Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Légendes de Gaumes et Semois - Frédéric Kiesel

La flûte enchantée, le «faudeur» et les pipes

Plus poétique, et, curieusement, plus menaçante que le robinet des bergers assoiffés, la flûte servait aussi d'instrument de magie. On sait comment, aux Hayons, le berger Tcha-Tcha s'en servit pour se débarrasser des fées - peut-être bien des sorcières -qui voulaient lui interdire la belle prairie réservée à leurs débats.

Or deux grands «valets» (garçons) de Vivy se moquaient d'un vieux mendiant, fourbu, aux jambes cagneuses, courbé sous sa hotte. Ils auraient mieux fait d'être plus charitables ou plus prudents. Le vagabond, les regardant «par en dessous», grommela entre ses dents:
- Ah mes gaillards! C'est comme ça que vous traitez le pauvre monde! Bientôt vous marcherez plus tordus que moi.
Tirant de sa poche une petite flûte, il en fit sortir des sons bizarres, aigus, sur un rythme rapide.
À l'instant, les deux moqueurs furent emmenés dans le tourbillon d'une danse de Saint-Guy, sautant en l'air avec des contorsions invraisemblables. Ils bondissaient, retombaient désarticulés comme des pantins, étaient entraînés en l'air, atterrissaient sur une jambe pour repartir de plus belle.

Ce manège ne passa pas inaperçu. Voisins et passants goguenards s'attroupèrent, ébahis du spectacle et lançant des quolibets aux deux gaillards. Après un quart d'heure, harassés, ceux-ci crièrent:
- Brave homme! Tu nous a assez punis. Grâce! On te demande pardon! Cesse ta musique.
- Non, chenapans! Vous n'êtes qu'à la moitié de la rigolade, leur répondit le mendiant, qui accéléra encore la cadence comme s'il voulait réduire en loques les deux bougres.

Ils ont dansé une bonne demi-heure, et leurs voisins ont dû les aider à rentrer chez eux pour se mettre au lit. Ils y sont restés deux jours et deux nuits, et en sont sortis très peu flambards, le pas hésitant et le cœur contrit. Ils y ont regardé à deux fois avant de se moquer encore des gens. «Tu rigole un peu, et, flûte! », se disaient-ils.

Les métiers pratiqués dans l'isolement, loin du village, se prêtaient, plus que d'autres, à la magie. Les histoires de bergers un peu sorciers ne sont pas rares. On ne sait pas quel objet magique employait le herdier Toussaint de Rochehaut, mais il se tirait toujours d'affaire quand il menait paître le troupeau à la maraude. Ses brebis se transformaient en fougères. Lui-même devenait une vieille souche de chêne. Un jour, le garde vint même, sans méfiance, s'asseoir dessus. Une fois le cerbère parti, moutons et pâtre reprenaient leur aspect normal.

Un autre travail retiré était celui, vaguement infernal, des «fraudeurs», les hommes qui fabriquaient le charbon de bois. Noirs comme des diables, dans des clairières éloignées de tout, ils préparaient, selon des règles minutieuses, de grands dômes contenant, pour que le feu couve longtemps, du bois protégé par de la terre. Les orifices assurant le tirage étaient disposés de façon à entretenir une combustion douce. Trop vive, elle réduisait le bois en cendres inutilisables. Et si le feu s'éteignait trop tôt, le travail était à refaire.

Surveiller ces feux sans flammes était une besogne continue, un peu maléfique. Un faudeur joyeux drille, imprudent et notoire, abandonnait volontiers ses « faudes » pendant cinq ou six jours pour faire la noce. Et pourtant, jamais il n'eut de mésaventure. Quand il partait en ribote, il disait: «Arrête-toi, feu!» Obéissantes, les faudes s'endormaient.
À son retour, il criait, de loin:
- Rallumez vos pipes!
Aussitôt, la fumée recommençait à sortir.

Un vieux sorcier lui avait transmis ce pouvoir. Toutefois, quand le diable devient vieux, il se fait ermite. Le faudeur, avec les années, sentit comme du remords. Il avait l'impression que Satan le guettait. Des contrariétés inexplicables, de l'argent perdu et retrouvé, un cheval devenu subitement hargneux, des ricanements entendus la nuit dans la solitude, tout cela le fit réfléchir.

Il alla trouver un prêtre, lui avoua sa pratique de la sorcellerie, et lui demanda de le débarrasser de son pouvoir magique.
- Dis un rosaire chaque soir pendant un an et couche à la dure, comme les moines, lui dit le prêtre. Dans un an, tu seras délivré du don reçu du sorcier.
C'est ce qu'il fit. Douze mois plus tard, le faudeur tenta l'expérience. Avant de quitter une faude, il dit les paroles rituelles. À son retour, quand il cria «rallumez vos pipes!», aucune fumée ne sortit. Il en fut quitte pour refaire le travail. Il le fit en sifflotant: il avait retrouvé la paix du cœur. Les seuls à s'en plaindre furent les cabaretiers. Ils avaient perdu un bon client.




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