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Tcha-Tcha, la flûte et les fées du Hultai.

Légendes de Gaumes et Semois

Les Bohémiens, à Lamorteau, singeaient les fées. Les vraies avaient leur façon de se faire respecter. Il fallait être très malin pour «rouler» ces astucieuses petites personnes. Au village de Hayons, près de la Semois, ce n'est plus la Gaume aux terres » meubles. Le schiste n'est pas loin de la surface du sol. Les étés secs, bien des pâtures sont roussies, n'offrant pas de pitance au troupeau.

C'était le cas en l'an de grâce 1800. Dès la fin de juillet, les vaches affamées, grappillant un peu d'herbe dans les fossés, ne trouvaient plus dans les prés banaux (appartenant au village) que les «refus» à brouter: chardons, roseaux.

Toute la vallée renvoyait les échos de leurs meuglements lamentables. Et pourtant, chacun savait que, sur le plateau du Hultai, une herbe grasse, bien verte, abondante, pleine de fleurs, subsistait intacte.

Nul n'avait l'audace d'y mener les bêtes, car c'était le domaine des fées. Sur ce pré qui, du haut de roches escarpées, domine un coude de la Semois, elles dansaient la nuit au clair de lune. Elles ne faisaient de tort à personne mais, chacun le savait: pas question de les déranger.

Or cet été-là aux premiers jours d'août, le vieux herdier (berger du troupeau commun du village) étant mort depuis peu, un inconnu se présenta pour le remplacer.
C'était un petit homme peu bavard, aux yeux malins, nommé curieusement Tcha-Tcha. Quand on lui posait une question, s'il voulait ne répondre ni oui ni non, il hochait la tête d'un air mystérieux en disant «tcha-tcha»

Comme beaucoup de bergers, habitués à de longues heures en seule compagnie du troupeau, il était un peu magicien. Sa singularité était une petite flûte. Il en jouait rarement, mais elle ne le quittait jamais.
- Tu nous joues un air? lui demandait-on.
- Tcha-Tcha, répondait-il avec un sourire en coin qui signifiait: peut-être tantôt, ou un autre jour.

D'où venait cette flûte? Un villageois, ancien soldat revenu des guerres, en avait vu de pareilles chez les Italiens. Tcha-Tcha devait-il son teint basané à des vagabondages près de la Méditerranée? Selon le curé, homme savant, c'était un vieil instrument celte des druides qui officiaient jadis dans nos forêts.
- À votre place, je me méfierais de cet homme-là, disait-il. Il a l'air sournois.
Mais comme on n'avait aucun reproche à lui faire, le herdier conduisit le troupeau banal, qui maintenant, faute d'herbe, mangeait les feuilles des haies et des branches basses des arbres.

Après quelques jours, sans prévenir personne, il mena les bêtes par le chemin étroit, raboteux, montant sous bois au plateau du Hultai. Elles s'attardaient à ravager myrtilliers, jeunes sorbiers, chéneaux et jets de bouleaux. Mais, à coups de bâton, le Tcha-Tcha les poussait, meuglantes, affaiblies, vers le sommet.

Arrivées au Hultai, dans une prairie fabuleuse, luxuriante, neuve comme le paradis terrestre, on ne les entendit plus que brouter, goulûment, la belle herbe pleine de boutons d'or (renoncules) qui leur montait jusqu'au ventre. Ce fut un festin, juteux, parfumé, capiteux, pour les pauvres vaches des Hayons au sortir d'un long carême. Un beau carnage aussi.

Le pré pâturé, en désordre, ressemblait à un champ de ba¬taille. La belle prairie était foulée, ravagée comme par une tem¬pête, pleine de bouses et de traces de sabots. Aux Hayons, le Tcha-Tcha fut accueilli avec joie et inquiétude. Les bêtes avaient mangé. Mais craignons la colère des dames du lieu. «Comme de fait», au lever de la lune, les fées furent bien fâchées de voir le lieu de leurs ébats sauvagement dévasté. Mais, bien élevées, les fées ne sont pas des sorcières. Elles ne jettent pas des sorts sans prévenir.

Le lendemain, Tcha-Tcha, ramenant le troupeau vers le Hultai rencontre, au sortir du bois, une jolie petite personne vêtue d'une robe couleur de brume de juin, constellée de reines-des-prés.

D'une voix de cristal, douce mais décidée, elle lui dit:
- Brave homme, vous êtes nouveau dans le pays. Ne savez-vous pas ce que vous faites? Vous violez notre domaine. Ce saccage doit cesser. À chacun son bien. Menez ailleurs votre troupeau.
- Où voulez-vous que j'aille? répond, sans se troubler, le Tcha-Tcha, qui avait la langue bien pendue quand il fallait. À part le Hultai, il n'y a plus un brin de bonne herbe dans toute la vallée. Il faut que mes bêtes mangent. Aux Hayons, les enfants pleurent faute de lait. Sauf votre respect, je ne conduirai le troupeau nulle part ailleurs qu'ici.
- Vous vous moquez de moi, dit la petite personne, d'une voix aiguë et menaçante. Redoutez notre colère si, dans cinq minutes, vous n'avez pas quitté ces lieux avec vos sales bêtes. Nous avons déjà été trop patientes.

Voyant Tcha-Tcha peu ému par ses menaces, elle disparaît dans un petit nuage, dissipé en quelques instants. Un quart d'heure plus tard, un autre nuage s'approche à grand bruit. Une nuée bourdonnante de guêpes s'abat sur le troupeau. C'est la vengeance de fées. Les premières vaches à peine piquées, Tcha-Tcha sort sa louvète (besace) son flûtiau. Il y joue une sarabande magique. Arrachées à leurs proies, les guêpes se rassemblent en un essaim compact, qui amorce une ronde autour du Hultai. Tcha-Tcha accélère le rythme. Le ballet devient endiablé. Après un dernier tour vertigineux, l'essaim se précipite à toute force dans la Semois, fouettant l'eau comme une grêle. Et le calme revient sur le plateau.

Ce n'est pas pour longtemps. Une foule de petites fées surgissent des herbes pour tourmenter les vaches. Elles leur donnent des coups de leurs baguettes acérées et, se suspendant à leurs queues, elles jouent à la balançoire en poussant des cris perçants. Puis, elles ont griffé. Alors les vaches ont commencé à «biser» (courir en fonçant, la queue en l'air, comme lorsque les taons les affolent).

Tcha-Tcha, d'abord curieux de la tournure des événements, trouva que la plaisanterie avait assez duré. Sortant son flûtiau, il joua une nouvelle sarabande, qui arracha de terre les irascibles petites dames. Il leur fit danser, en plein soleil, un fameux sabbat sur le lieu de leurs gentils ébats nocturnes. Les vaches leur donnèrent des coups de cornes. Puis, accélérant la cadence de sa musique, le herdier leur fit prendre de l'altitude, et les précipita, comme les guêpes, dans la Semois, du haut des rochers.

Le village des Hayons avait gagné une belle pâture, et perdu la féerie. Avec le bon lait onctueux, gras et parfumé de l'herbe broutée au Hultai, avait-il gagné au change?

Mais voilà: étaient-ce bien des fées? La version où Tcha-Tcha est le dernier des druides fut popularisée, dans le charmant Un peu de tout à propos de la Semois par Alphonse de Prémorel (ancêtre d'Adrien). Elle n'est pas la seule.

Une autre dit tout le contraire. Colas Chacha - évidemment le même personnage que Tcha-Tcha - aurait été un entremetteur du diable. Il dirigeait les danses du sabbat des sorcières au plateau du Hultai dominant à la fois la Semois et le ruisseau des Alleines. Il leur apprit aussi à sauter à reculons de la roche surplombant la Semois. De là viendrait le nom de cette roche: «saut des sorcières». Le berger aurait mal fini. Une épidémie ayant dévasté une étable, une femme suspecte soumise à la torture l'a dénoncé. Lui-même, sous la question avoua être sorcier et fut brûlé vif sur un bûcher d'épines noires au milieu du pont de Bouillon.

Cette version pourrait bien être plus conforme à la tradition ancienne, car les fées, dans le conte de Prémorel, ont un comportement anormalement agressif. Et le site est marqué par la sorcellerie. Du «saut des sorcières» on voit, vers le sud, au-delà de la roche percée, un affleurement rocheux, la Saupire ou «pierre des sorciers». Sous le chêne qui se trouvait à proximité, les sorciers tenaient leur sabbat. Leurs danses y avaient laissé une trace circulaire.

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