Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Légendes de Gaumes et Semois - Frédéric Kiesel

Une sorcière de Poupehan face à l'abbé K.

Si la Tchalette et la Cisse étaient, au XIXe siècle, les sorcières les plus connues de la Basse-Semois, elles étaient loin, on s'en doute, d'être les seules.

Un Français, le sieur D., était surnommé on ne sait pourquoi «le framboisier». Jadis bûcheron, il avait été premier mitron à Sedan, avant de tomber amoureux d'une fille de Poupehan. Celle-ci avait quitté un précédent amoureux, pour épouser ledit « framboisier», qui vint vivre à Poupehan voulant continuer son métier de boulanger. Mais son four s'est révélé ensorcelé: il était à peine fermé que, dans un vacarme infernal, les pains y dansaient une folle sarabande.

Découragé, le «framboisier» reprit son métier ancien de bûcheron. Cela ne le délivra pas des maléfices: devenu fou, il prit ses jambes à son cou, et disparut, courant, halluciné, par monts et par vaux. Les villageois eurent beau battre les bois des alentours, ils n'en trouvèrent nulle trace. Aussi, après des jours de vaines recherches, le 25 mai, jour de l'Ascension - et des premières communions -, allèrent-ils trouver leur curé K. connu et respecté comme érudit et exorciste.

- Retournez chez vous, dit-il à ses paroissiens. Votre concitoyen va venir chez moi.
C'est ce qu'il advint, dès le lendemain. On ne sait comment le curé K. avait levé le maléfice, mais il reçut, comme il le voulait, les confidences du malheureux: durant plusieurs jours celui-ci avait été harcelé, traqué et rudement rossé par des bras invisibles. Avait-il contracté la rage? Il raconta que, étant ainsi mis à mal, il voyait en esprit les deux tours de Saint-Hubert, où, contre la rage, on implore l'intervention miraculeuse du grand saint ardennais. Mais chacun soupçonna une certaine veuve R., connue pour lancer des mauvais sorts, et qui s'était querellée avec lui.

Cette veuve R. aimait mêler ses maléfices aux histoires de déboires amoureux. Ayant congédié un jeune homme, Thérèse, une jeune fille de Poupehan, fut, le jour même atteinte d'un mal mystérieux qui la força à s'aliter, de plus en plus faible, pendant deux ou trois ans. Consultés, aucun des médecins de la région ne pouvaient rien pour elle, incapable de se lever par ses propres forces: pour la tirer du lit, il fallait la lever sur un drap dont on tenait les quatre coins.

Avant les crises qui lui arrachaient des cris de douleur, Thérèse voyait chaque fois une sorte de souris qui traversait la chambre en poussant de petits cris.
On sait que dans la vallée de la Basse-Semois, on avait deux recours contre la sorcellerie. Au lieu du curé - ou avant de demander son aide -, on allait volontiers à Charleville consulter les «gromanciens». C'est ce que firent les deux frères de Thérèse, qui étaient bûcherons en France.
- Quand vous retournerez à Poupehan, leur dit un gromancien, vous rencontrerez la sorcière qui a lancé le mauvais sort.
Or les jeunes gens, au lieu de retourner à Poupehan par Sugny et le ban d'Allé, leur trajet normal, furent inconsciemment guidés sur un autre itinéraire, traversant Rochehaut. Près du village, ils croisèrent la veuve R. C'était donc elle la responsable.

Après le sorcier bénéfique, les jeunes gens s'adressèrent au curé B. Jeune et inexpérimenté, il les adressa à son prédécesseur et aîné, l'abbé K. - qui, naguère, avait désenvoûté le «framboisier». Retraité, ce vénérable sage vivait à Ucimont.

Ce ne fut pas une mince affaire. Ses parents, avec beaucoup de précautions, installèrent la pauvre jeune fille, couchée sur un matelas, dans une charrette. Lorsqu'il s'agit de traverser la Semois, au gué de Germovez, une tempête inexplicable souleva la rivière, manquant plusieurs fois de submerger l'attelage. Mais les conducteurs tinrent bon: après deux heures d'efforts, ils parvinrent sur l'autre rive. (Un danger terrifiant au passage - initiatique - d'un cours d'eau surgit dans plusieurs épisodes des Romans de la Table ronde. Et l'obstacle magique sur le chemin des exorciseurs se retrouve dans d'autres récits populaires. Dans Was unser Volk uben und driïben erzàhlt, Nicolas Warker parle de la charrette «marrée» - magiquement bloquée - sur le trajet entre le pays d'Attert et Arlon, où l'on avait recours aux bénéfiques capucins de la butte de Saint-Donat.)

Lorsque la famille, finalement, arriva avec la malade chez le curé K., celui-ci leur dit:
- Si vous n'aviez pas eu le courage d'affronter jusqu'au bout la tempête, Thérèse n'aurait pas survécu longtemps.
Il procéda alors à l'exorcisme, dont le bienfait commença à se manifester après trois jours. Moins faible, la jeune fille parvint, hésitante, à se lever sans aide. La guérison survint alors à bref délai.

L'affaire n'était pas terminée. Comme le gromancien avait le pouvoir de diriger les frères à leur retour de Charleville, le curé K. avait celui d'obliger la veuve à venir tous les jours à Ucimont. Dominée par la volonté du prêtre, elle dût le faire pendant quinze jours, ne pouvant se soustraire à cette sorte de pénitence. Ainsi, elle sentait les limites de ses pouvoirs.

Humiliée, elle imagina des alibis pour cacher ses «pèlerinages» à Ucimont, faisant semblant d'aller ramasser du bois mort dans la forêt ou de la litière dans sa hotte. Mais elle savait que le vieux curé était plus fort qu'elle. Il n'en tira pas d'autre châtiment que cette persuasion, qui calma pour un temps ses ardeurs maléfiques.




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