutes les musiques ne sont pas bonnes. Et une petite flûte peut parfois servir à faire la morale. Deux jeunes gens du côté de Vivy devaient l'apprendre à leurs dépens.

Ils avaient rencontré un vieux mendiant aux jambes cagneuses qui, fourbu, portait à grand-peine sa hotte sur son dos. Quand on est jeune, grand et fort, et fier de l'être, la tentation est grande de se moquer de ceux qui ne le sont plus. C'est ce que firent les deux jeunes gens: - Heureusement que tu ne te vois pas, dit l'un. - Tu avances tordu comme une écrevisse ! renchérit l'autre. Et ils lui lancèrent divers quolibets en riant. Le mendiant s'arrêta, et, jetant sur eux un regard d'un bleu d'acier extraordinairement clair et dur, il leur dit: - Vous ne rirez pas longtemps. Vous allez marcher bien plus mal que moi, sacrés verrats (porcs mâles) !

Les regardant fixement, il sortit de sa poche une petite flûte, et joua une musique bizarre, aux sons aigus, sur un rythme accéléré. Sans pouvoir résister, les deux jeunes drôles se mirent à danser en se livrant aux contorsions les plus étranges. Ils bondissaient d'un bord du chemin à l'autre, agités de soubresauts frénétiques. Les passants s'esclaffaient, se demandant quelle fantaisie les prenait. Puis, ayant appris la raison de cette danse endiablée, ils trouvaient que la leçon n'était pas mauvaise, et ils en riaient.

Après un quart d'heure, les deux gaillards implorèrent le pardon du mendiant. - Grâce! Nous avons eu tort ! Laisse-nous ! Tu vas nous faire mourir. Aie pitié de nous ! Le mendiant ne se laissa pas émouvoir par leurs larmes. Il leur répondit: - Patience, valets, vous n'êtes qu'à la moitié de la leçon. Nous verrons bien comment vous serez dans un quart d'heure ! Il tint parole.

Au bout d'un quart d'heure, quand cessa la musique de sa flûte enchantée, les deux garçons étaient fourbus, défigurés, inondés de sueur. Ils savaient à peine marcher. Au milieu des moqueries, ils en furent réduits à se coucher par terre, tandis que le mendiant s'éloignait, plus si cagneux que cela, presque guilleret.

Si on connaissait la faute commise par les deux jeunes gens de Vivy, on n'a jamais su pourquoi un maléfice bien plus grave faillit coûter la vie au petit Joseph d'Orchimont. C'était un joyeux drille, qui aimait bien aller au bal. Est-ce un crime, à dix-huit ans? Il s'était attardé à la fête d'un village voisin, et peut-être y avait-il rendu quelqu'un jaloux, car il était bon danseur et savait faire rire les filles.

Il était minuit quand, sur le chemin du retour, il fut entouré par une nuée d'une forme indistincte, plus grande qu'un homme. Joseph sentit très nettement quelqu'un lui souffler au visage, d'une haleine aigre et chaude, qui avait un goût de haine. Dès qu'il fut à la maison, il fut pris de la danse de Saint-Guy, faisant des bonds impossibles, et se tordant en tous sens d'une manière incroyable.

Toutes les nuits, à pareille heure, la crise le reprenait. Le spectacle était à la fois merveilleux et effrayant. Il restait un temps suspendu en l'air par les pieds. Il flottait ainsi la tête en bas aussi aisément que nous marchons, puis il était projeté contre les murs, sautait et se tenait en équilibre sur le dossier des chaises sans les faire tomber, se posait au sommet des meubles ou bien bondissait sur la corniche où il s'avançait par bonds, faisant voler les ardoises.

Il sortait de ces séances exténué d'avoir fait l'oiseau et l'écureuil. Comme il dépérissait à vue d'œil, il écouta le conseil d'un de ses oncles, et alla à Charleville consulter les «gromanciens». Un de ces «contre-sorciers» lui dit: -Joseph, quelqu'un t'a jeté un sort. Tu as bien fait de venir ici, car j'ai le pouvoir de le conjurer. Regarde ce cœur de bœuf. Chaque aiguille que j'y plante transperce le cœur de la sorcière qui t'a fait souffrir. Elle comprendra maintenant qu'elle doit te laisser tranquille. Et quand il eut planté une vingtaine d'aiguilles dans le cœur de bœuf, le «gromancien» respira profondément et dit: - Ceci n'est qu'un avertissement. Tu vas rentrer chez toi cette nuit même, guidé par le papillon qui viendra voler autour de ta tête. Il te montrera un chemin très court que tu ne connais pas. Chez toi, tu trouveras la sorcière qui t'a fait le coup. Il ne faudra pas lui faire le moindre mal, sinon elle pourrait reprendre barre sur toi. Elle n'a peur que des gens calmes. Joseph revint chez lui comme en rêve, conduit par le papillon dont il entendait le léger battement d'ailes dans la nuit muette.Il sortait de ces séances exténué d'avoir fait l'oiseau et l'écureuil. Comme il dépérissait à vue d'œil, il écouta le conseil d'un de ses oncles, et alla à Charleville consulter les «gromanciens». Un de ces «contre-sorciers» lui dit: -Joseph, quelqu'un t'a jeté un sort. Tu as bien fait de venir ici, car j'ai le pouvoir de le conjurer. Regarde ce cœur de bœuf. Chaque aiguille que j'y plante transperce le cœur de la sorcière qui t'a fait souffrir. Elle comprendra maintenant qu'elle doit te laisser tranquille. Et quand il eut planté une vingtaine d'aiguilles dans le cœur de bœuf, le «gromancien» respira profondément et dit: - Ceci n'est qu'un avertissement. Tu vas rentrer chez toi cette nuit même, guidé par le papillon qui viendra voler autour de ta tête. Il te montrera un chemin très court que tu ne connais pas. Chez toi, tu trouveras la sorcière qui t'a fait le coup. Il ne faudra pas lui faire le moindre mal, sinon elle pourrait reprendre barre sur toi. Elle n'a peur que des gens calmes. Joseph revint chez lui comme en rêve, conduit par le papillon dont il entendait le léger battement d'ailes dans la nuit muette.

Arrivé à la maison, il trouva près du foyer une petite vieille au visage méchant et effrayé. Il dut se tenir à quatre pour ne pas lui donner une raclée de coups de fourche. Il se contenta de la regarder longtemps dans les yeux sans rien dire, puis il ouvrit la porte et la laissa partir. Il apprit que, pendant la journée, tout le monde au village avait remarqué l'agitation fébrile de cette petite vieille, d'ordinaire très tranquille. Elle ne pouvait pas tenir en place, allant de la fontaine au lavoir et à la boutique sans motif. Elle avait senti que le sort lui était renvoyé par le «gromancien» de Charleville, et se savait dominée et en danger.

Après quelque temps, elle quitta le village. Quant à Joseph, après avoir été le plus remuant garçon d'Orchimont, il en devint le plus paisible. Ayant retrouvé la santé, il vécut vieux, sans histoire, peu bavard. Mais quand on le regardait le soir fumer la pipe sur son banc, on voyait une étrange petite lueur danser dans ses yeux.




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